Depuis le mois de mars 2020, l’Etat a mis en place des dispositifs visant à aider les entreprises à faire face à la crise sanitaire. Ces mesures ont permis aux entreprises de faire face aux difficultés et soubresauts liés au Covid. Cependant, le redémarrage récent de l’activité extrêmement dynamique génère de nouvelles difficultés : rupture d’approvisionnement des matières premières et de certains composants et problématique de transport d’une part, et envolée des prix de certains produits d’autre part. Intimement liés, ces éléments sont la cause de problèmes rencontrés dans de nombreux secteurs d’activités. Alors que les dispositifs publics ont été pensés pour permettre aux entreprises de faire face à l’arrêt de l’économie lié à la crise sanitaire, les entreprises doivent chercher dans leurs ressources les leviers pour accompagner la reprise. Éléments de réponse avec Laurent Dray et Nicolas Bouët, associés de BFR expertise & solutions.
Mayday : Les ruptures de matières premières : est-ce une problématique que vous rencontrez dans vos dossiers ?
Nicolas Bouët : Oui, c’est en effet un sujet que l’on aborde souvent en ce moment. L’augmentation des prix des matières premières et la hausse des coûts liés au transport et à la logistique essentiellement génèrent une hausse du BFR. Certes les PGE n’ont pas été intégralement dépensés et peuvent donc être utilisés pour faire face à ces hausses, mais bon nombre d’entreprises anticipant son remboursement à venir préfèrent aller puiser dans leurs ressources propres.
Laurent Dray : Effectivement, nous avons de nombreux clients qui sont actuellement fortement impactés par cette situation. Bien que leurs carnets de commandes soient en forte hausse, elles ont, pour celles qui produisent, de grandes difficultés à servir leurs clients dans des délais raisonnables. Elles doivent par ailleurs ajuster régulièrement leur prix de vente pour préserver leurs marges. Au-delà de cela, elles doivent anticiper très largement la constitution de stock. Dans ces conditions si particulières la reprise a un véritable impact sur le BFR.
Une des solutions pourrait être, pour les entreprises qui y sont éligibles, le financement de leur carnet de commandes par la solution déployée par les factors avec le contre garanti de BPI. Dans les faits, les factors ont souvent tendance à le réserver à leurs bons clients ce qui en diminue la portée. Alors, bien sûr le PGE a apporté une aisance en termes de trésorerie pour faire face à ces nouveaux aléas. Néanmoins, les entreprises les plus prudentes réfléchissent déjà à demain et aux solutions les plus pertinentes pour financer leur exploitation. D’abord parce que le PGE va devoir être remboursé. Ensuite, parce que la conjoncture est très instable et incertaine.
Mayday : Vous parlez d’anticipation, quelles sont justement vos préconisations pour faire face à ces besoins ?
LD : Il faut les anticiper au maximum et mettre en place les outils pour répondre aux besoins futurs. Il est important de rappeler qu’il est toujours plus simple de négocier avec des financiers lorsque l’on n’est pas sous la contrainte d’un besoin urgent à traiter. Par expérience, les conditions sont toujours plus favorables.
NB : Un levier à actionner est la mobilisation du poste clients sous forme d’affacturage. Cet outil est puissant et permet de transformer en cash jusqu’à 95% de l’encours clients. Pour les entreprises qui ont déjà un programme en place, il est essentiel de valider régulièrement que le niveau de financement est conforme aux promesses initiales. Dans le cas contraire, il faudra agir sur ses causes (retards clients, hausse des avoirs, défiance du factor ou niveau de garanties délivrées sur les clients) pour retrouver un niveau de financement le plus élevé possible. Et surtout ne pas hésiter à faire jouer la concurrence entre factors.
LD : Il est également possible de travailler sur la définition et la mise en place d’un programme de Reverse Factoring. Cette solution permet dans une démarche RSE de payer comptant ses fournisseurs sans impacter sa trésorerie et permet également d’aller chercher une extension de ses délais fournisseurs. Dans ce type de programme, c’est un financeur, majoritairement sociétés d’affacturage, qui paie le fournisseur dès la validation de la facture par le donneur d’ordres. Ce financeur sera remboursé par le donneur d’ordres à une échéance convenue préalablement. Cela reste néanmoins réservé à de belles contreparties, donc en situation de retournement, c’est rarement actionnable.
Les entreprises en difficulté ont d’autres problèmes. Elles n’ont bien souvent plus de crédit fournisseurs car elles ont été « dégradées » par les assureurs-crédit. Dans ce cas, la problématique est différente. On peut néanmoins aller chercher des outils qui vont permettre de reconstruire et sécuriser la relation fournisseurs. Cette solution s’adresse aux entreprises qui ont déjà bien entamées leur rebond et qui ont bénéficiées du soutien de leurs actionnaires pendant la période compliquée.
Elle a vocation à sécuriser certains fournisseurs stratégiques ou importants en leur apportant une ligne de garantie en contrepartie de délais de paiement.
Par ailleurs, il est important de rappeler que l’incertitude crée du risque et que ce risque doit être couvert. Cependant, on constate qu’un certain nombre d’entreprises n’ont pas encore intégré ce risque dans leur modèle. Or, même des noms d’entreprises connus du grand public peuvent être défaillants. Il est donc essentiel de sécuriser ses ventes par la mise en place de contrat d’assurance-crédit. Ce n’est certes pas du BFR mais cela permet de le sécuriser et d’éviter de le dégrader.
Mayday : quels enseignements peut-on tirer de ces épreuves ?
LD : Comme nous l’avons dit, il faut que les chefs d’entreprise anticipent, il faut qu’ils passent à l’action ! Il faut davantage se poser la question : où serons-nous en mai 2022 ? Le PGE a un effet pervers, il a un peu « anesthésié » les chefs d’entreprises… Ces derniers sont confiants avec un raisonnement un peu biaisé : tant qu’il y a de la trésorerie, il y a du temps. Or il y a beaucoup d’incertitudes qu’il faut traiter en amont.
NB : Avant la crise sanitaire, le niveau d’endettement des entreprises n’avait jamais été aussi élevé et le recours massif au PGE n’a fait qu’accentuer cet état de fait. Cela limitera les entreprises dans leur capacité d’investissement future. L’affacturage est un excellent outil pour répondre à cette problématique. Surtout si l’entreprise opte pour un programme déconsolidant. En effet, en s’appuyant sur une ressource stable, l’affacturage permet de générer une réserve de trésorerie sans augmenter les ratios d’endettement. C’est un levier important et de plus en plus de fonds d’investissement demandent à leur participation d’actionner ce levier pour avoir le cash nécessaire pour saisir des opportunités d’acquisitions dans le cadre d’opérations de build-up. Mais dans le contexte actuel cela, peut aussi être utilisé pour saisir des opportunités d’achats de matières premières et augmenter ses stocks.
Pour mettre en place un programme déconsolidant, l’accord du commissaire aux comptes est indispensable. Mais une fois ce prérequis levé, le cash généré par ce mécanisme n’entre pas dans les ratios d’endettement. L’entreprise se retrouve avec un niveau de trésorerie élevé, sans avoir la dette inscrite dans ses livres. Vous l’aurez compris : c’est un mécanisme puissant et qui nous semble très pertinent pour répondre aux défis à venir.
Propos recueillis par Lucile Guillerault