Mayday a échangé avec Numa Rengot, avocat associé en charge de la pratique restructuring chez Franklin. L’occasion de l’interroger sur son activité pendant la période de confinement notamment sur l’ouverture de procédures préventives et le déroulement d’opérations de croissance externe réalisées en pleine crise du coronavirus.
Mayday : La période de confinement a été dramatique d’un point de vue économique pour de nombreux secteurs économiques, notamment le retail, ou encore l’hôtellerie, la restauration et le tourisme. Compte tenu des mesures d’aides temporaires et du régime dérogatoire instauré par les ordonnances du 25 et 27 mars 2020 complétées par l’ordonnance du 20 mai 2020, ainsi que de la fermeture des tribunaux, au moins au début du confinement, les audiences ayant ensuite repris pour partie, en visio-conférence ; les chiffres montrent que le nombre de défaillance d’entreprises a baissé par rapport à l’année dernière pendant la même période. Qu’en est-il des procédures préventives ? Comment se sont-elles déroulées pendant le confinement ?
Numa Rengot : Nous avons été mandatés pour l’ouverture de quatre procédures préventives pendant la période de confinement pour lesquelles nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières de mise en œuvre ou d’organisation. Pour deux d’entre elles, qui avaient un caractère technique et défensif, le président du Tribunal de commerce nous a dispensé de soutenir notre requête et s’est contenté des informations et documents que nous lui avons transmis.
Concernant ces deux procédures, les sociétés n’étaient pas en difficulté financière immédiate. L’idée était plutôt de profiter du contexte du confinement pendant lequel les activités économiques étaient globalement gelées pour régler des difficultés en amont afin d’éviter qu’elles ne deviennent véritablement problématiques dans les prochains mois. Une fois le mandataire ad hoc ou le conciliateur désigné, nous avons ensuite mis en place des réunions en visio-conférence avec les différents acteurs de la procédure (créanciers, banques, actionnaires etc.). L’ouverture de ces procédures et les négociations qui ont suivies, se sont donc faites sans difficultés particulières. Je dois dire que l’ensemble des acteurs a fait preuve d’une réelle mobilisation dans ce contexte pour le moins particulier. J’ai également fait appel à la médiation inter-entreprises et au Médiateur national, Monsieur Pierre Pelouzet, pour essayer de faire avancer les choses un peu plus rapidement notamment s’agissant de problématiques sectorielles ou liées à un financement BPI. Là encore, ils étaient au rendez-vous et se sont impliqués dans nos dossiers, pour servir d’accélérateur à certaines négociations.
Nous avons également ouvert une procédure de conciliation qui s’est avérée plus compliquée, non pas du fait du blocage général des activités lié à la période de confinement mais de part le contexte même du dossier. Il s’agissait d’un groupe de sociétés rencontrant certaines difficultés. Le Président du Tribunal de commerce a convoqué ce groupe à un entretien de prévention et en a informé le ministère public, conformément aux dispositions du Code du commerce. L’entretien normalement prévu entre les dirigeants de cette société et le Président du Tribunal de commerce n’ayant pu se tenir, le Ministère Public en a été informé et a alors déroulé la procédure en saisissant le Tribunal de commerce d’une requête en ouverture d’une procédure redressement judiciaire. La société s’est donc retrouvée en plein confinement, face à une demande d’ouverture de redressement judiciaire émanant du Ministère Public, ce qui en pratique est très rare puisque cela représente moins de 0,5% des demandes en redressement judiciaire formulée par un tiers.
Pour ne rien arranger à l’affaire, la requête du Ministère Public datait du 12 mars. Or, si l’on se réfère aux disposition des ordonnances Covid-19, une procédure de redressement judiciaire ne peut être ouverte qu’à la demande du débiteur sauf si on est capable de démontrer qu’on est en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours rétroactivement avant le 12 mars. La question était donc de savoir s’il était possible ou non se prévaloir de ces ordonnances dès lors que l’assignation datait du 12 mars. Concrètement, personne n’avait réellement tranché le débat de savoir à quelle heure, le 12 mars, l’ordonnance était censée entrer en vigueur. Le principal risque si l’on soulevait cette question, était de mettre le tribunal face à une problématique technique qu’il ne pouvait pas apprécier et qu’il ordonne en conséquence un sursis à statuer tout en désignant un juge enquêteur avec assistance d’un sapiteur. L’entreprise ne pouvait pas attendre l’issue d’une telle enquête et il fallait impérativement éviter d’emmener le Tribunal vers un débat qu’il n’aurait pas été en mesure de trancher, mettant ainsi en péril les mesures de restructuration à prendre urgemment.
La principale option qui s’offrait à nous était de se prévaloir des dispositions du Code du commerce prévoyant la suspension d’une procédure de redressement judiciaire du fait de l’ouverture de procédure préventive (L. 631-5 du Code du commerce). Cependant, la doctrine était partagée sur le point de savoir si une requête postérieure à une requête du Ministère Public en redressement judiciaire pouvait interrompre ou non la procédure de redressement judiciaire. Nous avons finalement obtenu du Tribunal qu’il ouvre une procédure amiable avant que ne soit statué sur l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, d’autant plus qu’il y avait un véritable débat sur la caractérisation de l’état de cessation des paiements.
Au final, nous avons fait le choix de ne pas nous servir des ordonnances dérogatoires mises en place pendant l’état d’urgence sanitaire parce qu’il y avait trop d’incertitudes notamment quant à la question des délais et de leur point de départ. De surcroit, alors même que la majorité des audiences continuaient à se tenir en visio-conférence, nous avons été convoqués en présentiel seulement quelques jours après la fin du confinement.
Mayday : Selon vous, quels sont les points d’attention sur lesquels les professionnels de l’insolvabilité vont devoir se focaliser ?
Numa Rengot : Je pense que les juges consulaires vont être de plus en plus attentifs aux chiffres et à la démonstration de la solvabilité de l’entreprise en étudiant précisément la situation financière de l’entreprise et en opérant un contrôle strict des demandes d’ouverture des procédures amiables notamment.
En pratique, il me semble que cela rend de plus en plus utile la réalisation d’IBR en amont de l’ouverture d’une procédure préventive. Je l’ai d’ailleurs recommandé à des clients même lorsque cela semblait accessoire, pour des questions de responsabilité du dirigeant.
Mayday : Bien que de nombreux secteurs aient été impactés par la crise sanitaire et par le confinement certaines entreprises ont continué à mener des politiques de croissance externe. Qu’en est-il pour vos clients ?
Numa Rengot : On a effectivement eu l’opportunité d’accompagner nos clients pendant le confinement ou immédiatement après, dans le cadre d’opérations de croissance externe, soit par prise de participation soit dans le cadre d’une reprise à la barre comme par exemple dans le dossier Damaël.
Le fait est que si la société cible était in bonis avant le confinement, la crise du coronavirus a contraint les acteurs à accélérer le processus de cession. Dans beaucoup de cas, si initialement l’opération était in bonis, nous étions obligés d’avoir une approche distress.
Concrètement, les deals in bonis qui devaient être réitérés fin juin ont été décalés à fin septembre, afin de permettre au cessionnaire de négocier une clause d’ajustement de prix en fonction du dommage collatéral lié au Covid-19. Cela va finalement nous permettre de remettre en perspective nos dossiers et nos pratiques. Si l’on ne mettait pas toujours forcément de clause d’ajustement de prix dans les promesses de cession, il nous apparaît désormais inenvisageable de passer à côté d’une telle clause même s’il est toujours complexe de l’intégrer de manière systématique. Cela nous fait réfléchir à la manière dont on rédige les contrats. En cette période troublée, on est obligé de renforcer les clauses suspensives relatives à l’obtention d’un financement afin de protéger nos clients vendeurs et d’éviter que le cessionnaire « utilise l’excuse » du coronavirus pour se dédouaner de son obligation de rechercher par tout moyen un financement.
Mayday : Quelle sera la tendance des prochains mois notamment en matière de croissance externe ?
Numa Rengot : Comme dans toute crise, il y a des sociétés dont l’activité a été impactée mais qui disposent de liquidités, notamment parce qu’ils ont bénéficié d’un PGE ou des mesures d’assistance de l’Etat, et qui cherchent à consolider leur marché ou à s’étendre. Deux possibilité s’offrent à elles : soit elles décident de diversifier leur activité en reprenant des sociétés aux activités connexes ou similaires, soit elles cherchent à consolider leur position sur leur marché en rachetant leur concurrent ou encore des entreprises plus petites qui rencontrent des difficultés.
Mayday : Selon vous, quel est l’avenir de ces entreprises qui ont dû faire face à la crise ? Vers quoi s’oriente l’activité de votre équipe ?
Numa Rengot : Nous avons toujours été attentifs aux dossiers de carve out ou de défaisance d’actifs et il me semble évident que les sociétés auront de plus en plus tendance avec cette crise à se séparer de leurs actifs moins rentables. Nous allons devoir également être très réactifs sur les procédures défensives et ne pas accepter les solutions toutes faites. Il nous faut être caméléon et guerrier.
On va donc mettre un point d’honneur à accompagner nos clients dans ce genre d’opération. En plus de notre équipe qui a vocation à s’élargir par le recrutement d’au moins deux collaborateurs d’ici la fin de l’année (le premier recrutement étant déjà effectif), le cabinet Franklin envisage de développer son activité en intégrant un associé spécialisé dans la « gestion judiciaire » de la procédure collective à proprement parlé ainsi qu’un associé dédié à la pratique restructuring bancaire.
Notre équipe a aussi vocation, comme c’est déjà le cas, à intervenir sur des dossiers que j’appelle « opérations spéciales » où l’on négocie avec les pouvoirs publics nationaux et les instances régionales. Je suis récemment intervenu en shadow conseil pour la mise en place d’un plan de sauvegarde au bénéfice d’un grand acteur de la sous-traitance de l’industrie aéronautique. Ma mission, en accord avec l’administrateur judiciaire et l’avocat de la société, est de discuter avec les pouvoirs publics, les banques et les autres partenaires financiers, pour préparer le terrain et réfléchir à la meilleure stratégie à mettre en place afin d’étudier la faisabilité de ce plan de sauvegarde et ses alternatives.
Par Pauline Vigneron
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