Mayday publie les Mayday talks, une série de podcasts originaux conçus par Mayday. Un Mayday talk c’est une discussion autour d’un thème lié au retournement avec deux invités. Cette semaine nous sommes heureux d’interviewer Aymar de Mauléon et Carole Nerguararian, avocats associés en Restructuring chez Linklaters, sur le thème « les classes de parties affectées issues de la transposition de la directive communautaire en droit français ». Avec la première mise en place effective des classes de parties affectées dans le dossier BCM Energy, les discussions en cours dans Pierre & Vacances et d’autres dossiers confidentiels actuellement en négociation, les premières restructurations apparaissent et montrent déjà les leviers et les écueils du texte : composition des classes de parties affectées, subordination, discussion autour des PGE, traitement des titres pouvant donner accès au capital… Nous vous proposons une revue des premiers points en débat.
Mayday : Pouvez-vous nous rappeler l’évolution du droit entre les anciens comités de créanciers et les nouvelles classes de parties affectées pour les restructurations qui sont concernées ?
Carole Nerguararian : Pour rappel, les classes de parties affectées ou CPA, remplacent dorénavant les comités de créanciers et l’assemblée générale unique des obligataires. Avec la réforme du 15 septembre 2021, le législateur voulait parer à deux écueils fondamentaux du système précédent. D’abord, la non prise en compte du poids économique respectif des créanciers entre eux qui était beaucoup critiqué par les praticiens et entrainait des situations peu cohérentes avec par exemple un comité des établissements de crédits et assimilés ou une assemblée générale unique des obligataires qui pouvait regrouper des prêteurs chirographaires et des prêteurs sécurisés. Le deuxième écueil fondamental était le droit de veto de chacun de ces comités et assemblée générale unique obligataires, tout comme l’assemblée générale des actionnaires même dans l’hypothèse où ils étaient hors de la monnaie, c’est à dire qu’économiquement, ils n’avaient plus de poids et plus d’intérêt compte tenu de la valorisation de l’entreprise…Dans une telle hypothèse, ils étaient tout de même en mesure de bloquer la restructuration, ce qui faisait du régime français des procédures collectives un système tout à fait particulier au sein de l’OCDE.
Mayday : Le dossier BCM Energy, devant le tribunal de commerce de Lyon, est le premier dossier où ont été appliquées les classes de parties affectées. Vous étiez conseil d’un des principaux créanciers. Quels sont les premiers enseignements que l’on peut tirer de ce dossier ?
Aymar de Mauléon : Nous avons eu la chance d’assister le principal créancier dans le cadre de cette première procédure de sauvegarde accélérée soumise au nouveau régime. D’abord, il faut rappeler que le dossier a commencé par une conciliation au cours de laquelle des discussions ont eu lieu entre la société et ses principaux créanciers. Au cours de cette conciliation, un premier projet de plan (il y en a eu plusieurs) a été proposé, et a été abordée la question de la constitution des classes de parties affectées. On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de discussions entre les créanciers qui estimaient ne pas être dans les mêmes situations les uns par rapport aux autres, et la solution qui s’est peu à peu imposée de fait a été de créer autant de classes de parties affectées que de catégories de créanciers.
CN: Une incise pour rappeler que le nouveau système a une approche beaucoup plus économique que le système précédent. Cette fois-ci, il y a beaucoup de flexibilité qui est laissée au débiteur et à l’administrateur judiciaire pour déterminer quels seront les créanciers ou les parties affectées, incluant le cas échéant les détenteurs de capital, dans chacune des classes de parties affectés. La loi a seulement instauré trois principes cardinaux : les créanciers munis de sûretés réelles sont dans des CPA distinctes des autres créanciers, il en est de même des détenteurs de capital et enfin les accords de subordination qui ont été conclus avant l’ouverture de la procédure et communiqués à l’administrateur judiciaire doivent être respectés.
Au-delà de ces trois principes cardinaux, il y a énormément de flexibilité. Il n’y a notamment pas de numerus clausus, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de limitation dans le nombre de CPA ce qui permet de s’adapter à chaque dossier. Ce que disait Aymar c’est qu’il peut y avoir la tentation, dès lors qu’un créancier n’est pas content et lève le doigt, de le mettre dans une classe de parties affectées distincte.
AM : Il n’y avait pas, dans le dossier BCM, de convention de subordination. Les créanciers n’étaient donc pas contractuellement subordonnés les uns aux autres. Il y a donc eu quatre classes de créanciers affectés constituées, une première classe constituée par les créanciers fiscaux et sociaux qui bénéficient d’un privilège, une deuxième classe de créanciers sociaux privés, une troisième classe de créanciers ordinaires, regroupant les fournisseurs d’énergie qui comprenait le principal créancier et une classe constituée des prêteurs PGE. Il faut préciser également qu’il y avait des créanciers qui n’étaient pas affectés. Cela peut paraître curieux parce qu’il y a eu des abandons très importants, mais le tribunal a justifié qu’il y ait des parties non affectées en considérant que certains créanciers présentaient un caractère indispensable à la poursuite de l’activité ou que ces créanciers bénéficiaient de garanties particulières. On verra je pense dans les années à venir que la question du sort des parties non affectées va susciter des débats.
Mais pour revenir aux CPA, il y en avait quatre. Les créanciers publics et sociaux privés ont accepté un paiement sur 10 ans, et il a été demandé aux créanciers ordinaires un abandon de 50% avec une clause de retour à meilleure fortune et un étalement des 50 autres % sur 5 ans. Il a été demandé aux préteurs PGE un abandon de 90% avec un règlement des 10% restants sur 2 ans. Ce pourcentage de 90% peut étonner parce que c’est exactement la quotité garantie. Si certains ont pu imaginer que l’abandon ne puisse porter que sur la quotité garantie, les administrateurs judiciaires ont clairement indiqué que ces 90% devaient être répartis bien entendu entre la quote-part garantie et les 10% non garantis, de telle sorte que la garantie a été appelée à hauteur du prorata abandonné. Au moment du vote, sur les quatre CPA, seule la classe des prêteurs PGE a voté contre. Pourquoi a-t-elle voté contre ?
En réalité, compte tenu de la garantie de l’Etat dont elles bénéficiaient, les banques étaient sans doute un peu gênées de voter pour un abandon de 90%, qui était le traitement le plus dur par rapport aux autres créanciers. Politiquement la classe des prêteurs PGE a donc voté contre tout en répondant à la consultation qu’elle comprenait qu’on puisse lui imposer le plan. Le tribunal a pris acte que cette classe avait voté contre et a usé de la faculté lui permettant d’imposer le plan a une classe récalcitrante, sans se poser trop de questions sur le fait que les créanciers de cette classe qui étaient en fait de même rang que les créanciers ordinaires n’ont pas eu le même traitement qu’eux, puisque 90% de leurs créances ont été abandonnées contre 50% pour les créanciers ordinaires. Tout le raisonnement semble avoir été impacté par le fait qu’il y avait cette garantie de l’état de 90%.
CN : Finalement dans ce dossier ce qui est intéressant, c’est que la première partie, c’est à dire la constitution des classes elle-même, a été réglée assez facilement. Il y eu des négociations qui ont pris du temps mais ont permis de trouver une solution. En revanche, la question du rang des classes entre elles n’a pas été véritablement traitée dans ce dossier. Le tribunal a essayé d’être un « bon élève » et d’être assez didactique dans le jugement pour expliquer comment il en était arrivé à valider le plan, en expliquant comment les classes avaient été constituées, en expliquant comme le disait Aymar que la classe des prêteurs PGE avait voté contre le plan mais que les trois autres avaient voté pour, et tentant de faire une application du fameux système d’application forcée interclasse des créanciers.
Cependant nous n’avons pas bien compris où était cette application forcée interclasse, puisqu’en réalité, les créanciers qui ont voté pour étaient les créanciers privilégiés et que la classe qui a voté contre était la classe des prêteurs PGE. Comme le disait Aymar, finalement il n’y avait personne en dessous de cette classe qui de fait avait un meilleur traitement que les autres compte tenu de la garantie de l’Etat dont elle bénéficiait. Donc la fameuse règle de la priorité absolue qui veut que quand une CPA a voté contre, on peut lui imposer le plan pour autant qu’une classe de rang inférieur ne touche rien tant qu’elle aura été intégralement désintéressée, n’avait pas lieu à s’appliquer, puisqu’il n’y avait pas en pratique de classe en dessous la classe des prêteurs PGE. Pourtant le tribunal a tenté de la justifierpar le fait qu’il y n’ait pas de de classe de rang inférieur et surtout que les créanciers privilégiés avaient renoncé à cette application de la règle de priorité absolue. Quelque soit le raisonnement du tribunal,il est utile de voir que c’est un premier plan qui passe malgré une classe qui a qui a voté contre.
AM : L’enseignement que l’on peut en tirer, c’est que le débat sur la constitution des classes est assez simple. En effet, il suffit de créer une classe par créancier qui s’estime dans une situation différente. Par contre, tout le débat sur le rang des classes va être très compliqué, soit il y a une convention de subordination qui le prévoit, auquel cas c’est plus simple, soit il n’y en n’a pas et il peut alors y avoir de vraies discussions sur « qui est devant qui ».
Mayday : Pour revenir sur le traitement des PGE dans les classes de parties affectées, vous avez évoqué le dossier BCM Energy, il y a actuellement le dossier Pierre & Vacances dont les éléments sont publics et dans lequel un PGE va également faire l’objet d’une restructuration. Comment ces PGE sont-ils traités et comment les intérêts de l’Etat sont préservés ?
AM : Concernant le PGE de Pierre & Vacances, il est prévu,après un règlement partiel, que le solde soit converti en actions. La première question est de savoir si la conversion en actions est un cas de défaut ouvrant au bénéfice des prêteurs PGE la garantie de l’état ? Après des hésitations et des discussions il semble que ce soit le cas.
Pour la gestion de ces actions, il est envisagé la mise en place d’une fiducie avec une mission du fiduciaire qui est encore en cours de finalisation. La mission du fiduciaire pourrait être de prévoir une cession de ces actions avec deux bénéficiaires : l’Etat qui aura dédommagé les banques prêteuses à 90% et les banques pour les 10% restants.
C’est donc un second mode de traitement du PGE. Je ne suis cependant pas certain qu’on le retrouve souvent puisqu’il faut que la créance soit convertie en capital. Pierre & Vacances étant une société cotée, il est plus facile de céder les actions issues de la conversion au fil de l’eau, mais ce n’est certainement pas la méthode la plus classique de réaménagement des PGE.
Mayday : Nous avons parlé du dossier BCM qui a été clôturé et de Pierre et Vacances qui est en cours. Il y en a sans doute d’autres que vous pourriez suivre. Quels sont les autres enseignements et réflexions que vous tirez de l’application des classes de parties affectées ?
CN : Il y a un sujet un peu complémentaire à ce que l’on vient de dire et dont nous avions parlé lorsque la réforme est sortie : c’est celui des contours de la notion de détenteur de capital. Comme évoqué au début de cet entretien, une des révolutions de cette réforme est de ne plus considérer les créanciers d’un côté et les actionnaires de l’autre. Aujourd’hui, les créanciers comme les détenteurs de capital peuvent être qualifiés de parties affectées et vont faire partie des classes de parties affectées avec des règles communes. La notion de détenteurs de capital renvoie naturellement aux actionnaires mais peut-être pas seulement. En effet, en regardant plus précisément la manière dont la loi a défini ces détenteurs de capital, on s’est rendu compte qu’il y avait un renvoi de texte malheureux constituant potentiellement « un trou dans la raquette ». La loi qualifie en effet de détenteurs de capital non seulement les actionnaires, mais aussi les titulaires de valeurs mobilières complexes donnant accès à terme au capital.
Typiquement, un détenteur d’ORA, un détenteur d’OBSA avant détachement, va être considéré comme un détenteur de capital pour la constitution des classes de partie affectées. Cela induit un biais potentiellement à leur avantage dans les négociations si tous les créanciers sont chirographaires.
Par exemple, dans un dossier de restructuration que nous traitons actuellement mais qui est confidentiel, une société a dans ses créanciers à la fois des prêteurs bancaires classiques, des prêteurs PGE et des prêteurs détenteurs de valeurs mobilières complexes. Tous ces créanciers ont comme particularité d’être chirographaires. En d’autres termes, ils sont tous un peu dans la monnaie. Il n’y en n’a pas un qui est hors de la monnaie par rapport aux autres. Or cette question d’être, ou non, dans la monnaie, prend toute son importance lorsqu’il s’agit d’appliquer la fameuse règle d’application forcée interclasse entre les classes de partie affectées.
Dans ce dossier où nous sommes encore en phase amiable, la question s’est posée justement pour déterminer les moyens de leviers des différentes parties. Il fallait donc savoir où pouvait aboutir une discussion amiable avec les détenteurs de valeurs mobilières complexes et, en cas d’échec, quelle était le pouvoir de négociation du débiteur ou des autres classes de parties affectées à l’égard de cette classe de détendeurs de capital.
On s’est ainsi rendu compte que si on n’arrivait pas à trouver d’accord amiable et qu’il fallait passer par une procédure de sauvegarde avec constitution et vote des CPA, on ne pourrait pas imposer le plan de restructuration aux détenteurs d’ORA, qui sont dans une classe de détenteurs de capital à part. Or, si cette classe qui est dans la monnaie vote contre le plan, la manière dont l’article L.626-32 pour une application forcée interclasse ne permet pas d’ « écraser » précisément cette classe de détenteurs de capital, ou dit en d’autres termes, de lui imposer le plan voté par au moins une/des autres classes.
Pardon d’avoir été un peu technique, mais cela a été très important dans ce dossier de se rendre compte que toutes les parties étaient contraintes de rester à la table des négociations face ou à côté des détenteurs d’ORA pour réussir à trouver un accord négocié, parce qu’en cas de blocage, la procédure de sauvegarde via le vote des CPA ne permettrait pas de passer outre le vote négatif de cette classe de détenteurs de capital.
Mayday : Vous évoquez les notions « dans la monnaie » et « hors de la monnaie » qui permettent de savoir si en phase liquidative le créancier aurait droit ou non au règlement d’une partie de sa créance. C’est particulièrement technique d’évaluer la valeur d’une société en phase liquidative. Il est encore plus difficile d’évaluer la valeur d’une société en plan de cession, particulièrement en droit français où les questions sociales sont importantes, les charges augmentatives du prix peuvent l’être également. Comment un conseil financier peut appréhender cette valeur en amont afin de déterminer les créanciers qui seront « dans la monnaie » ou « hors de la monnaie » ?
AM : Dans le dossier BCM, le projet de plan prévoyait une analyse faite par un cabinet d’expertise comptable sur la valeur de la société dans toutes les configurations, et avec le montant que pouvait espérer chaque créancier dans chaque situation. Donc il y a eu en amont un travail fait sur les valorisations. Cela ne s’impose pas au tribunal puisque c’est lui qui décide, et peut demander une nouvelle expertise ou ne pas avaliser l’expertise fournie. Il est certain que les plans vont désormais demander beaucoup plus de travaux en amont à la fois sur la constitution des classes de partie affectées et sur la valorisation de la société en activité pour ensuite envisager des hypothèses de répartition du prix selon le mode de répartition en liquidaiton judiciaire. Il faudra ensuite convaincre les parties, le tribunal, que sur la base des hypothèses proposées, tel ou tel créancier est dans la monnaie ou ne l’est pas.
CN : A ce titre, les premiers dossiers de restructuration « dure », c’est-à-dire, pas en sauvegarde accélérée (pré-négociée), seront extrêmement riches d’enseignement.
Pour comparer avec le droit américain qu’on a eu à connaître dans le cadre de la restruturation du groupe CGG, il est certain que l’analyse « liquidative » est plus complexe en droit français. En droit américain, cette analyse liquidative consiste à déterminer le prix que le liquidateur réussirait à obtenir de la cession de tous les actifs en urgence, c’est-à-dire en 3 mois maximum (les « fire sales »). Il n’y a par ailleurs pas cette double notion de liquidation judiciaire ou de plan de cession comme en droit français, donc il y a déjà moins d’hypothèses à évaluer par rapport à ce qu’on a en France.
Il est tout de même certain que les premiers dossiers de restructuration seront très utiles, très riches d’enseignements pour voir comment appréhender, notamment pour les conseils financiers, ces notions qui sont très nouvelles en droit français et pour lesquelles on nous n’avons pas encore beaucoup d’indices.
Mayday : Au vu de tout ce que nous venons d’évoquer, des dossiers en cours, de ceux que vous avez en ce moment à l’étude, est ce que vous vous attendez à une application compliquée de ces nouvelles dispositions avec beaucoup de contentieux ? Ou est-ce que vous pensez que comme cela s’est fait en droit américain, on trouvera in fine une application intelligente, rapide et sécurisée des textes rapide qui convienne à toutes les parties ?
AM : D’une manière générale, le contentieux des procédures collectives est exceptionnel. Pourquoi ? Parce que dans la majorité des dossiers le facteur temps est primordial, et on constate qu’il y a eu soit une adaptation de la loi sur les grands dossiers qui ont posé problème, soit un passage un peu en force du tribunal et une adaptation de la loi qui est venue valider ce passage en force, . Il y a en réalité une attitude pragmatique aussi bien du tribunal, que des praticiens ou des différents acteurs du restructruring. Je pense qu’il y aura plus de modifications de la loi que de contentieux.
CN : Ce qu’on a pu voir justement sous l’égide de l’ancienne loi, la loi de sauvegarde de 2005, c’est que les évolutions majeures, comme le disait Aymar, ont été réalisées un peu au gré des dossiers. On pense à la restructuration d’Eurotunnel qui a entraîné la création de l’assemblée générale unique des obligataires. En somme, ce sont plutôt des modifications effectivement opportunistes et plutôt avec un objectif de préserver les intérêts de la société, en tout cas de la restructuration de la société avant tout.
AM : Dans Technicolor, il y a eu le débat surla nécessité de consulter ou non les créanciers titulaires de TSSDI qui n’étaient que partiellement affectés par le plan. Ça a été plaidé puis une la loi est venue préciser que les créanciers qui n’étaient pas impactés par le plan ne votaient pas. Le constat est qu’en France, lorsqu’il y a des problème il y a une tendance à passer en force pour sauver l’entreprise, et après une adaptation législative.
Propos recueillis par Cyprien de Girval