Mayday a noué un partenariat avec le master ALED de l’Université Jean Moulin Lyon 3 qui forme, sous la direction du professeur Nicolas Borga, les futurs professionnels du retournement, afin que ses étudiants nous proposent chaque mois un éclairage sur les jurisprudences qui impactent la pratique. Plus qu’un éclairage, il s’agit d’un lien privilégié que Mayday entretient avec les étudiants du Master ALED, afin qu’ils participent à décrypter le droit des entreprises en difficulté et que cela soit pour eux l’occasion de présenter cette formation de haut niveau. Cette semaine, Antoine Texier et Richard Hocquet, étudiants en deuxième année du Master ALED, nous livrent leur éclairage sur l’arrêt de chambre commerciale de la Cour de cassation du 25 novembre 2020 n° 19-11525
Cour de cassation – Chambre commerciale, financière et économique – arrêt n°774 du 25 novembre 2020 (19-11.525)
Présent en droit positif depuis dix ans, l’effet réel des procédures collectives rend le patrimoine du débiteur défaillant insaisissable, et le place dans le gage commun des créanciers (V. Marc Sénéchal, L’effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers, Litec, 2002 ; repris par la jurisprudence : Cass. com., 16 mars 2010, n°08-13.147). Cette insaisissabilité est opposable de plein droit aux créanciers, et fait cesser toutes voies d’exécution en cours au jour du jugement d’ouverture (Cass. Com., 17 novembre 2015, n°14-18.345).
En l’espèce, une société contracte un prêt auprès d’une banque. Pour garantir ce prêt, une société tierce accorde une hypothèque. Les Juges évoquent alors un “cautionnement hypothécaire”. Cependant le régime de droit applicable n’est pas celui du cautionnement mais bien celui d’une sûreté réelle pour autrui (récemment, Cass. 3e civ., 12 avril 2018, n°17-17.542). La société emprunteuse est placée en liquidation judiciaire. La banque créancière entame donc une procédure de saisie immobilière sur le bien hypothéqué de la société tierce. Seulement, celle-ci est ensuite placée en redressement judiciaire. La banque fonde son pourvoi sur son absence d‘obligation personnelle avec la société tierce constituante pour demander la poursuite de sa saisie. La procédure de saisie immobilière engagée par la banque peut-elle être menée à son terme ? Oui répondent les Juges, à condition d’avoir au préalable mis en cause le mandataire et l’administrateur judiciaire. Explications sur cette décision surprenante.
Le titulaire d’une sûreté réelle sur le bien d’un tiers n’est pas un créancier
L’arrêt est rendu au visa de l’ancien article L.621-40 du code de commerce, devenu L.622-21 – dont le contenu est similaire. La Cour considère que le titulaire d’une sûreté réelle consentie en garantie de la dette d’autrui n’a pas, à l’égard du constituant, la qualité de créancier. Elle fonde cette distinction sur l’absence d’engagement personnel du constituant à satisfaire à l’obligation d’autrui. Cette absence d’obligation empêcherait toute action en paiement faite par le titulaire contre le constituant. Dès lors, les parties ne sauraient être qualifiées de créancière et de débitrice l’une de l’autre. Or l’article L.622-21 vise spécifiquement à interrompre les procédures d’exécution des créanciers du débiteur placé en procédure collective. Le bénéficiaire de la sûreté réelle ne se présente donc pas en qualité de « créancier » à la procédure collective du constituant. La règle de l’interdiction des poursuites et des voies d’exécution ne lui est donc pas applicable. Le bénéficiaire de l’hypothèque est donc fondé à poursuivre sa procédure de saisie immobilière malgré la procédure de redressement en cours du constituant.
Si une lecture littérale des textes conforte cette solution, ce raisonnement semble toutefois inopportun. En effet, cet arrêt autorise la poursuite de la saisie immobilière laquelle suppose d’être muni d’un titre exécutoire et donc en principe, d’avoir la qualité de créancier (art. L.311-2 du Code des procédures civiles d’exécution).
La solution de la Cour de Cassation traite donc de façon très favorable les créanciers titulaires d’une sûreté réelle en garantie de la dette d’autrui. Ils échappent ainsi à l’arrêt des voies d’exécution dans le cadre de la procédure collective du constituant.
L’impossibilité de déclarer sa créance à la procédure collective : un faux problème ?
On pourrait reprocher à la Cour de Cassation de négliger l’effet réel de la procédure collective, car le bien en cause figure par principe dans le gage commun des créanciers. Cependant, si on considère que le bénéficiaire de l’hypothèque subit l’arrêt des voies d’exécution, ne devrait-il pas déclarer sa créance à la procédure collective ? Mais la Cour pouvait-elle aller dans ce sens ? On peut comprendre qu’elle n’ait pas fait ce choix compte tenu d’un arrêt rendu par sa troisième chambre civile le 17 juin 2020 (n°19-13.153). Selon ce dernier, le bénéficiaire d’un cautionnement réel n’étant pas créancier, il ne peut déclarer une quelconque créance au passif de la « caution réelle » soumise à une procédure collective. Notre arrêt s’inscrit donc dans la lignée de la décision rendue en juin.
Notre déduction n’est toutefois pas unanime. Ce n’est pas parce que le bénéficiaire de la sûreté réelle pour autrui ne déclare pas sa créance que son droit réel sur un bien appartenant au débiteur (et donc en principe appréhendé par l’effet réel) est inopposable à la procédure collective. Comme l’expliquait le professeur Pétel (JCP E n° 39, 24 sept. 2020, 1353) les textes prévoient une distribution du prix de vente des immeubles vendus sur adjudication en liquidation judiciaire. Celle-ci se fait « au vu des inscriptions, des créances admises » et des créanciers postérieurs méritants (art. R.643-6 du Code de commerce). Le titulaire d’une hypothèque inscrite resterait donc malgré tout désintéressé via la distribution du prix de vente, même s’il est non déclaré à la procédure collective.
Finalement tout l’enjeu était de concilier la prévalence de l’effet réel des procédures collectives et le droit réel du bénéficiaire de la garantie pour la dette d’autrui. Mais la Cour de Cassation n’y parvient pas et créée un nouveau créancier non affecté par la discipline collective : le bénéficiaire de la sûreté réelle pour autrui.
Par Antoine Texier et Richard Hocquet
Antoine Texier est étudiant du Master 2 ALED à Lyon III et également élève-avocat et alumni de l’EMLyon Business School.
Après un cursus de classes préparatoires ECS, Richard Hocquet a intégré l’EM Lyon Business School puis, en parallèle, le Master Administration Liquidation des Entreprises en Difficulté à Lyon 3. Il réalisera prochainement un stage en Restructuring au sein du cabinet Vivien & Associés à Paris et passera l’examen d’accès au CRFPA en 2021.