Le cabinet Interpath, dont la branche française vient seulement d’être créée (en avril 2024), officialise aujourd’hui le rachat des activités restructuring de KPMG. Un petit séisme dans le monde du restructuring, qui permet à Interpath d’afficher clairement ses ambitions : devenir leader sur le marché français et se développer rapidement en Europe et sur les principales places financières mondiales.
Le mot courrait depuis plusieurs mois, et c’est désormais officiel. L’équipe restructuring de KPMG a changé de pavillon ce jour (mardi 1er octobre), rachetée par le très jeune cabinet Interpath, pure player du restructuring et du transaction services (TS). Un évènement majeur dans l’écosystème du conseil aux entreprises en difficulté qui questionne le modèle pluridisciplinaire du Big Four. Les conflits d’intérêts étant particulièrement pointés du doigt dans ces grandes maisons qui ne peuvent vendre leurs services de conseil à des sociétés dont elles sont commissaires aux comptes. Florent Hunsinger, administrateur judiciaire associé chez Solve, ajoute que « la difficulté pour les équipes restructuring dans ces grands cabinets d’audit, c’est de réussir à défendre leur nécessaire autonomie, et leur pleine maîtrise de ressources humaines, indispensable pour exercer efficacement ce métier exigeant ». L’administrateur judiciaire voit donc le rachat par Interpath d’un très bon œil, certain que cette équipe de qualité pourra ainsi libérer son potentiel. Et il n’est pas le seul. Un directeur d’affaires spéciales d’une grande banque estime que « cette nouvelle équipe indépendante va amener une concurrence positive sur le marché ».
« Interpath a mis la main sur une des trois meilleures équipes du marché du restructuring. »
Si ce banquier d’affaires et Florent Hunsinger connaissent déjà bien Interpath et ses équipes, la marque demeure relativement méconnue en France. Et pour cause, la création du bureau hexagonal ne remonte qu’à avril 2024. En revanche, elle est parfaitement identifiée outre-Manche, malgré sa très jeune histoire. En 2021, la division restructuring de KPMG au Royaume-Uni, leader sur son marché, était cédée au fonds HIG, permettant ainsi la création d’Interpath. Depuis, le cabinet a développé son activité et s’est fait un nom : il emploie près de 1 000 personnes, a facturé 180 M€ de net fees en 2023, et son activité Advisory (englobant le restructuring financier et opérationnel) croît à plus de 100% par an.
Ainsi, le cabinet également présent en Irlande a posé avec autorité la première brique de ses ambitions de développement en Europe continentale. « Avec cette opération, Interpath a mis la main sur une des trois meilleures équipes du marché du restructuring, et qui le restera probablement pour les 10 années à venir » analyse Patrick Puy, dirigeant spécialiste du retournement.
Baréma Bocoum, le dirigeant d’Interpath en France parti de KPMG en mars avant que son équipe de 100 personnes le rejoigne aujourd’hui, ne cache pas ses ambitions : compter 200 collaborateurs en France d’ici la fin de l’année, et s’affirmer comme leader du marché sur ses deux grands cœurs de métier : le restructuring et le TS. Un développement express qui passerait par d’autres acquisitions ? « Au Royaume-Uni, il y a trop peu d’acteurs sur le marché. En France, il y en a peut-être trop, et il ne serait pas surprenant de voir des mouvements de consolidation. Cela pourrait se faire autour d’Interpath et de Baréma, qui a toutes les qualités pour permettre cela » nous confie Mike Mills, Senior Operating Advisor dans un fonds d’investissement international.
L’activité restructuring d’Interpath s’organisera autour de trois grands pôles : les special situations (c’est à dire l’advisory « événementielle » dans le cadre de prévention et de résolution des difficultés d’entreprises : IBR, transactions complexes, distressed M&A, refinancements complexes, etc.), le Debt & Capital advisory (back-up servicing, élaboration de financements BFR (factoring, assurance crédits) complexes, due diligences sur la mise en place de certains prêts…), et le Value Creation (« qui consiste à proposer des leviers d’améliorations rapides des performances sur le cash et les costs »).
Côté TS, ce sont déjà 70 personnes, emmenées par Benjamin Tarac, qui attendaient de pied ferme l’arrivée de l’équipe restructuring. Leurs activités se répartissant essentiellement sur les secteurs du private equity, le venture capital, les services financiers, l’immobilier et le secteur du retail & biens de consommation
« En prenant leur indépendance, ils montrent leur ADN d’entrepreneurs, capables de comprendre les problèmes des dirigeants qu’ils accompagnent. »
Pour mener à bien ses projets de développement, le cabinet s’appuie volontiers sur son héritage Big Four. Chez Interpath, loin de le renier, « on en est fier, c’est un gage de qualité. » Un héritage auquel le cabinet vient greffer plus d’agilité, et un esprit entrepreneurial qui devrait séduire le marché. « Les clients cherchent des conseils qui leur ressemblent », affirme Delphine Caramalli, avocate associée chez Clifford Chance, qui a accompagné Interpath sur cette opération. « En prenant leur indépendance, ils montrent leur ADN d’entrepreneurs, capables de comprendre les problématiques des dirigeants qu’ils accompagnent. »
Cette agilité et cet état d’esprit entrepreneurial s’illustre certainement par un attrait historique de cette équipe pour l’innovation, et la capacité à développer, avec des partenaires, des outils technologiques qui étoffent l’offre du cabinet. Ce fut notamment le cas avec le développement de modèles propriétaires pour l’optimisation de BFR, ou de Blue, dédié au distressed M&A.
Le jeune cabinet revendique également un ADN collaboratif, avec une attention au partage de la valeur. Avec un seul P&L au niveau mondial, les équipes d’Interpath ne sont pas consignées à une unique géographie : le cabinet entend solliciter les meilleurs experts de son réseau pour résoudre la difficulté précise à laquelle fait face son client. Quant au partage de la valeur, notons que l’actionnariat est lui aussi unique au niveau mondial, avec la possibilité pour chaque collaborateur, quelles que soient ses fonctions, d’accéder à l’equity.
Autant de valeurs qu’Interpath fera valoir pour attirer les talents et se développer en France. Dans un premier temps, les équipes se répartiront sur deux bureaux : Paris et Lyon (bureau emmené par Guillaume Réquin, qui adressera autant le restructuring que le TS), et feront face, d’entrée de jeu, à des niveaux d’activité élevés. « Nous avons envoyé des lettres de transfert à nos clients KPMG pour acter le transfert d’activité chez Interpath. A ce stade, avec des lettres envoyées à plus de 80% de notre clientèle, nous n’avons eu que des accords » signale Julien Sortais, Managing Director d’Interpath. « Quant à nos clients du secteur bancaire, l’accueil de cette opération a été très chaleureux », complète Pascal Bonnet, Managing Director, et ancien numéro 1 du restructuring chez KPMG. Et d’ajouter : « la question des conflits d’indépendance pouvait perturber nos relations, quand un de nos clients tombait dans le giron de l’audit ».
« En plus d’être à l’écoute et clairvoyant dans ses analyses, Baréma pose une atmosphère de confiance entre les parties, ce qui est particulièrement précieux en période de crise ».
Autant d’éléments qui témoignent de l’attachement des clients à une équipe plus qu’à leur ancienne marque, mais aussi du bon accueil de cette opération par le marché. « Ce qui est précieux, c’est que presque toute l’équipe suit, il n’y a pas de déperdition », estime Florent Hunsinger, qui vante par ailleurs une « équipe cohérente, avec une pyramide des compétences optimales : on trouve des professionnels de qualité à tous les niveaux. » Et cela se ressent sur le terrain, comme en témoigne Caroline Parot, directrice générale de Technicolor Group : « L’équipe est intervenue récemment chez nous à la suite d’un profit warning. Ils ont produit une analyse rapide qui nous a permis de comprendre ce qu’il se passait avec une grande clarté. Et surtout, tout cela a été fait avec beaucoup de respect pour nos équipes. Ils ont réussi à garder le bon contact malgré les messages difficiles qu’ils devaient passer ». Une mission menée avec succès, qui a amené le groupe à reconduire l’équipe sur d’autres sujets. Ce constat d’un collectif respectueux et adroit dans le dialogue est partagé par Ollivier Lemal, associé dans le cabinet de management de transition XPM. Il loue l’humilité de cette équipe qui « sait traiter une petite PME avec autant de considération qu’une grosse ETI : pour eux tout le monde a la même importance ». Quant à Paul-Henri Audras, administrateur judiciaire associé chez AJUP, il apprécie particulièrement la qualité de la « jeune garde de l’équipe, qui associent compétence technique, réactivité et efficacité ».
Cette excellente image sur le marché, Interpath la doit évidemment à la qualité de ses équipes. Et certainement aussi à celle de son dirigeant, Baréma Bocoum. Les personnes qui ont croisé son chemin ne tarissent pas d’éloges à l’égard de ce dirigeant charismatique, souriant, et positif face aux situations difficiles. Pour le banquier d’affaires cité précédemment, « en plus d’être à l’écoute et clairvoyant dans ses analyses, il pose une atmosphère de confiance entre les parties, ce qui est particulièrement précieux en période de crise ». Originaire du Mali, il a gravi tous les échelons chez KPMG jusqu’à prendre la tête de l’équipe restructuring en France. Une ascension spectaculaire que le dirigeant doit en partie à Pascal Bonnet, qui l’a accompagné jusqu’à lui céder sa place de numéro un, tout en continuant à intervenir au sein de l’équipe. Un modèle de transmission rarissime dans un milieu où la norme est plutôt à la concurrence entre les talents, et qui en dit long sur l’atmosphère qui règne au sein de cette équipe.
Doué de qualités humaines saluées par tous, il se montre également attentif à la diversité dans ses équipes, et son profil très international sera une force pour Interpath et ses ambitions de développement rapide dans toutes les grandes places financières. « On a besoin de cabinets qui proposent un service intégré au niveau des différentes places financières européennes, plutôt que de devoir s’adresser à un cabinet en France, un autre au Royaume-Uni, encore un autre à Milan, etc. » estime Mike Mills, qui considère que Baréma Bocoum a la carrure pour mener à bien ce développement international.
Un constat largement partagé sur le marché du restructuring. Si les défis qu’attendent Interpath sont de taille, personne ne doute que l’équipe emmenée par Baréma Bocoum parviendra à tracer son chemin pour aller côtoyer les sommets.
Par Théo Sztabholz, écrivain