Mayday a rencontré Reinhard Dammann, Avocat Associé chez Clifford Chance et Professeur Affilié à Sciences Po Paris, à l’occasion de la parution de son ouvrage, Le droit de l’insolvabilité internationale, co-écrit avec Marc Sénéchal, Mandataire Judiciaire Associé chez BTSG et Président d’Honneur du Conseil National des Administrateurs Judiciaires et Mandataires Judiciaires. Une occasion unique de pouvoir échanger avec l’un des plus grands spécialistes en matière de faillite internationale sur son expérience et sur les projets de réforme en cours.
Mayday : Vous publiez avec Marc Sénéchal un ouvrage sur le droit de l’insolvabilité internationale. Cet ouvrage académique est-il d’abord le fruit de votre expérience en matière de faillite internationale ?
Reinhard Dammann : Je suis avocat au barreau de Paris, de nationalité allemande et titulaire d’un doctorat de droit allemand de l’Université de Munich. J’exerce au sein d’une structure internationale et j’ai travaillé pas seulement en France mais également en Angleterre, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie, en Suisse et au Luxembourg.
Avec Marc Sénéchal, nous avons participé à la plupart de dossiers des procédures d’insolvabilité et de restructuration transfrontalières au cours des 15 dernières années. J’étais membre des plusieurs groupes d’experts auprès de la Commission européenne et des gouvernements français et allemand sur l’ensemble des projets de réforme.
Le droit international privé a une complexité particulière. Il s’est construit de façon prétorienne, c’est-à-dire par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et des tribunaux des États membres.
Pourtant, nous vivons dans un monde dématérialisé et internationalisé. Dans ce contexte, nous avons décidé qu’il était nécessaire de présenter d’une manière exhaustive et claire l’ensemble des règles applicables aux procédures d’insolvabilité internationale, qui concernent de très nombreuses entreprises. Aujourd’hui, pour des raisons fiscales notamment, de nombreuses PME placent leurs marques au Luxembourg ou aux Pays Bas dans des sociétés holding, alors que les licences sont détenues en France. En cas de faillite, la question de la localisation de ces actifs est absolument essentielle et doit donc être anticipée.
Mayday : Votre ouvrage est le premier à reprendre l’ensemble des règles de droit international de l’insolvabilité. Pourriez-vous nous dire à qui s’adresse-t-il et quel est son objectif ?
RD : Comme je vous le disais, avec Marc Sénéchal, nous avons traité la plupart des dossiers de faillite internationale des 15 dernières années. Cet ouvrage en est le fruit et s’adresse principalement aux praticiens.
Nous avons souhaité expliciter l’ensemble des règles qui concernent cette thématique, afin de rendre accessible une matière qui est complexe. La France est un pays de droit codifié, mais son droit international privé est d’origine prétorienne. De la même manière, pour comprendre le règlement insolvabilité, il faut connaître la jurisprudence de la Cour de justice et des tribunaux des États membres.
Dans cet ouvrage nous expliquons donc autant le droit international privé que le droit de l’Union européenne.
Très concrètement, le livre donne le mode d’emploi, les clés du raisonnement de la Cour de justice. Aussi, nous avons analysé l’ensemble des arrêts rendus par la Cour de justice en matière de règlement insolvabilité. Cette analyse est renforcée par mon expérience personnelle. En effet, j’ai eu le privilège de plaider devant la Cour de justice au Luxembourg. Ainsi, j’ai acquis une compréhension particulière de son fonctionnement. A cet égard, on observe que la Cour n’a pas toujours suivi la doctrine française et allemande. Nous avons privilégié une analyse de la jurisprudence pour permettre aux praticiens de se faire une idée précise des solutions pratiques des problèmes concerts qui se posent dans la pratique des affaires.
A ce titre, il faut rappeler que dans un premier temps, le règlement insolvabilité n’a fait l’objet que de peu d’arrêts de la Cour de justice. Cela s’explique par le fait qu’initialement seules les juridictions de dernière instance des États membres pouvaient saisir la Cour des questions préjudicielles. Sur ce point, le Traité de Lisbonne a changé la donne.
Par conséquent, entre 2000 (date d’entrée en vigueur du premier règlement) et 2006, il n’y a aucun arrêt de la CJUE. Les commentateurs étaient livrés à eux-mêmes. Le premier grand arrêt fondateur n’a été rendu par la CJUE qu’en mai 2006 dans la faillite emblématique du Parmalat en Italie. L’arrêt Eurofood a précisé le concept de COMI, qui est la notion clé pour déterminer la compétence juridictionnelle.
Ce n’est qu’à partir de 2009, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui a autorisé les juridictions de première instance à adresser des questions préjudicielles, que la Cour de justice a entamé une forme d’harmonisation dans l’interprétation des textes à travers une série de décisions importantes.
Mayday : Le droit international de l’insolvabilité forme un ensemble de normes très important. Que couvre votre ouvrage ?
RD : Nous passons en revue l’ensemble des règles de la matière, de l’interprétation au champ d’application du règlement insolvabilité, en passant par la compétence juridictionnelle, la loi applicable, ou encore l’articulation entre la procédure principale et secondaire.
Nous essayons toujours d’illustrer l’application des règles à travers les dossiers que nous avons personnellement connus. Nous nous sommes bien sûr appuyés sur le nouveau règlement insolvabilité, qui, sur beaucoup de points, ne fait qu’entériner des solutions jurisprudentielles antérieures. Nous évoquons par exemple les nouveautés relatives à la création d’une procédure secondaire synthétique, au développement de laquelle nous avons participé avec Marc Sénéchal dans le dossier Emtec, ainsi que les nouveautés portant sur les procédures concernant les groupes de sociétés.
Nous traitons également des problématiques de droit international privé, à travers notamment l’affaire de Khalifa Airways où Marc Sénéchal était le liquidateur, ainsi que des problématiques d’insolvabilité bancaire. J’ai en effet acquis une expérience importante en matière de faillite bancaire, ayant traité les dossiers du Crédit Lyonnais, de Dexia, du Crédit Immobilier de France et de la BESV Portugal notamment.
Enfin, nous traitons la question de l’intervention de l’AGS dans les procédures d’insolvabilité transfrontalières.
« Notre droit doit favoriser une restructuration financière le plus tôt possible lorsqu’elle est envisageable. »
Mayday : L’Union Européenne est en train de refondre le droit communautaire de l’insolvabilité. Évoquez-vous dans votre ouvrage ces travaux prospectifs ?
RD : Oui absolument, nous avons rédigé un chapitre prospectif sur l’harmonisation des droits nationaux des procédures collectives.
Il faut savoir que le droit français est leader en Europe en matière de procédures préventives. L’Angleterre a essayé de nous copier à travers la procédure du « scheme of arrangement », mais celle-ci s’avère très onéreuse.
La France a donc une carte à jouer dans le cadre du Brexit. En effet, en cas de hard Brexit ou de no deal, le règlement insolvabilité ne sera plus applicable dans les relations avec le Royaume Uni. L’Angleterre a transposé les règles de la CNUDCI sur la reconnaissance des jugements en matière de procédures collective, comme l’ont fait d’ailleurs les Etats Unis dans le Chapter 15 de leur Bankruptcy code. L’ouverture d’une procédure collective en France n’est donc plus automatiquement reconnue au Royaume Uni et vice versa. La même observation s’applique pour l’ensemble des décisions se rattachant intimement à la procédure d’insolvabilité. Post-Brexit, il faut donc appliquer le droit international privé de droit commun. C’est-à-dire qu’il faut obtenir la reconnaissance des décisions par voie d’exequatur, qui est peu attractive. Enfin, le Brexit risque de changer la donne en matière de financements internationaux et en droit de sûretés.
A ce titre, dans notre ouvrage, nous évoquons notamment les sûretés personnelles et réelles. Nous décryptons le régime de ces sûretés en cas de procédure collective, dans un contexte international.
Mayday : Le règlement communautaire intègre la procédure dite du prepack, mais n‘intègre pas les procédures préventives et donc la conciliation, quand bien même celle-ci est une condition de mise en œuvre du prepack. Ne peut-on pas y voir une incohérence ?
RD : Les procédures préventives sont confidentielles par nature et n’impliquent pas qu’il y ait une suspension des poursuites. Pour ces raisons, elles ne peuvent pas être appréhendées par le règlement insolvabilité.
En réalité, ce n’est pas une difficulté. Les règles de droit international privé sont parfaitement adaptées. Si la majorité des créanciers, qu’ils soient nationaux ou étrangers, acceptent de venir en France pour renégocier la dette, cela suffit pour ouvrir une procédure de conciliation en France. Le lieu où se passent physiquement les négociations attachées à la restructuration de la dette est très important. Cela permet ensuite d’ouvrir une procédure collective et ainsi de réaliser un prepack. Sur ce point, on peut se référer à la jurisprudence Eurotunnel.
Le lieu de la négociation participera d’ailleurs à convaincre la juridiction saisie que le COMI se situait bien en France, en application du règlement insolvabilité.
En droit interne, nous avons des mêmes règles analogues. Ainsi, lorsqu’une procédure préventive a été ouverte par un tribunal, ce dernier est également compétent pour ouvrir les procédures collectives subséquentes. En effet, le regroupement des procédures devant un seul tribunal est primordial, surtout pour un groupe de sociétés, pour s’assurer de la coordination entre les organes de la procédure, qui doivent avoir une vision globale de l’affaire dont ils ont à connaître. Bien entendu, les éventuels conflits d’intérêts intra-groupe doivent être traités au cas par cas. Sous cette réserve, le regroupement des procédures est toujours bénéfique.
Mayday : La Loi PACTE prévoit l’évincement d’un actionnaire récalcitrant en procédure préventive et s’inspire pour cela du droit allemand. Est-il vraiment bénéfique de transposer en France une règle de droit allemand qui s’inscrit dans une culture économique très différente de la nôtre ?
RD : La loi Pacte doit transposer la future directive restructuration, qui prévoit en particulier, la création de classes de créanciers. Les actionnaires devront se prononcer sur le plan de restructuration et pourraient être mis en minorité. Dans une logique purement financière leur exclusion pourrait être justifiée car ils doivent assumer les pertes en droit des sociétés.
Cela étant, il faut trouver un équilibre. La procédure préventive doit être attractive pour le débiteur, qui doit solliciter son ouverture dès que possible. Il doit alors rester maître de son destin. C’est la raison pour laquelle, la directive prévoit que l’exclusion d’un actionnaire (minoritaire) – à travers un mécanisme de cross-class cram-down – ne pourra se faire qu’avec l’accord du débiteur.
Ainsi, la nouvelle réglementation est très équilibrée. Le débiteur, qui s’exprime via son représentant légal, devra donner son consentement à l’accord de restructuration. Au demeurant, le dirigeant est garant de l’intérêt social et il est parfaitement légitime qu’il puisse prendre une telle décision.
On assiste ici à un déplacement de la chaîne de responsabilité de l’actionnaire vers le mandataire social. Cela permettra d’éviter le blocage par des actionnaires qui ont déjà objectivement tout perdu et de créer de nouveaux équilibres, que je trouve très intéressants.
« La réforme que j’appelle de mes vœux consiste à restaurer l’efficacité des sûretés classiques afin de mettre un terme à l’hypertrophie du crédit-bail immobilier et mobilier, afin de réduire le coût du crédit »
Mayday : Le projet d’harmonisation va permettre à un créancier d’opérer, avec l’accord du dirigeant, une prise de contrôle de manière plus facile qu’avant. Pour autant, les banquiers français ne semblent pas demandeurs de prendre le contrôle des débiteurs. Cette loi va-t-elle réellement faire bouger les lignes ?
RD : Le lender-led, c’est-à-dire, la prise de contrôle du débiteur par ses créanciers, à travers une conversion de créances en capital, est assez rare en France. L’exemple emblématique est le dossier de la SAUR qui fût une réussite très intéressante pour les créanciers bancaires. Ce succès semble s’expliquer par le secteur d’activité.
En effet, si le débiteur doit mettre en place des opérations de restructuration opérationnelle lourdes, les créanciers banquiers préfèrent céder leurs créanciers sur le marché secondaire de la dette. Ainsi, dans les dossiers Vivarte et CGG, les prêteurs d’origine ont cédé leurs créances à des fonds de retournement (activistes).
Cela étant, notre droit doit favoriser une restructuration financière le plus tôt possible lorsqu’elle est envisageable. Les créanciers bancaires peuvent avoir intérêt à y participer ou à céder leur position dans les meilleures conditions possibles. En cas d’échec de la mise en place du plan de restructuration financière, il faut pouvoir céder l’entreprise le plus tôt possible à un repreneur. En dernier recours, la liquidation judiciaire doit être faite exclusivement en faveur des créanciers.
Le débiteur doit perdre le contrôle à mesure que les difficultés grandissent. En cas de liquidation judiciaire, l’intérêt des créanciers doit absolument primer.
Il ne faut pas perdre de vue que l’absence de prise en compte de l’intérêt des créanciers a un effet mécanique sur l’augmentation du coût du crédit notamment à travers le développement du crédit-bail.
En effet, les banquiers hésitent aujourd’hui à consentir de nouveaux concours à des entreprises dont ils détectent les premiers signes de faiblesse et qui ont donc besoin de leur soutien.
C’est pourquoi, la réforme que j’appelle de mes vœux consiste à restaurer l’efficacité des sûretés classiques afin de mettre un terme à l’hypertrophie du crédit-bail immobilier et mobilier, afin de réduire le coût du crédit. Il faut s’inspirer de ce qui fonctionne à l’étranger et d’adapter ces solutions à notre culture juridique et aux spécificités de notre tissu économique.
Mayday : Vous évoquez la mise en œuvre de ces mécanismes dans certains dossiers, souvent à dimension internationale et toujours d’une taille très significative. Les rapports de force semblent différents dans des dossiers plus modestes à la structure financière plus simple. Faudrait-il deux droits, l’un pour les petits débiteurs et l’autres pour les gros débiteurs ?
RD : Vous avez raison de souligner qu’un chef d’entreprise d’une PME n’a pas les mêmes leviers de négociation qu’une société du CAC 40. Cela étant, le droit des entreprises en difficultés doit être le même pour tous. On peut envisager des dérogations en fonction de la taille des entreprises, mais il ne faut pas créer un droit discriminatoire.
Ainsi, notre droit doit prendre en considération les spécificités des PME ou des TPE, mais il ne faut pas que les effets de seuils engendrent des conséquences perverses et empêchent la croissance des entreprises.
Propos recueillis par Cyprien de Girval
Reinhard Dammann est Avocat Associé chez Clifford Chance et Professeur Affilié à Sciences Po Paris. Il intervient sur des problématiques d’insolvabilité et de restructuration internationale et transfrontalières.
Pour en savoir plus : Reinhard Dammann