À l’occasion de la publication du rapport d’information de la Mission d’information commune sur les entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire, Mayday a rencontré Romain Grau, président de la mission et député des Pyrénées Orientales. Face à la crise sanitaire, les les pouvoirs publics ont mis en place une palette de dispositifs de soutien sans précédent pour les entreprises. Toutefois, une nécessité se dégage, préparer l’avenir pour permettre à l’économie française de passer le cap de la crise. Les priorités s’organisent en quatre temps : anticiper la sortie de crise, détecter et accompagner les entreprises en difficulté, renforcer l’efficacité des procédures amiables et collectives et enfin poser les conditions du rebond. À cet effet, le rapport d’information a formulé une liste de 52 propositions détaillées dans le rapport disponible suivant le lien ci-après.
Mayday : Quelle est l’histoire de cette mission ?
Romain Grau : Cette mission a officiellement été créée le 20 janvier dernier et nos travaux ont duré plus de 6 mois. Elle est composée de 23 parlementaires[1] de toutes les tendances de l’Assemblée Nationale et qui viennent de trois commissions différentes, commission des finances, commission des affaires économiques et commission des Lois.
L’année dernière, lors du premier confinement, nous nous sommes tous dit qu’un drame intervenait et nous nous sommes également demandé comment l’économie allait résister à tout cela. Ensuite, rapidement, les pouvoirs publics ont mis en place une réponse, dont on salue la rapidité, le caractère massif et efficace pour sauver un grand nombre d’entreprises. Avant d’en arriver là, tout le monde avait prédit un « mur de faillites », un « tsunami de défaillances ». Cette peur s’est atténuée lors du second semestre 2020 mais elle perdure et reste assez forte tout en ayant été remplacée par la crainte plus structurelle de la « déperfusion » – pour employer une métaphore médicale qui correspond bien à cette situation d’injection lente et continue d’argent public dans la trésorerie des entreprises.
Dans ce contexte global, nous avons décidé d’agir, tant sur les aspects économiques que sur l’évolution du droit des procédures collectives, en créant cette mission. En effet, la représentation nationale et en particulier l’Assemblée Nationale devait se forger des convictions au regard de ce domaine, fondamental pour notre économie.
Mayday : Pourquoi des parlementaires issus de commissions différentes ?
RG : Nous avons bien conscience que le droit des entreprises en difficulté n’est pas que du juridique et particulièrement,, le Livre VI du Code de commerce, cela regroupe également des sujets fiscaux et plus largement économiques. L’idée que nous nous sommes forgés au fur et à mesure de nos travaux c’est que l’on gagne à désenclaver le droit des entreprises en difficulté de la question stricto sensu juridique car nous voyons bien qu’il y a des éléments économiques très importants à prendre en considération.
Mayday : Comment avez-vous procédé ?
RG : Nos travaux nous ont conduit à auditionner formellement plus de 210 personnes et conduit chacun de nombreux autres entretiens nous avons tous également auditionné d’autres personnes. L’idée majeure a été d’écouter les acteurs les plus concernés, ceux qui, chaque jour, se battent pour sauver des entreprises, sauver des emplois et éviter que des créanciers ne perdent leur mise. Pour résumer, il s’est agi de comprendre par nos auditions et nos rencontres ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins.
À titre personnel, outre la région parisienne, je me suis déplacé dans les Bouches du Rhônes, dans les Pyrénées Orientales, en Normandie et dans les Hauts de France. J’ai été en contact avec de nombreuses PME dans la mesure où une attention toute particulière doit être portée sur les petites entreprises, qui sont les plus touchées et qui sont déjà fragilisées par un certain nombre de difficultés structurelles et antérieures à la crise, tenant à la faiblesse de leurs fonds propres, aux difficultés récurrentes de trésorerie et à un niveau d’endettement élevé. Cet endettement, mécaniquement accru par le recours aux PGE, risque de peser, dans le contexte de la reprise, sur les besoins en fonds de roulement et les capacités d’investissement des entreprises françaises.
Mayday : Quelle analyse ressort de votre mission ?
RG : Depuis un an, on constate une baisse de défaillances très importante qui provient des « perfusions » d’argent public – dont tout le monde loue l’efficacité – mais le revers est que beaucoup moins d’entreprises vont au Tribunal. Tout cela a créé un climat favorable au maintien des entreprises. Néanmoins, il s’agit probablement d’un report et nous retrouverons ces entreprises, tôt ou tard, devant les tribunaux.
L’opération du Gouvernement pour éteindre l’incendie et soutenir l’économie est un succès mais malgré tout, on peut s’attendre à une augmentation du nombre de défaillances dans les années à venir, même si cette dernière ne sera peut-être pas d’une grande brutalité. En effet, notre devoir de lucidité doit nous conduire à ne pas nous contenter de ce constat positif. Il n’est pas possible d’occulter les risques pesant sur les entreprises, notamment liés au remboursement de la dette qu’elles ont contractées du fait du bénéfice des PGE ou des reports de charges sociales et fiscales.
Ici, nous sommes dans le même esprit que le navigateur qui doit prendre la mer et qui souhaite ardemment que la tempête ne survienne pas. Mais, dans un souci de réalisme, parce qu’il ne décide pas si la tempête survient ou non, il est préférable de tout faire pour que l’embarcation puisse résister aux orages.
Mayday : Quels sont vos grands constats, les traits saillants de la mission ?
RG : Premièrement, il faut développer l’activité de prévention et mutualiser tous les outils existants. Il convient de renforcer l’efficacité de l’outil « Signaux Faibles » en le rapprochant de l’outil prédictif développé par les greffes des tribunaux de commerce et élargir la cible de cet outil aux entreprises de moins de 10 salariés. Toutefois, « Signaux Faibles » ne pourra pas identifier toutes les entreprises en difficulté, le premier pouvant alerter étant le chef d’entreprise.
Dans la même optique, il convient de diffuser les outils de diagnostic et d’autodiagnostic pour améliorer les capacités de détection des difficultés des entreprises mais également renforcer le rôle de l’expert-comptable en matière de prévention et renforcer l’efficacité de l’alerte donnée par le commissaire aux comptes.
Il faut renforcer l’attractivité des procédures amiables, actuellement plus utilisée par les grands groupes que par les PME. Tout cela est comme la maladie, plus on la prend en amont, mieux ça ira et moins on aura besoin d’avoir une batterie de traitements.
Il convient également d’améliorer le traitement des difficultés en modernisant les procédures pour se donner les moyens de passer le cap de la crise. À titre d’exemple, les plans pourraient avoir une durée de 15 ans, comme dans le domaine agricole. Le juge évaluerait ici la durée nécessaire.
Il faut poser les conditions nécessaires au rebond en permettant un traitement accéléré de la liquidation lorsqu’aucune autre solution n’est possible, favoriser les reprises (reprise par le dirigeant sous condition, dispositif fiscal pour inciter aux reprises), supprimer les stigmates associés aux procédures collectives et garantir le droit à l’oubli. Sur ce point, un changement culturel est nécessaire et un travail sur les sanctions est à mener. Enfin, nous devons mieux protéger le chef d’entreprise, qui prend des risques et est vecteur d’optimisme dans notre société.
Enfin, nous avons eu l’idée de créer un « tribunal des entreprises », lieu de prévention et d’accompagnement pour les entreprises en difficulté. Ainsi, il conviendrait de transférer le contentieux des sanctions au tribunal judiciaire, prévoir une compétence exclusive pour le tribunal de commerce sur l’ensemble des mesures et des procédures relevant du livre VI du code de commerce, quels que soient la nature d’activité ou le statut de l’entreprise et garantir les moyens humains et financiers du tribunal des entreprises, notamment en permettant le détachement d’assistants de justice.
Mayday : Vous évoquez la durée du plan à 15 ans, cette durée serait-elle limitée à certaines natures de dettes comme les dettes « Covid » ?
RG : Oui, l’idée est vraiment de laisser le juge décider. Pour une entreprise qui a principalement des dettes « Covid », passer la durée du plan à 15 ans permet de lui laisser plus de chances pour s’en sortir. Ces possibilités d’extension des plans en sauvegarde et en redressement à 15 ans se feront lorsque les circonstances liées aux difficultés économiques dues à la crise sanitaire le justifient.
Mayday : Vous évoquez également le coût des procédures amiables, que préconisez-vous sur ce point notamment si on le lit à la lumière de la problématique des AGS et du rapport de René Ricol ?
RG : Nous abordons en effet la question des coûts mais quels sont les sujets ? Le coût des procédures collectives en France est inférieur à celui observé en Angleterre, en Allemagne ou aux États-Unis.
Concernant les procédures amiables, ces dernières ont acquis la réputation d’être des procédures très coûteuses, ce qui constitue aujourd’hui un frein à leur attractivité : un chef d’entreprise, déjà en proie à des difficultés financières, est peu enclin à se tourner vers des procédures qu’il imagine dispendieuses. Nous proposons donc d’une part de renforcer la transparence sur les montants des rémunérations des mandataires de justice et d’autre part, s’agissant des TPE, de développer le principe de montants forfaitisés pour les procédures amiables.
En outre, en France, on a une difficulté sur les conseils. Ce qui suscite un émoi est que l’entreprise ne va pas très bien et qu’elle va mettre de l’argent dans des conseils, ce qui parait paradoxal. Au niveau des conseils, le Code de commerce (article L611-16) prévoit que le débiteur prend en charge 75% des honoraires de son conseil et les créanciers 25%, ce qui signifie que le juge commissaire dispose d’un droit de regard sur le montant des honoraires.
Comme cela a été souligné au cours des auditions et comme le montre également le rapport de M. Ricol, ces dispositions sont en pratique très peu respectées, faute d’un contrôle adéquat. Bien souvent, l’entreprise débitrice se retrouve seule à porter la charge de ses honoraires, ce qui est également un facteur d’inflation du coût des procédures. Le juge semble trop peu impliqué pour assurer le respect de cette règle, notamment du fait du caractère essentiellement contractuel de la procédure amiable.
Face à ce constat, nous proposons que les juridictions contrôlent l’application de l’article L. 611-16 du Code de commerce. Pour cela, une solution pourrait être de prévoir un avis obligatoire du parquet au moment de l’homologation du plan, avec une attestation sur l’honneur des différents partenaires.
On peut noter que ces évolutions seraient pleinement cohérentes avec les dispositions de la directive « restructuration et insolvabilité », qui prévoient que soit annexé au protocole d’accord de conciliation homologué, un récapitulatif des frais de conseil mis à la charge du débiteur.
Néanmoins, sur ce point, il convient de faire une dichotomie entre grands groupes et PME. Il ne faut pas s’adresser à toutes les entreprises de la même façon.
Mayday : Vous évoquez la réduction des délais de la période d’observation pour réduire le coût des procédures, que préconisez-vous ?
RG : Lors des auditions, plusieurs acteurs ont déploré la lourdeur de la période d’observation et ont formulé des suggestions en vue d’en améliorer la célérité.
Ainsi, dans le prolongement de la réduction du délai de la période d’observation en sauvegarde prévue dans le cadre de la transposition de la directive « restructuration et insolvabilité », nous envisageons de réduire le délai de la période d’observation en redressement, en prévoyant une durée de 4 mois renouvelable 3 fois (soit 16 mois possibles au total), le premier renouvellement pouvant être obtenu automatiquement et les deux autres nécessitant une requête du parquet.
Mayday : Sur la problématique des salariés protégés dans le cadre de la liquidation judiciaire, la DIRECCTE peut refuser le licenciement du salarié protégé alors que l’entreprise est en liquidation. Comment faire pour traiter ce point ?
RG : Une fois la liquidation ouverte, il faut se dire que tous les salariés sont sous la même ombrelle, qu’ils soient protégés ou non car ce dispositif protecteur trouve tout son intérêt lorsque les licenciements pour motif économique ne concernent qu’une partie seulement des salariés mais il manque de pertinence en cas de liquidation judiciaire.
Nous proposons donc d’introduire une exception à l’application de la protection contre le licenciement des salariés investis d’une fonction représentative, prévue à l’article L. 2411‑1 du Code du travail et suivants, lorsqu’une liquidation judiciaire est ouverte.
Mayday : En pratique, on observe que dans une partie importante des dossiers, il n’y a pas de compétition à la reprise. Comment donner envie de reprendre ?
RG : L’activité de reprise est nécessaire à notre pays. S’il y a plus de repreneurs, il y aura de la concurrence et une pression plus forte sur les repreneurs. Il faut donc développer l’accès à ces marchés par une série de mesures dont notamment une information claire et complète sur les entreprises à reprendre.
Il faut également rendre la reprise plus attractive en réfléchissant à un nouveau dispositif fiscal pour inciter aux reprises.
Il faut favoriser l’attractivité de ce marché, peut-être en incitant les grands groupes à y venir et en sécurisant ce qu’il faut sécuriser. Une fois de plus, la question de la responsabilisé pose problème. Le repreneur d’une entreprise en difficulté se projette dans le meilleur, comme dans le pire. Il faut donc sécuriser le droit des entreprises en difficulté de la détection précoce à la liquidation.
Mais au-delà des questions juridiques, c’est moins le droit que la culture qu’il faut faire évoluer là-dessus.
Mayday : Comment supprimer les stigmates associés aux procédures collectives ?
RG : Un changement culturel est nécessaire mais avec mes 22 collègues, nous ne pouvons pas changer ça en quelques mois. Il faut inciter les chefs d’entreprise à tenter car le pire est une société dans laquelle on ne tente rien. Quand on tente, il peut évidemment y avoir de la casse mais il y a aussi beaucoup de prospérité à la clé. Parfois, notre société française a une asymétrie au risque très forte. La culture entrepreneuriale anglo-saxonne, où l’échec est perçu comme une étape pouvant être valorisée dans le parcours de l’entrepreneur, doit constituer une source d’inspiration.
Les initiatives conduites en ce sens doivent être valorisées, notamment à travers une mise à l’honneur plus systématique des dirigeants passés par une phase de procédures collectives. Plusieurs associations se sont constituées pour valoriser ce type de profil et accompagner, notamment psychologiquement, les chefs d’entreprises concernés (APESA par exemple). Ces dernières jouent un rôle important au stade de la prévention mais aussi dans le rebond du chef d’entreprise, afin de lutter contre les idées reçues, mais persistantes, de la faillite.
Les sanctions doivent également évoluer, les chefs d’entreprise craignent ce qui peut leur arriver à titre individuel.
Propos recueillis par Caroline de Bonville et Cyprien de Girval
[1] Romain Grau, président, Anne-Laurence Petel et Antoine Savignat, rapporteurs et Sophie Beaudouin-Hubiere, Jean-Louis Bricout, Marie-Christine Dalloz, Jennifer De Temmerman, Typhanie Degois, Cécile Delpirou, Christelle Dubos, Stella Dupont, Raphaël Gauvain, Philippe Huppé, Mohamed Laqhila, Christophe Naegelen, Valérie Oppelt, Éric Pauget, Stéphane Peu, Richard Ramos, Rémy Rebeyrotte, François Ruffin, Robert Therry et Marie-Christine Verdier-Jouclas.