Basé dans les entrailles de Bercy, un paquebot blanc ancré au bord de la seine, le Comité Interministériel de Restructurations Industrielles, plus connu sous l’acronyme CIRI, reçoit depuis maintenant 40 ans des chefs d’entreprises en pleine tempête. Cœur battant de l’appareil d’Etat, rattachée à Bercy mais capable de mobiliser tous les ministères pour les mettre au service du sauvetage des entreprises, l’institution, qui ne pouvait naitre qu’au pays de Colbert, est pour Philippe Druon un « OVNI inspirant toute à la fois crainte, respect et défiance pour un anglo-saxon ». Enfant du CIASI, institution née huit années auparavant, en 1974, « à une époque où nos administrations se sont trouvées mal préparées à la gestion des conséquences sur l’industrie de la flambée des cours du pétrole » rappelle Cédric Garcin, son secrétaire général, le CIRI est devenu la cheville ouvrière des restructurations complexes. Alors que son maintien n’a pas toujours été évident, « la crise COVID a fait de cette cellule une force de frappe flexible, agile et de première ligne pour livrer le combat dans les premiers mois de cet inattendu, exceptionnel et terriblement dangereux évènement » salue Hélène Bourbouloux. Alors que le 28 juin prochain, l’ensemble de la communauté du retournement, et au-delà, célèbrera ses 40 ans, Mayday revient sur ces années d’expérience inestimable avec Eric de Bettignies, fondateur d’Advancy, Hélène Bourbouloux, administrateur judiciaire associée chez FHB, Guillaume Cornu, associé chez EY, Philippe Druon, avocat associé chez Hogan Lovells et Fanny Letier, secrétaire générale du CIRI de 2009 à 2012 et cofondatrice de la société d’investissements GENEO Capital Entrepreneur.
Si pour Philippe Druon « la France s’est bâtie autour de la collecte de l’impôt et de ceux qui l’organisent depuis Philippe Le Bel », c’est fondamentalement « ce qui fait la résilience de notre pays » pour l’avocat. « Bercy est le pur produit de cette histoire et est sans doute le seul Ministère que j’ai vu fonctionner sans rupture quelques soient les circonstances : grèves, Gilets Jaunes ou Covid 19 » Et pour cause, le CIRI « a hérité peu ou prou des qualités de sa maison mère. Je ne crois pas d’ailleurs que d’autres pays que le nôtre disposent de pareille institution, tout à la fois sans pouvoir autre que le traitement de la dette publique, et pourtant écoutée et respectée par l’ensemble des acteurs ».
Aujourd’hui dirigé par Cédric Garcin, secrétaire général, et Laurent Suster, secrétaire général adjoint, pouvant eux-mêmes compter sur sept rapporteurs, le CIRI intervient sur saisine facultative et aux côtés des entreprises en difficulté de plus de 400 salariés. Ayant fait de la négociation amiable son cœur de métier, l’institution intervient moins aux côtés d’entreprises qui se trouvent déjà en procédure collective, à l’exception des entreprises qui font partie des 10 % pour lesquelles elle n’a pas trouvé de solution amiable.
Institution dirigée par de jeunes hauts fonctionnaires, formés sur les bancs de l’ENA ou de Polytechnique même si certains rapporteurs peuvent être d’anciens avocats, banquiers d’affaires ou ingénieurs, les membres du CIRI ont bien souvent en commun « de ne rien connaitre du restructuring quand ils arrivent » rappelle Guillaume Cornu. Mais ils sont pourtant parfaitement compétents. Disponibles jour et nuit, samedi et dimanche compris, les serviteurs de l’Etat sont de gros travailleurs. Et pour cause, « lorsque vous réalisez qu’il y a autant d’emplois en jeu, vous ne dormez pas. Donc autant faire avancer le dossier » résume Fanny Letier qui a pris la fonction à 29 ans. Se formant depuis quelques années systématiquement au sein du diplôme universitaire dispensé à l’Université de la Sorbonne sous la direction du professeur Lucas, « leur apprentissage est extrêmement rapide » observe l’associé d’EY. C’est sans doute pour cette raison que l’institution ouvre des portes. Beaucoup quittent la haute fonction publique après y avoir goûté. De Benoît Sellam, à Dominik Zwerger et Fanny Letier qui évoluent dans le private equity, en passant par Louis Margueritte, député de Chalon / Montceau, le CIRI a changé des carrières, bousculé des perspectives et ouvert de nouveaux horizons. « C’est une chance quand on est fonctionnaire à Bercy de toucher du doigt de si près la vie de l’entrepreneur » confirme Fanny Letier « une chance … et une école » ! En effet, l’expérience « des guerriers du CIRI est inestimable dans la suite de la vie professionnelle de chacun mais surtout teinte à jamais l’engagement pour l’intérêt général » ajoute Hélène Bourbouloux !
« Un OVNI inspirant toute à la fois crainte, respect et défiance pour un anglo-saxon » Philippe Druon
Au carrefour d’intérêts divergents, parfois antagonistes, à l’écoute de l’écosystème et aux côtés des mandataires ad hoc et conciliateurs, tout en restant à distance « nous cherchons le dénominateur commun qui fera converger les parties prenantes vers un accord sur le partage de l’effort » nous confie son secrétaire général. Refusant autant que faire se peut de participer « à repousser le mur de dettes » comme on pousse un tas de sable devant soit, les hauts fonctionnaires travaillent à la mise en place d’accords pérennes. Sollicitant au premier chef un effort de l’actionnaire et des créanciers et sollicités pour que l’Etat intervienne que ce soit via un aménagement de la dette fiscale et sociale, voir un abondement sous la forme d’un prêt direct de l’Etat, les hauts fonctionnaires sont garants des intérêts de l’Etat et comptables de l’utilisation des deniers publics. Si Hélène Bourbouloux rappelle que les équipes du CIRI sont « capables de mobiliser tous les services de l’Etat à tous les niveaux et en tout domaine », elle salue également la capacité du CIRI à atteindre « les décideurs privés dans les banques, les grandes sociétés françaises ou les collectivités locales ». Ensemble, mandataires ad hoc & conciliateurs, avocats ou experts du chiffre, « chacun joue sa partition dans le respect de nos devoirs et contraintes respectives » pour Hélène Bourbouloux, mais « nous partageons le même objectif de sauvetage des entreprises viables et parvenons toujours à ajuster nos positions » appuie l’associée d’FHB.
Symbole d’un Etat français colbertiste, qui souvent rassure les entreprises françaises et parfois inquiète les investisseurs et prêteurs étrangers, dénuée de tout pouvoir coercitif, « ce qui fait d’elle un tiers de confiance » pour Eric de Bettignies, sans existence juridique, l’institution est avant tout « un lieu de rencontre et de négociation » pour Fanny Letier. Et « certes vous écoutez et accumulez une masse d’informations et vous devez réussir à appréhender toutes les matières de l’entreprise pour identifier les ressorts financiers et opérationnels du rebond et faire converger l’ensemble des acteurs » poursuit celle qui a dirigé le CIRI quelques mois seulement après la chute de Lehman Brothers, mais le plus dur est ailleurs. « Vous devez aussi identifier les ressorts psychologiques et humains … vous devez appréhender la pâte humaine » ! En effet, pour Guillaume Cornu, « pour réussir, au-delà de la nécessaire technique, ils doivent être animés d’une intelligence humaine, savoir faire preuve de conviction, disposer d’une grande énergie et être courageux. Le chef d’entreprise doit pouvoir partager ses craintes, afin qu’elles puissent être portées collectivement. ».
« C’est une chance quand on est fonctionnaire à Bercy de toucher du doigt de si près la vie de l’entrepreneur. Une chance et une école » Fanny Letier
Et il ne faut pas s’y tromper, si son nom prête à croire que l’institution ne s’intéresse qu’aux entreprises industrielles, il n’en est rien. Ayant pu intervenir sur des crises liées à des disruptions technologiques, des LBO pour lesquels les investisseurs ont été trop ambitieux, des problèmes de transmission d’entreprises, des conflits sociaux, des crises informatiques ou encore des incendies d’usines, le CIRI fut récemment encore sollicité dans des secteurs variés, tantôt exposés aux restrictions sanitaires, aux ruptures de matières premières ou à la guerre en Ukraine et tantôt aux grandes mutations du temps notamment dans le secteur automobile, de l’aciérie, de l’industrie aérienne ou du BTP. C’est ainsi qu’après avoir dû répondre à 70 saisines en 2020, l’institution est revenue à un rythme normal d’environ 40 saisines chaque année.
« De la SFA sous Fanny Letier, aux mesures exceptionnelles COVID et classes de créanciers sous Louis Margueritte, l’expérience du CIRI dans la vie réelle des entreprises en difficultés et la recherche des équilibres, a été déterminante pour durablement impacter la route de la prévention et du traitement des difficultés » Hélène Bourbouloux
Alors, s’apprêtant à souffler prochainement la 40ème bougie de cette institution, Hélène Bourbouloux rappelle qu’« avec 40 ans d’existence, nous pouvons dire que tous les professionnels en activité ont donc toujours vécu avec ce grand partenaire de Bercy ». De son côté, Philippe Druon se souvient encore de la première réunion du alors tout nouveau secrétaire général, Louis Margueritte, avec une large assemblée de créanciers. « Une première pour lui qui commençait », une première aussi pour celui qui use pourtant ses guêtres depuis fort longtemps dans les sombres couloirs de Bercy. « Il était certes intelligent et impliqué » se souvient l’avocat « mais il avait ce petit plus : le sens de l’intérêt général et l’impérieuse volonté de restaurer l’autorité de l’Etat. Le tout avec une grande simplicité, le sourire mais une inflexible fermeté ». Ce fut pour l’avocat le signal « du retour de l’Etat aux affaires m’annonçant sans que je le sache les fameux PGE ».
Alors si Hélène Bourbouloux se demande combien de nuits elle a pu passer à Bercy, « perdue dans les couloirs, en quête des rares distributeurs de café et de friandises lorsque minuit passé l’énergie venait à manquer, » désormais « la révolution digitale est passée par là, et l’évolution des pratiques s’est imposée pour sortir des murs de Bercy, dans les écrans ou les bureaux des partenaires, parfois plus accueillants pour les nocturnes de négociations et plus efficaces pour changer en direct les contrats dans les âpres négociations de chaque phrase, mot et virgule » rapporte l’administrateur judiciaire.
Ainsi, pour l’associée d’FHB l’institution est désormais « immuable, constante dans sa mission, ses secrétaires généraux et ses rapporteurs se sont relayés pour incarner et déployer son action et son but : le sauvetage des entreprises viables et l’amélioration constante des outils économiques et juridiques pour y parvenir ». De la « SFA sous Fanny Letier, aux mesures exceptionnelles COVID et classes de créanciers sous Louis Margueritte, l’expérience du CIRI dans la vie réelle des entreprises en difficulté et la recherche des équilibres, a été déterminante pour durablement impacter la route de la prévention et du traitement des difficultés » estime l’administrateur judiciaire. Véritable « catalyseur de solution » pour Eric de Bettignies, si « chaque équipe est différente, chacune apporte sa pâte et celle de Cédric Garcin fait de belles choses » ajoute le fondateur d’Advancy!
Par Cyprien de Girval