Mayday a noué un partenariat avec le master ALED de l’Université Jean Moulin Lyon 3 qui forme, sous la direction du professeur Nicolas Borga, les futurs professionnels du retournement, afin que ses étudiants nous proposent chaque mois un éclairage sur les jurisprudences qui impactent la pratique. Plus qu’un éclairage, il s’agit d’un lien privilégié que Mayday entretient avec les étudiants du Master ALED, afin qu’ils participent à décrypter le droit des entreprises en difficulté et que cela soit pour eux l’occasion de présenter cette formation de haut niveau. Cette semaine, Ombline Setrich-Aufrère et Corentin Grellier, étudiants en deuxième année du Master ALED, nous livrent leur éclairage sur l’arrêt de chambre commerciale de la Cour de cassation du 9 septembre 2020 n°18/12444.
Cour de Cassation : Chambre commerciale (Cass. com. 9 sept 2020 n°18-12444)
En droit des sociétés, l’intérêt social fait traditionnellement l’objet de discussions doctrinales passionnées, mais il tend de plus en plus à être envisagé comme correspondant à l’intérêt propre de la société, dont le représentant légal est garant, sans se confondre avec l’intérêt commun des associés évoqué à l’article 1833, al. 1er, du Code civil. Dans le cadre de la loi PACTE du 22 mai 2019, le législateur ajoute au second alinéa de ce texte que « la société est gérée + dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
Ces débats ne sont pas purement académiques, comme on a pu l’observer avec l’arrêt rendu le 13 Janvier 2021 par la Cour d’appel de Toulouse dans le dossier BVA. En effet, en considérant que favoriser les intérêts des obligataires contredit l’intérêt social de la société cible et que « l’esprit même de l’entreprise n’est pas dicté par une logique financière », la Cour censure le jugement du tribunal de commerce arrêtant le plan de cession d’une société après avoir relevé l’impossibilité d’un plan de redressement faute d’accord entre les obligataires.
La prise en considération de l’intérêt social peut être encore plus délicate dans une logique de groupe, et plus particulièrement lors du rachat d’une société cible au moyen d’un LBO comme l’illustre l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 septembre 2020 (Cass Com 9 sept 2020 n°18-12444).
En l’espèce, une société a fait l’objet d’une cession par le biais d’une opération de LBO au profit d’un fond d’investissement suivie de sa transformation en société par action simplifiée. Le 30 mars 2010, cette dernière s’est placée sous la protection du tribunal de commerce de Nancy en sollicitant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire aboutissant à l’arrêté d’un plan de cession le 11 août de la même année. La trésorerie insuffisante de la société cible a, par la suite, conduit à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 29 septembre 2010. Deux co-liquidateurs ont été désignés et ont assigné le dirigeant ainsi que deux membres du conseil d’administration de ladite société en responsabilité pour insuffisance d’actif.
Le tribunal de commerce de Nancy, dont la décision a été confirmée en appel, a retenu la responsabilité du représentant légal de la société cédée en caractérisant une faute de gestion par une remontée de dividendes disproportionnée au profit de la société mère. Dans son pourvoi, le dirigeant de la société cible contestait une quelconque faute au motif qu’une opération de LBO implique « le remboursement de la dette d’acquisition par les dividendes versés par la société reprise à la holding qui en détient le contrôle ». La Cour de cassation a toutefois rejeté son pourvoi, considérant que « la décision de verser les dividendes doit être prise au regard de la situation de l’entreprise et de sa trésorerie, quand bien même ces dividendes devraient être affectés dans le cadre d’une opération de LBO ».
Le pouvoir du dirigeant justifié par l’impératif de protection de l’intérêt social de sa propre société
L’élaboration d’un montage financier tel qu’un LBO invite instinctivement à s’interroger sur la notion de pouvoir au sein d’un groupe de sociétés dans un souci de détermination des personnes qui en sont les réelles dépositaires. En effet, le mandat social octroie à son titulaire un pouvoir de représentation, de direction et de gestion, impliquant une obligation de prendre les mesures nécessaires à la préservation de l’intérêt social. Néanmoins, il doit nécessairement composer avec la volonté des associés, auxquels revient la décision de distribuer les dividendes à l’occasion de l’assemblée générale annuelle, ou de manière exceptionnelle, à l’occasion d’une assemblée ultérieure.
L’article L 227-5 du code de commerce précise que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la SAS est dirigée. En l’espèce, l’article 13 des statuts prévoyait que le président dirige et administre la société et qu’il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social et sous réserve des pouvoirs attribués à l’associé unique par les dispositions légales ou les statuts. Il était précisé que cette limitation de pouvoirs ne s’applique pas au président de la société qui a la qualité d’associé unique. L’article 15 des statuts de la SAS indiquait cependant que les pouvoirs du président sont limités à certains actes, notamment en ce ?qui concerne la proposition de distribuer des dividendes pour laquelle il devra obtenir l’approbation du conseil d’administration.
Une éventuelle pluralité de sources décisionnelles de ce type n’est pas sans conséquences. Elle a par exemple permis à la jurisprudence d’écarter toute responsabilité du dirigeant (Cass.com 16 déc 2014 n°13-25028). Les faits étaient similaires au cas d’espèce : un financement de l’acquisition d’une société cible au moyen d’une remontée de dividendes disproportionnée entraînant sa perte. Or les juges n’avaient pas retenu la responsabilité des représentants légaux au motif que « les décisions stratégiques échappent aux dirigeants de la société cible » et étaient détenues par les actionnaires. Elle a également précisé que leur était étranger la mise en place d’une opération obligeant la société à verser chaque année des dividendes importants à la holding en constatant une absence « d’autonomie de décision ».
Dans l’arrêt du 9 septembre 2020, la Cour de cassation admet toutefois que le dirigeant d’une SAS n’est pas démuni face au déclin de sa société en raison de la vampirisation de ses ressources financières par la société mère. En effet, il a la possibilité de faire remonter aux actionnaires toutes difficultés rencontrées par sa société et par voie de conséquence de satisfaire à l’obligation de protection de son intérêt social. Or, la Cour de Cassation considère en l’espèce que le dirigeant commet une faute de gestion en omettant d’alerter les actionnaires sur la dégradation de la situation financière de sa société au moyen de propositions sur les délibérations au vote des actionnaires dans le but de réajuster la distribution de dividendes. Il prive ainsi la société de réserves anciennes qui auraient pu être affectées au règlement des dettes échues, entraînant ainsi sa liquidation judiciaire. La Cour de cassation considère également que le lien de causalité est démontré dans la mesure où par ses agissements, le représentant légal de la SAS a privé la société cible d’une trésorerie qui aurait permis de retarder sa cessation des paiements et donc de désintéresser ses créanciers au mieux.
En considération du pouvoir dont dispose le représentant légal d’une société au regard de la distribution de dividendes, la Cour de cassation confirme le jugement de la Cour d’appel de Nancy en retenant la responsabilité du dirigeant sur la base de l’article L 651-2 du code de commerce en raison de la faute de gestion du dirigeant ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société.
Il convient de relever que ce raisonnement n’est pas sans précédent puisque la Chambre commerciale de la Cour de Cassation avait déjà, par le passé, considéré qu’une distribution de dividendes disproportionnée, contribuant à l’accélération de l’état de cessation des paiements et in fine à l’insuffisance d’actifs d’une société avait bel et bien un caractère fautif. (cass.com 25 oct. 2011 n°10-23671)
L’arrêt d’espèce fait donc application de ce raisonnement au cas particulier d’une opération de LBO prenant une tournure dommageable, en précisant que le sacrifice de la société cible ne peut être envisagé comme une issue à privilégier dans l’unique but de satisfaire aux intérêts de sa holding.
Par Ombline Setrich-Aufrère et Corentin Grellier
Ombline Setrich-Aufrère a intégré le Master Restructuration et Traitement des Entreprises en difficulté où elle réalise actuellement son Master 2 après une licence en droit réalisée à l’université de Nice Sophia Antipolis.
Corentin Grellier a décidé de s’orienter s’orienter en droit des entreprises en difficulté et intègrera ainsi le Master Restructuration et Traitement des entreprises en difficulté de l’université Jean Moulin Lyon 3 où il réalise actuellement son Master 2 après une premier Master en Droit des Affaires à l’Université de Bordeaux.