Le prepack cession en 6 chroniques, par Arnaud Pédron, avocat directeur au sein de la ligne de services “Entreprises en Difficulté” du cabinet Taj. A travers cette troisième chronique, Arnaud Pédron revient sur la première phase du prepack cession qui consiste à concevoir le projet de reprise en phase amiable.
Mandat ad hoc ou conciliation ?
Le plus souvent, lorsque l’on évoque le prepack cession, on pense immédiatement à l’ouverture préalable d’une procédure de conciliation.
Il est vrai que dans sa première phase, le prepack cession n’est prévu dans le Code de commerce qu’en cas d’ouverture d’une procédure de conciliation (article L.611-7 alinéa 1 du Code de commerce).
Mais il est également possible d’organiser la première phase du prepack cession dans le cadre d’un simple mandat ad hoc, sans même passer par la procédure de conciliation.
Ce constat résulte des dispositions de l’article L.642-2 alinéa 2 du Code de commerce qui traitent de la seconde phase du prepack cession et que nous présenterons dans la chronique N°4.
Les conditions d’ouverture du mandat ad hoc et de la conciliation vont souvent déterminer le choix entre ces deux outils amiables et confidentiels de prévention des difficultés.
Dans le cas du mandat ad hoc, l’entreprise ne doit pas être en cessation des paiements, situation où elle ne peut plus faire face à son passif exigible avec ses actifs disponibles. Notons que cette condition n’est pas prévue par le Code de commerce mais exigée en pratique lorsqu’il s’agit d’analyser la demande d’ouverture du mandat ad hoc.
Alors que dans le cas de la conciliation, l’entreprise peut déjà se trouver en cessation des paiements mais pas depuis plus de 45 jours. L’entreprise doit en outre éprouver une difficulté juridique, économique ou financière avérée ou prévisible, conditions non requises pour le mandat ad hoc.
Si l’entreprise devient insolvable en cours de mandat ad hoc, il sera toujours possible de clôturer le mandat ad et d’ouvrir une conciliation.
Le temps nécessaire pour préparer le prepack cession dans sa première phase est aussi un paramètre qui va déterminer le choix entre mandat ad hoc et conciliation.
En effet, le mandat ad hoc n’est pas enfermé dans une durée maximale. En pratique, il est le plus souvent ouvert pour une période de 3 mois et prorogé ensuite pour une nouvelle période de 3 mois et ainsi de suite sans limite de temps.
Au contraire, la conciliation est enfermée dans une période maximale de 5 mois.
Donc si les parties ont besoin de beaucoup de temps pour préparer l’opération de reprise et que l’entreprise n’est pas déjà en cessation des paiements, le dirigeant optera le plus souvent pour un mandat ad hoc plutôt qu’une conciliation.
Dans le cas contraire (urgence et situation financière plus dégradée), il optera pour la conciliation.
Une procédure amiable dédiée dès le début au prepack cession ou modifiée en cours de route pour rendre possible le prepack cession ?
Dans le cas du mandat ad hoc, le contour de la mission confiée au mandataire ad hoc est totalement flexible, le Code de commerce ne précise rien à ce sujet.
Cette mission peut donc à la fois comprendre dès le départ un volet de négociation avec certains créanciers et un volet de vente de l’entreprise dans le cadre d’un prepack cession.
La mission initialement exclusivement dédiée au volet négociation avec les créanciers peut également être étendue en cours de route au volet vente ou être dédiée, dès l’ouverture du mandat ad hoc, exclusivement au volet vente.
S’agissant de la conciliation, la mission du conciliateur est déjà plus encadrée.
L’article L.611-7 alinéa 1 du Code de commerce prévoit 2 catégories de missions traditionnelles du conciliateur :
- « Favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise »
- « Présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l’entreprise, à la poursuite de l’activité économique et au maintien de l’emploi »
Ce même article envisage également une troisième catégorie de mission : le conciliateur « peut être chargé, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d’une mission ayant pour objet l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ». C’est le prepack cession.
La rédaction de cet article peut laisser à penser que le volet vente intervient nécessairement dans un second temps et nécessite donc une extension de la mission du conciliateur.
Il n’en est rien.
En effet, l’article R.611-26-2 du Code de commerce précise que cette demande donne lieu à une ordonnance du président du tribunal qui « détermine ou modifie » la mission du conciliateur.
Si le président « modifie » la mission du conciliateur, c’est bien qu’une mission première (ne comprenant pas le volet vente) lui a déjà été confiée.
A l’inverse, le choix de l’alternative à la modification : « le président détermine » signifie que cette mission de vente peut être exclusive des deux autres missions et/ou qu’elle peut être prévue dès la première demande qui n’aurait donc plus à être « modifiée ».
Donc deux solutions sont possibles en cas de conciliation :
- Une conciliation exclusivement tournée vers le Prepack cession dès son ouverture ; ou
- Une conciliation classique tournée vers la conclusion d’un accord avec les créanciers avec une extension de la mission du conciliateur au volet vente en cours de conciliation (pour permettre le prepack cession).
Cette seconde option présuppose l’échec relatif de la conciliation. Ce n’est que dans ce cas qu’il convient de consulter les créanciers qui avaient accepté de participer à la négociation d’un accord dans le cadre d’une conciliation qui va finalement changer radicalement d’objectif.
Un déroulé en plusieurs étapes
Dans sa première phase, le prepack cession suit cette chronologie :
- Rencontre informelle avec le mandataire ad hoc ou le conciliateur pressenti
Le dirigeant, le plus souvent accompagné de son conseil qui l’accompagnera durant tout le processus, commence par se rapprocher d’un ou plusieurs professionnels de l’insolvabilité de son choix (le plus souvent un administrateur ou un mandataire judiciaire mais ce n’est pas obligatoire) acceptant d’occuper la fonction de mandataire ad hoc ou de conciliateur pour lui exposer les difficultés de son entreprise, la mission qui pourrait lui être confiée (contour et durée) et convenir avec lui des modalités de sa rémunération.
- Demande d’ouverture de la procédure amiable
Le dirigeant dépose auprès du président du Tribunal de commerce compétent, une requête aux fins de désignation du mandataire ad hoc ou d’ouverture d’une procédure de conciliation.
- Ouverture de la procédure amiable
A l’issue d’un entretien avec le dirigeant, le président du Tribunal de commerce (ou un juge délégué) rend une ordonnance qui nomme le mandataire ad hoc ou ouvre la conciliation.
- Extension de la mission du mandataire ad hoc ou du conciliateur
En cours de conciliation initialement exclusivement dédiée à la négociation avec les créanciers, si le dirigeant souhaite opter pour la solution du prepack cession, il doit demander à ce que la mission du conciliateur soit étendue pour y inclure un volet vente.
Cette demande est formalisée par une nouvelle requête du dirigeant auprès du président du Tribunal de commerce.
Il s’agit d’une démarche volontaire du dirigeant. En effet, ni le conciliateur, ni un créancier (même impliqué dans la conciliation), n’a qualité pour formuler cette demande.
Il est nécessaire de vérifier si le dirigeant devra obtenir l’accord d’un organe de gouvernance avant de pouvoir formuler cette demande de mission de prepack cession (cf. règles de gouvernance légales ou statutaires). Néanmoins, une violation des règles de gouvernance ne pourra pas entraîner une remise en cause de la cession puisqu’elle est appelée à être mise en œuvre par le Tribunal de commerce dans le cadre des règles d’ordre public du livre VI du Code de commerce.
L’article R.611-26-2, 2° du Code de commerce précise que cette demande doit être accompagnée des éléments suivants :
- L’accord du conciliateur acceptant la nouvelle mission (intégrer dans sa mission l’organisation d’un prepack cession) ;
- L’accord du dirigeant sur les conditions de la rémunération du conciliateur pour cette nouvelle mission ;
- La demande d’avis adressée aux créanciers participants à la conciliation ;
- L’avis des créanciers consultés ou, à défaut d’avis, le justificatif de la demande d’avis adressée aux créanciers qui n’ont pas répondu. L’accord de ces créanciers n’est donc pas nécessaire ;
- L’accord du conciliateur pour prendre en charge cette nouvelle mission.
Comme nous l’avons vu, le prepack cession peut être prévu dès l’ouverture du mandat ad hoc ou de la conciliation, et dans ce cas il n’est pas nécessaire de demander une extension de mission.
- Ordonnance du président du Tribunal de Commerce autorisant l’extension de mission
- Recherche de candidats repreneurs
Comme expliqué dans la chronique N°4, cette recherche de candidats repreneurs est l’une des conditions légales permettant de passer à la seconde phase du prepack cession.
La recherche est effectuée par le mandataire ad hoc ou le conciliateur le cas échéant avec l’aide d’une banque d’affaires.
Souvent, en pratique, ce professionnel approche des concurrents (en exploitant les pistes du dirigeant) pour vérifier s’ils ont un intérêt dans une opération de croissance externe et se positionner comme repreneurs potentiels.
La seconde méthode de recherche de candidats repreneur consiste à publier, sur une base anonyme (le nom de l’entreprise et le type de procédure amiable ne sont pas révélés), un appel d’offre avec une date limite de dépôt des offres. Par exemple dans le journal Les Echos du vendredi, sur le site AJMJ, via des circulaires adressées à des contacts habituels, souvent des avocats etc.…
Nous verrons dans la chronique N°6 que l’exigence de confidentialité crée des difficultés importantes pour trouver un repreneur.
- Ouverture de la data room
- Négociations avec les candidats repreneurs identifiés
- Préparation de l’offre de reprise par chaque candidat repreneur (conditions légales de recevabilité)
- Remise des offres de reprise au mandataire ad hoc ou au conciliateur
Lorsqu’au moins une offre de reprise satisfaisante non assortie de conditions suspensives est finalisée, les parties [vendeur – candidat(s) repreneur – mandataire ad hoc ou conciliateur] peuvent envisager de passer à la seconde phase du prepack cession qui sera décrite dans la chronique N°4.
Par exemple dans le dossier du volailler DOUX, 430 repreneurs potentiels ont été identifiés, 130 ont été contactés, 3 ont engagé des discussions et 1 seul a remis une offre de reprise. Puis 5 autres repreneurs sont apparus juste avant la phase 2.
Sur l’auteur : Arnaud Pédron est avocat directeur au sein de la ligne de services « Entreprises en Difficulté » du cabinet Taj.
Il intervient dans tous les domaines du droit des entreprises en difficulté (prévention et procédures collectives) : pour l’entreprise en difficulté elle-même, ses actionnaires ou dirigeants, son repreneur ou ses créanciers.
Pour en savoir plus : Arnaud Pédron
Du même auteur :
- Chronique #1 : le prepack cession, un outil d’optimisation de la reprise des actifs et de l’activité d’une entreprise sous performante
- Chronique #2 : Prepack plan et prepack cession, points communs et différences
- Chronique #4 : Le prepack cession, une mise en œuvre de la reprise dans le cadre d’une procédure collective
- Chronique #5 : Le prepack cession, un outil hybride et tendance pour reprendre une entreprise en difficulté
- Chronique #6 : Contraintes et difficultés du prepack cession
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