Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé, le 19 janvier 2022, la signature d’un accord de place avec la Banque de France et la Fédération bancaire française (FBF), applicable à compter du 15 février 2022. Cet accord permet une modification des conditions de remboursement du prêt garanti par l’État (PGE) afin de soutenir la trésorerie d’entreprises mise à mal par la pandémie de Covid-19. Si la nouvelle a été particulièrement bien accueillie par bon nombre de chefs d’entreprises, il convient d’être prudent quant aux conséquences de cet étalement. Eclairage de Etienne Feildel, avocat associés chez Bruzzo Dubucq et Gaëtan Delmas, juriste chez Bruzzo Dubucq.
1. Le prêt garanti par l’État
Mis en place en urgence lors de la crise sanitaire en mars 2020, le PGE était – avec l’activité partielle et le fonds de solidarité – une des mesures-phares du soutien public permettant aux entreprises de résister aux conséquences de la crise sanitaire.
Une entreprise, à condition de ne pas être exclue du dispositif, qui demande un prêt à sa banque ou à un intermédiaire en financement participatif, peut obtenir une garantie de l’État. Cette garantie s’élève à 70% du prêt et peut même couvrir 90% de ce dernier pour une PME[1].
Le 5 janvier 2022, Bruno LE MAIRE indiquait que les PGE avaient « assuré la protection la plus efficace contre les faillites des entreprises ». La loi de finances pour 2022 (Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021) a ainsi permis de prolonger la possibilité pour les entreprises éligibles de souscrire à un PGE jusqu’au 30 juin 2022.
Les PGE comprennent obligatoirement un différé de remboursement de 1 ou 2 ans. Ainsi, dans l’état actuel de la législation[2], la durée d’amortissement du PGE s’effectue :
- Sur une durée de 1 à 5 ans maximum lorsque le différé a été de 1 an ;
- Sur une durée de 1 à 4 ans maximum lorsque le différé a été porté à 2 ans.
Les grands chiffres autour des PGE[3] :
- Près de 700 000 bénéficiaires depuis Mars 2020 ;
- 94% de ces bénéficiaires sont des TPE et des PME ;
- 60% des PGE accordés s’élèvent à moins de 50 000 euros ;
- 143 milliards d’euros : le montant des prêts accordés, sur les 300 milliards provisionnés ;
- 16% des PGE ont déjà été remboursés en 2021 ;
- Taux de défaut de remboursement actuel 0,6%.
Certaines entreprises, notamment des TPE et PME, ne pourront faire face à l’échéancier de remboursement de PGE initialement prévu. Pour y remédier, plusieurs moyens de restructuration ont ainsi été mis en place.
2. Les procédures préexistantes de restructuration de dettes
- Restructuration directe avec la banque
Une entreprise ayant bénéficié de l’octroi d’un PGE peut, dans le cadre de négociations personnelles avec sa banque créancière, directement étaler son remboursement sur une durée supérieure aux 6 ans contractuellement prévus.
Il convient de noter que la garantie de l’État ne s’étendra toutefois pas au-delà des 6 ans préalablement arrêtés.
- Restructuration dans le cadre d’une procédure de prévention ou collective
L’arrêté du 8 juillet 2021 portant modification de l’article 6 de l’arrêté du 23 mars 2020 prévoit également la possibilité pour les banques d’amortir leurs échéances de PGE au-delà de six ans tout en conservant la garantie de l’État, dans le cadre d’une des procédures suivantes :
- L’accord de « délai de grâce » par décision d’un juge[4];
- La conciliation dont l’accord est constaté ou homologué par un juge ;
- La sauvegarde, la sauvegarde accélérée (SA) et la sauvegarde financière accélérée (SFA)[5];
- La procédure de traitement de sortie de crise ;
- Le redressement judiciaire ;
- La liquidation judiciaire ;
- Le rétablissement professionnel ;
- Les procédures équivalentes à celles susvisées, ouvertes à l’étranger.
Pour remédier de manière plus globale aux difficultés de trésorerie, le ministre de l’Économie a annoncé la révision, après accord de la Commission Européenne, des termes de remboursement des PGE pour les entreprises en grande difficulté.
3. La restructuration des PGE par le Médiateur du crédit
Du fait de l’accord de place du 19 janvier 2022, les entreprises ayant emprunté moins de 50.000 euros de PGE et qui ne seront pas en mesure d’honorer leurs échéances en 2022 peuvent, depuis le 15 février, tenter d’obtenir un aménagement de leur prêt auprès de la médiation du crédit – entité adossée à la Banque de France – et ce de manière gratuite et confidentielle.
Pour les PGE dont le montant est supérieur à 50.000 euros, ce sont les comités départementaux de sortie de crise qui auront compétence pour traiter ces dossiers et accompagner l’entreprise en lui proposant la solution la plus adaptée, en la renvoyant si besoin vers la médiation du crédit.
D’après les projections effectuées, entre 25.000 et 30.000 entreprises devraient demander un étalement de leur PGE, soit un taux de défaut anticipé estimé à 3,8 % des bénéficiaires.
Ce dispositif de restructuration n’est toutefois pas accordé de plein droit aux entreprises. La procédure est décidée au cas par cas et n’est mise en œuvre que si elle est de nature à assurer le redressement de l’entreprise. À ce titre, un certain nombre de conditions sont à respecter :
- Le commissaire aux comptes de l’entreprise, ou à défaut son expert-comptable, doit attester de l’absence de cessation des paiements de l’entreprise et que celle-ci dispose de perspectives commerciales et financières à même d’assurer sa pérennité ;
- L’entreprise ne doit pas avoir déjà bénéficié d’une restructuration de son PGE ou déjà sollicité la médiation du crédit pour une telle restructuration ;
- L’entreprise doit produire la constatation par sa banque que son dossier comporte l’ensemble des pièces à fournir à l’appui de sa demande (bilans, prévisionnels de trésorerie, état des dettes fiscales et sociales…).
Après étude du dossier, la médiation du crédit se prononcera sur l’éligibilité de la demande dans un délai de 48h. En cas d’accord, celui-ci ne pourra porter que sur un prolongement de la durée de remboursement (de 2 ans et par exception de 4 ans) et/ou sur un différé de remboursement du PGE de 6 mois maximum. Cet accord devra être strictement proportionné à la nécessité de la situation de l’entreprise.
Cette procédure ne pourra aboutir qu’avec l’accord unanime de l’entreprise et des créanciers bancaires concernés.
Une fois toutes ces conditions respectées, l’accord conclu à l’issue de la procédure donnera lieu à un constat d’accord signé par l’entreprise, la banque et la médiation du crédit.
Si cette restructuration du PGE peut sembler être une solution pour les entreprises connaissant des tensions de trésorerie, il faut avoir conscience que cet étalement n’est pas sans conséquence.
4. Une restructuration non sans risque
Si, sans surprise, les entreprises et syndicats professionnels se sont majoritairement réjouis de cette possibilité de report et d’étalement des remboursements de PGE, ce sursis est loin d’être sans conséquence pour l’entreprise.
Selon le Médiateur du Crédit auprès de la Banque de France, restructurer un prêt, c’est-à-dire allonger sa durée de remboursement, s’apparente à une rupture de contrat.
Il convient de noter que si cette procédure porte sur le(s) PGE accordé(s) à l’entreprise, elle porte également sur l’ensemble des autres concours bancaires à maturité de l’entreprise (hors crédit-bail, affacturage et concours à durée indéterminée). L’intégralité de ces prêts restructurés risquent alors d’être reclassés comme des prêts « non performants » dans la comptabilité des banques, qui devront alors mettre en place un suivi particulier de ceux-ci.
Les sociétés dont la dette aura été restructurée seront considérées en difficulté pouvant les priver, ou du moins complexifier leur accès à de nouveaux financements.
Cette restructuration générale des dettes d’une entreprise aura encore un impact sur sa cotation Banque de France, qui s’en verra nécessairement dégradée. Il convient toutefois de relever que sont seules notées les sociétés réalisant au moins 750 000 euros bruts de chiffre d’affaires. La quasi-totalité des entreprises ayant un PGE de moins de 50 000 euros – donc celles ayant le plus de risques de défaut et ainsi le plus de chances de procéder à une telle restructuration – ne sont pas notées et ne seront, en conséquence, pas impactées par cette dégradation.
Au regard des conséquences négatives connexes à cette restructuration du PGE par la médiation de crédit, plusieurs solutions alternatives existent et doivent être proposées aux entreprises. Il est ainsi recommandé de consulter un avocat afin d’être renseigné et conseillé de manière idoine sur les différentes possibilités existantes et ainsi, d’établir une stratégie personnalisée.
Par Etienne Feildel et Gaëtan Delmas.
[1] Article 6 I, Arrêté du 23 mars 2020 accordant la garantie de l’État aux établissements de crédit et sociétés de financement
[2] Article 2, Arrêté du 23 mars 2020
[3] Banque de France au 31 décembre 2021 ; FBF – décembre 2021
[4] Article 1343-5 du code civil
[5] La SA et la SFA étant regroupées en une seule procédure depuis l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, la SFA a été supprimée de la nouvelle version de l’article 6