La période d’élection suscite de vives craintes de la part des dirigeants qui doivent annoncer des plans sociaux. Cette appréhension collective bien qu’elle soit largement partagée ne trouve pas de réalité dans les faits au cours des 20 dernières années. Eclairage de Florent Berckmans, associé, et Wandrille Wallon, senior manager, chez Eight Advisory.
Annoncer une réorganisation pendant la campagne : un scénario repoussoir
C’est un conseil très souvent avancé : « il ne faut pas annoncer la réorganisation pendant les mois qui précèdent les élections présidentielles ».
Les périodes de campagnes des élections présidentielles et législatives sont perçues comme un mauvais moment pour annoncer un plan de réorganisation. Cette crainte est alimentée par la perception d’un risque que le plan de réorganisation devienne un sujet politique, alors qu’il est avant tout un sujet économique. La crainte est aussi d’une contagion médiatique et de relai par la presse nationale accrue en période électorale.
Le projet de fermeture de son usine d’Amiens présenté par Whirlpool en 2017 est souvent cité en exemple repoussoir. Annoncé en janvier, le site avait vu défiler les principaux candidats à la présidentielle et les chaînes d’information en continue.
La décision d’avoir recours à un plan social est avant tout le corolaire de l’environnement économique
Nous nous sommes penchés sur la date de l’annonce des plans sociaux les plus importants[1] menés au sein des entreprises privées implantées en France entre 2003 et 2021. Cette analyse s’appuie sur plus de 1 900 plans sociaux rassemblant un impact de plus de 1 million de suppressions de postes, soit près de 55 000 par an.
Il ressort de cette étude que les annonces sont avant tout le corolaire de l’environnement économique : les années où il y a le plus de plans sociaux annoncés sont les périodes de crise où la croissance ralentit, voire s’effondre. C’est le cas en 2008 et 2009 avec la crise des subprimes, puis en 2012 (année d’élection) et 2013 avec la crise des dettes souveraines en Europe et enfin en 2020 avec la crise liée à la Covid-19.
Si les années 2007 et 2017, autres années d’élections, font ainsi partie des points bas de la série de données c’est avant tout car il n’y a pas eu de turbulences économiques majeures.
Evolution du volume de suppressions de postes au sein d’entreprises privées implantées en France par année (histogramme, en milliers) et du PIB français (courbe, en %)
Dans le temps, on observe une récurrence des périodes d’annonce, au cours de l’année
L’annonce de plans sociaux ne se fait pas de manière linéaire au cours de l’année, on retrouve une certaine saisonnalité.
Au cours du temps, les périodes de creux sont stables, il s’agit des mois de mars, avril, août et décembre.
Avant 2008 les principaux plans sociaux étaient annoncés en début d’année, janvier et février regroupent plus de la moitié des impacts de l’année.
Depuis 2008, le début d’année est plus calme (20% des suppressions annoncées) avec le quart des impacts annoncé dans les mois qui chevauchent le mois d’août. En prévision des vacances d’été, en juin et juillet, et à la rentrée scolaire en septembre et octobre.
Si les annonces se lissent au cours du premier semestre, c’est parce que d’autres chantiers occupent les entreprises : clôture des comptes, communication financière aux investisseurs et aux actionnaires, information consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, période de négociations annuelles obligatoires, etc. Ces chantiers sont certainement à l’origine de la volonté de passer au premier semestre.
Ces schémas ne sont pas modifiés par l’apparition des élections présidentielles et législatives. Le volume d’annonce n’est pas particulièrement plus faible les mois qui précédent les scrutins, ni plus élevé à l’issue.
Répartition des annonces de plans sociaux au cours de l’année (volume de suppression, en %)
Les plans sociaux ne sont pas un sujet de politique nationale et n’intéressent pas une campagne
Seules les réorganisations des grands groupes prévoyant la suppression de plusieurs milliers de postes sont relayées par la presse nationale et génèrent des prises de position politique.
La quasi-totalité des plans sociaux sont traités seulement par la presse quotidienne régionale et suscitent rarement une implication visible du monde politique. Seules des caractéristiques très fortes mêlées à un évènement important pourrait entrainer une mobilisation de la presse et des élus. A titre d’illustration : la réorganisation d’un site de production ou de R&D, la fermeture de site ou de plusieurs lignes de production, ou plus généralement un projet en décalage avec l’image employeur.
Les annonces de plans sociaux sont des moments d’extrême tension, qui parviennent à être apaisés autant que possible par l’explication du rationnel économique, une communication proactive interne et externe, ainsi que la recherche de solution pour chacun des salariés (en particulier le plus possible de reclassement interne).
Point de vue Eight Advisory
Nous conseillons d’éviter une annonce pendant les périodes de campagne car les relations avec l’administration peuvent être plus compliquées et le risque politique, qui apparaît minime vu le nombre de plan annoncés, demeure existant.
Il ressort que les plans sociaux qui ont été mis en avant par la presse nationale ou repris par des politiques sont ceux qui sont soit mal préparés et/ou mal expliqués aux salariés et leurs représentants.
A titre d’illustration au moment où Whirlpool annonçait 290 suppressions de postes, la BNP rendait public un projet de fermeture de 100 agences bancaires et la suppression de plus de 3 000 postes, EDF la suppression de 5 000 postes sur 3 ans, ainsi que d’autres plans sociaux d’envergure.
Par Florent Berckmans et Wandrille Wallon
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[1] C’est-à-dire celles ayant un impact de plus de 100 suppressions de postes (solde brut) ou pour les groupes qui comptent plus de 250 personnes en France quand plus de 10% de l’effectif est impacté