Reprendre une entreprise en difficulté n’est pas plus compliqué, mais différent. Comment financer un projet de reprise ? Quelles sont les garanties à apporter au Tribunal ? Alexis Rapp, Avocat au barreau de Paris, revient sur les spécificités d’une telle opération et sur les modalités de son financement.
Lorsqu’une entreprise est en difficulté et qu’elle n’est pas en mesure d’élaborer un plan de continuation, la cession de son activité (totale ou partielle) peut être envisagée.
Une compétition s’ouvre alors entre différents candidats repreneurs qui élaborent chacun une offre de reprise listant les actifs et contrats qu’ils entendent reprendre. Ces offres détaillent par ailleurs le projet de reprise et, le cas échéant, les conditions à cette offre. Il n’est en effet par rare de voir des offres conditionnées à la finalisation d’un audit, à l’obtention d’autorisations requises au titre du contrôle des concentrations, ou de l’absence, à compter du dépôt de l’offre et jusqu’à l’audience d’audition des candidats repreneurs, de toute modification substantielle ou événement qui viendrait altérer la nature, la consistance, ou la valeur marchande des actifs repris.
Le prix de cession proposé et le projet de reprise seront particulièrement déterminants dans le choix du tribunal. Ce dernier appréciera en effet les offres déposées au vu de trois critères posés par la loi (dans l’ordre) : (i) la poursuite de l’activité de l’entreprise, (ii) le maintien de l’emploi, et (iii) l’apurement du passif.
Ainsi, plus le prix de cession et le projet de reprise seront ambitieux, plus les chances de remporter la compétition seront grandes. Mais, encore faudra-t-il que le candidat repreneur puisse démontrer au tribunal que ces deux éléments sont financés.
Le financement du prix de cession
S’agissant du financement du prix de cession, deux sujets doivent être abordés : sa fixation et les garanties de son paiement.
La fixation du prix de cession
La fixation du prix de cession est totalement libre. Ainsi, il n’est pas rare de voir des offres de reprise prévoyant une cession pour un euro en contrepartie d’engagements financiers importants, tel que par exemple l’engagement de réaliser des investissements massifs à brefs délais.
Il va toutefois de soi que plus le prix de cession proposé sera élevé, plus les chances de remporter la compétition seront grandes. Gare toutefois à ne pas se lancer dans une surenchère déraisonnée puisque la reprise de l’activité de l’entreprise peut potentiellement conduire à devoir supporter une partie du passif du débiteur.
En effet, et même si le principe en plan de cession est que le repreneur ne reprend que l’actif de l’entreprise (et non son passif), cette règle connaît quelques exceptions.
Ainsi, tout d’abord, tout actif grevé d’un droit de rétention ne pourra être transféré au repreneur qu’à la condition que sa créance soit intégralement payée. Il en va de même des actifs faisant l’objet d’une clause de réserve de propriété.
En matière de crédit-bail, l’article L. 642-7, alinéa 5 du Code de commerce prévoit par ailleurs qu’en cas de cession d’un contrat de crédit-bail, le nouveau crédit preneur ne pourra lever l’option d’achat qu’en cas de paiement des sommes restant dues dans la limite de la valeur du bien fixée d’un commun accord entre les parties, ou à défaut, par le tribunal à la date de la cession.
L’article L. 642-12, alinéa 4 du Code de commerce précise en outre qu’en cas de cession d’un actif grevé de sûretés immobilières ou mobilières spéciales garantissant le remboursement d’un crédit consenti pour financer cet actif (soit son acquisition ou des travaux effectués sur ce bien), la charge de ces sûretés est transférée au repreneur. Ce dernier sera alors tenu d’acquitter les échéances restant encore dues au jour du transfert du bien.
En matière de baux commerciaux, il est enfin fréquent de voir des clauses de solidarité ou clause dites de « garanties inversées » imposant au cessionnaire du bail commercial des dispositions solidaires avec le cédant.
Or, si la loi répute non écrite toute clause imposant au cédant en difficulté des dispositions solidaires avec le cessionnaire, les juges du fond donnent plein effet aux clauses de « garanties inversées » au motif notamment que l’article L. 642-7, alinéa 3 du Code de commerce prévoit que les contrats nécessaires au maintien de l’activité dont la cession est judiciairement ordonnée « doivent être exécutés aux conditions en vigueur au jour de l’ouverture de la procédure, nonobstant toute clause contraire ».
Pourtant, en pratique, le bail commercial est souvent le principal actif cessible des petites et moyennes entreprises et ce type de clause peut interdire ou presque toute reprise en plan de cession.
Aussi, le projet de loi PACTE prévoit d’insérer un nouvel alinéa à l’article L. 642-7 du Code de commerce précisant que « toute clause imposant au cessionnaire d’un bail des dispositions avec le cédant est réputée non écrite ».
Ce texte devrait, en principe, être présenté en commission à l’Assemblée Nationale le 4 septembre 2018, étant précisé que le Gouvernement a engagé une procédure accélérée sur ce projet de loi le 19 juin dernier.
La garantie du paiement du prix de cession
Une fois le prix de cession fixé, le candidat repreneur devra ensuite pouvoir justifier au tribunal qu’il est en mesure de le payer.
En pratique, les organes de la procédure collective prévoient généralement, dans leurs cahiers des charges, que le prix de cession sera payé au jour de la signature des actes de cession et qu’une garantie financière (souvent une garantie à première demande) devra être communiquée au plus tard le jour de l’audience d’audition des candidats repreneurs ou qu’un chèque de banque soit remis à cette occasion.
Les candidats repreneurs devront ainsi s’assurer de pouvoir mobiliser et bloquer pendant un certain temps des sommes pouvant être importantes. En l’occurrence, ces sommes (correspondant au prix de cession proposé) seront bloquées, a minima, jusqu’au jugement désignant le candidat choisi par le tribunal et, pour le candidat retenu, jusqu’au jour de la conclusion de l’acte de cession qui peut intervenir plusieurs mois après le jugement de cession.
Il est à noter que tant que le prix de cession n’aura pas été intégralement payé, le cessionnaire ne pourra, à l’exception des stocks, aliéner ou donner en location-gérance les actifs repris. De plus, la loi précise que seul le paiement du prix de cession emporte purge des inscriptions grevant les actifs repris. Si le prix de cession n’était pas payé en intégralité par le repreneur, la résolution du plan de cession pourrait alors être prononcée.
Le financement du projet de reprise
L’offre de reprise devra contenir une présentation précise du projet économique et industriel du repreneur.
Elle devra en outre contenir tout élément justifiant de la viabilité et de la pérennité financière du projet. En pratique, les candidats repreneurs fourniront ainsi au tribunal un business plan et un prévisionnel de trésorerie (d’au minimum 3 ans) mettant en avant les synergies existant entre le débiteur et le repreneur, synergies permettant de générer des économies d’échelles et une augmentation des revenus.
Par ailleurs, un plan de financement sera généralement joint à l’offre de reprise détaillant les sources de financement du BFR et des investissements à réaliser.
A noter que la relance d’une activité en difficulté est consommatrice de cash. Les premiers mois du plan du financement devront ainsi révéler une injection significative de trésorerie afin de rassurer le tribunal quant à la capacité du repreneur de redémarrer au plus vite l’activité.
Le repreneur devra, également mais surtout, pouvoir démontrer au tribunal que le financement du projet de reprise est totalement assuré. Idéalement, ces financements devront résulter d’apports en fonds propres ou en compte courant avec un recours limité à l’endettement. L’objectif étant d’éviter au maximum les faillites en cascade, à l’image par exemple du dossier Bata dans lequel le repreneur a fait l’objet lui-même d’un plan de cession un an après la reprise.
De plus, et afin de s’assurer de l’exécution des engagements pris par le repreneur (maintien de l’emploi, réalisation des investissements,…), il est fréquent que les organes de la procédure collective et/ou le tribunal exigent la mise en place de garanties, telles que par exemple un cautionnement ou une garantie à première demande consentie par une entité tierce solvable (idéalement une société opérationnelle localisée en France).
A noter enfin, et on le voit de plus en plus fréquemment, que dans des dossiers à enjeux stratégiques (industriels et/ou sociaux), les pouvoirs publics peuvent accepter, sous certaines conditions, d’accompagner financièrement un projet de reprise.
Dans le cadre de la reprise de Doux, la région Bretagne a ainsi accepté de financer une partie du projet de reprise et même, c’était une première, d’entrer au capital d’une des sociétés de reprise.
Il peut en outre arriver que des candidats repreneurs conditionnent leurs offres à l’obtention de subventions/aides publiques. Ainsi, par exemple, dans le dossier Ascometal, des candidats repreneurs (dont le candidat retenu par le tribunal), avaient structuré leurs offres de reprise en fonction du déblocage d’un prêt FDES.
Ces aides publiques sont toutefois exceptionnelles et sont strictement encadrées, au vu notamment de la règlementation des aides d’Etat.
Sur l’auteur : Alexis Rapp est avocat au sein du cabinet De Pardieu Brocas Maffei. Il intervient en droit des entreprises en difficulté, contentieux des procédures préventives et collectives ainsi qu’en restructuration de dettes.
Pour en savoir plus : Alexis Rapp