Mayday publie les Mayday talks, une série de podcasts originaux conçus par Mayday. Un Mayday talk c’est une discussion autour d’un thème lié au retournement avec deux invités. Cette semaine nous sommes heureux d’interviewer Fabrice Girard, avocat associé au sein du cabinet Enthoven & Girard, et Serge Préville administrateur judiciaire associé au sein de l’étude AJ Associés, sur le thème « reprise interne VS reprise externe ». Reprendre une entreprise en difficulté se limite pour beaucoup à reprendre une entreprise à la barre du tribunal, c’est-à-dire réaliser un plan de cession autrement dit réaliser une reprise externe, sous-entendu « de l’extérieur ». Pour autant, il est également possible de reprendre une entreprise « de l’intérieur », c’est-à-dire une reprise interne. Ce faisant, le repreneur acquiert tout ou partie des titres d’une entreprise, et restructure l’entreprise via un plan de sauvegarde ou de redressement. Décryptage…
Mayday : Fabrice Girard, pourriez-vous, au plan juridique, nous rappeler les grandes différences entre les deux modes de reprise, c’est-à-dire l’achat de titres versus offre de reprise et plan de cession ?
Fabrice Girard : Nous avons deux systèmes, lorsqu’une société est en état de cessation des paiements, elle ouvre une procédure dite de « redressement judiciaire », dans laquelle est ouverte une période d’observation. Dans le cadre de cette période d’observation, il y a deux possibilités, soit la société est capable de présenter un plan de continuation, dit autrement, c’est un plan d’apurement du passif, soit la société dit assez rapidement dans le cadre de la période d’observation qu’elle n’a aucune possibilité de présenter un plan d’apurement du passif. Dans ces cas-là, le tribunal et l’administrateur judiciaire vont ouvrir un appel d’offre pour rechercher des candidats acquéreurs pour le fonds de commerce, c’est-à-dire l’activité. C’est la différence entre les anglicismes « share deal » et « asset deal ». Dit autrement, dans un plan de continuation, le débiteur reste avec son actionnaire, c’est lui qui présente le plan d’apurement du passif. Je dis « reste avec son actionnaire », car c’est tout le sujet aujourd’hui, est-ce qu’il reste avec son actionnaire ou est-ce qu’un nouvel actionnaire peut entrer au capital pour présenter son plan de continuation ? Dans la deuxième hypothèse, le repreneur ne reprend que les actifs de la société. C’est intéressant car il a une garantie d’actif et de passif qui est faite, il ne reprend aucun passif de la société ou très peu, mais il repart à zéro, il doit constituer une nouvelle société, rechercher de nouveaux partenaires, et de zéro, constituer une nouvelle société.
Mayday : Serge Préville, la reprise interne implique donc une négociation amiable avec les actionnaires pour l’acquisition des parts, mais également avec le dirigeant et les créanciers. Comment s’y prendre pour approcher chacune de ces parties, quels sont les arguments qu’un repreneur peut utiliser pour convaincre les parties prenantes ?
Serge Préville : Je comprends les propos très clairs de Fabrice qu’on entend par reprise interne, en tout cas pour les besoins de notre discussion du jour, un plan de continuation avec une substitution d’actionnaire. Je crois que d’abord il faut prendre un petit peu de recul, cela suppose qu’ayant défini cette reprise de cette manière-là, qu’on se situe au stade du plan de cession et donc au stade de l’appel d’offre. Donc on se situe dans une situation déjà très dégradée, puisqu’on le sait en pratique, les actionnaires ont déjà « virtuellement perdu la partie » puisque le plan de cession est un cas exceptionnel, mais d’expropriation judiciaire. Les créanciers surtout ont déjà à ce stade perdu leur mise, en tout cas statistiquement, par rapport à ce que l’on connaît des plans de cession. Donc cela veut dire que la conversation se fait le plus en amont possible, en tout cas, au stade de l’appel d’offre, initié par l’administrateur judiciaire, elle se fait entre un acquéreur et les actionnaires de la société en redressement judiciaire.
Mais en réalité, je pense que cette discussion est souvent tripartite puisqu’elle se fait aussi avec les créanciers. En partie, ce que l’on voit c’est que ces cas de reprises internes sont des cas de reprise avec levier, c’est-à-dire que l’on vient chercher un effort de la part des créanciers. Donc la négociation est tripartite, elle s’intègre d’ailleurs très bien anciennement dans le cadre des comités de créanciers désormais des nouveaux dispositifs des classes de parties affectées, mais il y a un double enjeu. Il y a un enjeu de passage de témoin entre un nouvel et un ancien actionnaire, et un enjeu d’abaissement du niveau de passif. Donc c’est bien une discussion à trois, mais là où il y a vraiment un sujet, c’est la question du timing. En effet, l’appréhension par l’administrateur judiciaire, en tout cas en ce qui me concerne, d’un sujet de reprise interne, ne sera pas du tout le même si l’émergence d’une solution de reprise interne se fait au moment de l’appel d’offre, ou le jour de l’ouverture de la procédure collective. Là il y a un vrai sujet parce qu’indépendamment des effets de levier lié à la discussion avec les créanciers, il y a un sujet pour un repreneur, d’avoir à opter pour une reprise interne avec en tête l’idée d’avoir à éviter la concurrence. Cet axe stratégique d’évitation de la concurrence est intimement lié au séquencement de l’émergence de cette solution tout au long de la procédure collective.
FG : Dit autrement, on se place au stade de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire donc le mal est fait, on est en état de cessation des paiements, on se demande quelle est la meilleure solution pour la société, le débiteur, les salariés et les créanciers. Mais prenons l’axe de l’entrepreneur et raisonnons autrement qu’en tant qu’administrateur judiciaire, tribunal ou les créanciers. Raisonnons en tant qu’équipe, pour le dirigeant, il est essentiel de se dire que l’avocat et l’administrateur judiciaire ne sont pas des ennemis, et donc ils doivent venir les voir le plus rapidement possible. Encore une fois, le redressement judiciaire est un outil ; c’est un outil que l’on peut éviter, il y a peut-être autre chose dans la boite à outil du Livre VI du Code de Commerce. Si j’ai bien compris ce que dit Serge, c’est que plus rapidement l’on constitue son équipe et on anticipe les difficultés, plus on peut trouver des solutions rapides, que ce soit in bonis ou dans le cadre de la prévention et dans le stade qui nous intéresse, évoquer le cas de la reprise interne avec une certaine forme de facilité qu’il n’aura pas s’il attend l’état de cessation des paiements, avant d’aller voir l’administrateur judiciaire pour lui dire « il me reste 3 mois de trésorerie, qu’est-ce que je peux faire d’intelligent ? »
SP : Je rebondis car ce séquencement est important. Evidemment, la contrainte dans nos procédures c’est la trésorerie, et si cette solution de reprise interne émerge dans le cadre d’un appel d’offre qui a été préalablement initié le problème c’est que les organes de la procédure vont apprécier l’ensemble des solutions de manière globale et vont challenger un sujet de reprise interne s’il existe, et au regard d’une reprise classique à la barre sans passif parce que le driver pour le tribunal, qui d’ailleurs est fixé par les textes, c’est la pérennité de l’activité et des emplois. Donc je crois qu’au stade de l’appel d’offre il est un peu tard, et il est illusoire d’imaginer qu’on évite une concurrence en procédant de cette manière.
A l’inverse, encore une fois, la situation plus idéale est celle d’avoir un débiteur qui met tout de suite sur la table le jour de l’ouverture du redressement judiciaire cette solution de reprise interne, quitte à l’assortir, comme c’est souvent le cas, de conditions avec les créanciers, les affaires spéciales, etc… Le sujet pour un dirigeant, et pour « l’équipe » comme le dit Fabrice, c’est d’avoir un coup d’avance. Pour être plus général, quand on lance un appel d’offre, indépendamment du sujet de la reprise interne, il est toujours très plaisant pour un administrateur d’avoir une solution existante. C’est la même chose pour un dirigeant quand il se place en redressement judiciaire, il faut qu’il ait absolument réfléchi, pour l’évacuer ou pour la confirmer, l’hypothèse de l’existence d’une reprise interne. L’intérêt, c’est de pouvoir dès l’ouverture du redressement judiciaire, pour le débiteur de pouvoir dire au tribunal en chambre du conseil « il existe une solution, nous avons anticipé le timing pour la mettre en œuvre puisque nous avons une visibilité sur la trésorerie sur 3,4,5,6 mois, et donc laissez-nous évacuer ou confirmer cette hypothèse de reprise interne, et si cela ne fonctionne pas, nous reprendrons nos réflexions habituelles. Je pense que l’idée est de travailler cette hypothèse et ensuite tirer les conséquences de sa possibilité ou non ».
FG : Je suis en phase avec Serge, mais pour répondre à Cyprien, on se place à deux niveaux différents. On se place au niveau du débiteur et du dirigeant tandis qu’on met sur la table une hypothèse de travail qui est celle du repreneur qui lui va se dire « c’est plus intelligent pour moi pour plein de raisons, et notamment pour la raison de la concurrence, de reprendre les titres et proposer un plan de continuation. Il est légalement prioritaire, on y voit là une décision d’opportunité pour le repreneur, avec ces risques, puisqu’encore une fois, reprendre les titres c’est reprendre tout le bagage, donc il y a un vrai travail à faire pour traiter le passif de la société, mais dans ce positionnement, on est sur un repreneur tiers qui vient dans le cadre d’un appel d’offre, et qui se dit « tiens, il y a beaucoup de concurrents, un moyen d’évincer la concurrence c’est de me placer en amont, je suis prioritaire si je reprends les titres et fait un plan de continuation ». C’est évidemment intéressant d’un point de vue stratégique, mais quid du point de vue financier ? C’est un vrai sujet, les calculs doivent être faits, mais je souhaitais insister sur le côté dirigeant. On s’adresse beaucoup à des PME dans lesquelles il y a un fort intuitu personae dans l’essentiel des dossiers que l’on peut voir, du dirigeant et de son entreprise, le plus souvent il est le fondateur, souvent il est également actionnaire majoritaire ou du moins l’a été à un moment donné, et pour lui c’est une sanction d’ouvrir une procédure collective et de voir sa société en redressement judiciaire. Avec Serge, nous voulons dire « Monsieur, venez vite, il n’y a pas que la cession d’actif à un tiers qui soit la solution pour pérenniser votre activité, mais vous devez travailler rapidement et en amont ».
SP : Pour rebondir sur les propos de Fabrice, auxquels je souscris pleinement, c’est que la notion d’anticipation, qui est au cœur maintenant depuis tellement d’années et de tout le Livre VI du Code de Commerce, de toutes les stratégies qu’il faut conduire aux côtés des dirigeants, là encore, l’anticipation est clé parce que si on ne prépare par une solution de reprise, le problème c’est que l’on va se retrouver confronté à au moins deux freins, et ces freins sont le revers de la même médaille, c’est-à-dire la contrepartie du fait que l’on a pas comme réflexe le fait de travailler sur ces solutions de reprise interne. Le premier frein c’est que l’on aura en chambre du conseil assez rapidement tendance à considérer que le redressement judiciaire est l’échec d’un projet et que donc il faut passer la main. Or, ce n’est pas toujours le cas, les causes de redressement judiciaire on le sait, elles sont internes, elles sont externes, elles sont conjoncturelles, elles sont occasionnelles, elles sont très plurielles, et donc c’est vrai que l’on a une trame psychologique en chambre du conseil qui consiste à dire que c’est l’échec d’un projet, et qu’il n’y a pas lieu de le continuer. Donc il y a cette idée de sanction que vient caractériser l’appel d’offre. Le deuxième frein, c’est que si ce n’est pas suffisamment préparé, c’est que les créanciers sont très peu habitués à ça et en général sont très à l’aise avec l’idée d’un plan de cession car la loi vient leur imposer quelque part une forme d’abandon in fine dans le cadre de la liquidation judiciaire post cession. Et ça, ils y sont habitués car c’est mécanique et facile. En revanche, le fait de mettre le problème sur la table et de leur expliquer qu’on a une solution de reprise interne qui suppose des abandons parfois extrêmement agressifs 50,60,70, voire 80 ou 90% d’abandons sont à comparer par rapport à une hypothèse de plan de cession qui statistiquement ne rapporte rien. Ca, ils n’y sont pas habitués. Il faut voir le nombre de discussions que nous avons, notamment avec des banques qui ont tendance à aller à la facilité du plan de cession.
FG : Je suis très content que Serge parle des banques, je ne veux pas être polémique car ce n’est pas le lieu ni l’objet de nos propos, mais nous parlions des créanciers prêts à réaliser des abandons de créances. Les créanciers du business acceptent facilement un certain nombre d’efforts, parfois parce qu’ils n’ont pas le choix, c’est déjà perdu, donc mieux vaut accepter un petit bout de quelque chose plutôt que rien du tout. Notre problématique, et surtout celle de Serge en qualité de conciliateur et mandataire ad hoc, c’est la discussion avec les banques. Aujourd’hui on a pas de pouvoir de contrainte contre les établissements bancaires, créanciers principaux des PME que nous rencontrons tous les jours, d’où l’intérêt du redressement judiciaire et de discuter. Mais encore une fois, l’axe pour un repreneur de reprendre les titres et présenter un plan de continuation, il faut avoir une force de frappe pour obtenir des créanciers bancaires un abandon ou des contraintes élevées du remboursement de leurs créances. Un repreneur tiers peut le faire beaucoup plus facilement qu’un dirigeant. C’est toute la problématique que soulevait Serge : si aujourd’hui l’on veut pérenniser l’activité de la société dans un cadre plan de continuation ou in bonis, la principale difficulté sont les banques.
Mayday : Fabrice Girard, quand et comment arbitrer entre une reprise en plan de cession et une reprise en plan de continuation ? Je veux dire par là, on évoquait au début l’opportunité d’échapper à la concurrence liée à un processus d’appel d’offre public. Y a-t-il d’autres critères à prendre en compte pour savoir si en tant qu’avocat vous allez conseiller un chef d’entreprise de racheter des titres et faire un plan de continuation, ou de basculer et d’attendre des appels d’offre ?
FG : Il n’y a pas malheureusement de guide exhaustif dans lequel on coche les cases pour voir si l’on est éligible à l’une ou l’autre solution. C’est du cas par cas, tous les dossiers sont différents même s’il y a des familles qui se ressemblent. Pour essayer de répondre plus précisément, ça dépend de beaucoup de choses sur la société. Est-ce une société dont le chiffre d’affaires est constitué suite à la réponse à des appels d’offre publics ? Ce serait un critère. Une société qui aujourd’hui a une forte notoriété et qui répond à des appels d’offre est un critère pour essayer de trouver une solution dans un cadre où on maintient la personne morale. Si au contraire c’est une société dont le nom n’a pas d’importance et qui n’a pas de contrainte d’agrément, d’autorisation ou de réponse à des appels d’offre, c’est possible. Parallèlement, si on a des sociétés où les catégories socio professionnelles sont toutes les mêmes, donc on a une seule catégorie de salariés, et on doit mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi, c’est compliqué de faire cela dans le cadre d’un redressement judiciaire avec plan de cession, car on ne peut pas choisir les salariés avec qui on veut continuer de travailler. Donc on est contraint de faire les choses dans un autre cadre juridique.
Les autres exemples sont également le soutien de l’actionnaire, on peut avoir des actionnaires qui sont prêts à continuer l’aventure, qui sont prêts à faire des efforts supplémentaires. Dans ce cas-là, il faut conserver la personne juridique. Mais encore une fois, on a pas une grille de lecture limpide, c’est une grille de lecture au cas par cas. Mon point est de dire que c’est une option qu’il ne faut pas balayer du revers de la manche quand on est en difficulté, c’est une solution qui doit se regarder et s’étudier. Or, aujourd’hui, par réflexe ou par travers, les interlocuteurs des procédures collectives ont tendance à se dire « notre grille de lecture c’est le plan de continuation, tu sais faire, si tu ne sais pas faire on se dirige vers un appel d’offre, en fonction de la trésorerie ». Il faut aller en amont pour voir ce qui est le plus intelligent à faire.
SP : Je suis d’accord avec Fabrice, le problème c’est que l’on se retrouve dans des dossiers de procédure collective avec des comptes de résultat extrêmement déprimés, mais surtout des passifs très importants qui souvent sont rédhibitoires, parce qu’on a trop attendu ou autre. Donc quand le montant du passif devient trop important, il est vrai que le plan de cession est la seule solution, on a évacué, à trop attendre, l’ensemble des autres options. C’est dommage car à chaque fois qu’un dossier est suffisamment anticipé, au mérite de conseils suffisamment avertis, on arrive à trouver des occasions de percer des hypothèses différentes, et quand le passif est moins important on peut encore réfléchir à des options de reprise interne. Malheureusement statistiquement ce n’est pas le cas, ce qui donne lieu à cette absence de réflexe soulignée antérieurement où une grande majorité de dirigeants n’explorent pas cette piste ce qui est dommage car un certain nombre de fois on va l’écarter, mais pour l’écarter, encore faut-il l’avoir explorée.
FG : Je rebondis sur l’importance du passif, bien sûr c’est un des critères et c’est un sujet qui fait peur à l’ensemble des organes de la procédure collective. Il ne faut pas que le dirigeant ait peur du passif, encore une fois, le problème essentiel est qu’il faut monter un plan d’apurement du passif. Combien de plans vont au bout et permettent de rembourser 100% du passif ? On doit être sur des statistiques inférieures à 10%. Très peu de plans de continuation vont au bout. Cela ne doit pas empêcher le dirigeant de monter un plan de continuation. Je dis toujours que c’est mieux pour la société, c’est mieux pour les salariés, c’est mieux pour les créanciers si on arrive à présenter un plan de continuation. La question de savoir à N+5 ou à N+6 on sera toujours en mesure de payer le dividende du plan de continuation est un autre sujet qui doit être anticipé. Mais encore une fois, le chemin de croix d’une société en difficulté peut passer par l’homologation du plan de continuation et donner 5 ans supplémentaires au dirigeant et à la société pour trouver une nouvelle solution de financement pour racheter ses créances ou sortir du plan de continuation.
SP : « Le passif n’est pas un problème », cette phrase qui peut être polémique ne me choque pas tant que cela, je la compléterai en disant que le passif n’est pas un problème, tant que les créanciers sont d’accord.
Mayday : Serge, pour revenir avec le prisme du repreneur, pourriez-vous nous présenter les grandes différences au plan financier des deux modes de reprise, à la fois en termes de prix d’acquisition mais également en termes de financement du BFR, je parle du financement du projet de reprise.
SP : Sur le plan financier, les deux modes de reprise sont totalement différents, il y a ce que l’on pourrait appeler « la reprise à la barre » qui est le mode de reprise externe, et le mode de reprise interne qui est le sujet de notre discussion. Pour la première je crois que la philosophie est très claire, c’est l’aboutissement d’un chemin de procédure collective qui amène à considérer que le statut quo n’est pas possible et donc on fait appel au marché. Donc le tribunal organise le passage de témoin, l’activité dans un périmètre qui est souvent restructuré est transmise pour le dire clairement « au plus offrant » pour autant que les candidats soient sérieux sur le plan professionnel. En pratique, le mécanisme est assez simple, mais ce que l’on constate aussi c’est que les occasions de servir des créanciers post projet de reprise à la barre sont statistiquement très rares, hormis les créanciers très bien lotis et notamment l’AGS. C’est un premier sujet, et l’essentiel de l’enveloppe financière pour le repreneur est consacré au prix de cession, car il faut donner envie au tribunal de le retenir, mais elle est particulièrement consacrée au retournement de la cible, et dans un premier temps au financement des pertes sur un certain nombre de mois et d’années post reprise, car on est sur des actifs très déprimés.
Le second schéma qui est celui que l’on évoque aujourd’hui, la reprise interne, permet encore une fois quasiment dans tous les cas, sous réserve des efforts consentis par les créanciers, la reprise des titres pour des prix qui en général tournent autour de 1,50€ et donc la reprise des titres c’est la reprise de l’universalité du patrimoine de la cible. Donc c’est la reprise des éléments de trésorerie, des éléments de compte clients, des déficits reportables, et à droite du bilan c’est le traitement d’un passif dans le cadre d’un plan, en tout cas pour les parties qui ne sont pas abandonnées. Et donc ce plan est classiquement établi sur des durées extrêmement longues de redressement judiciaire. Donc cela veut dire que pour un repreneur il y a un intérêt financier probablement à s’orienter vers ce schéma, parce que le BFR est déjà financé, et qu’on peut traiter le passif sur des durées très longues. On voit un certain nombre de repreneurs opter pour ce mode de reprise interne, tout simplement parce que ce repreneur n’a pas la faculté de s’orienter vers l’option de la reprise à la barre classique, qui suppose elle, de consacrer une enveloppe très rapide non seulement au financement des actifs repris, mais également au BFR qui généralement est important car on additionne les pertes, etc. Pour un repreneur donné, il y a deux modalités de financement en fonction de l’option retenue qui sont toutes les deux différentes. Mais il faut mettre cela en balance, nous l’avons évoqué tout à l’heure, avec le fait d’éviter une concurrence, ce qui est stratégiquement intéressant, et aussi avec des aspects réputationnels, parce qu’en fonction des dossiers il peut y avoir un intérêt à opter pour l’une ou pour l’autre de ces solutions. Je pense notamment à des dossiers industriels où on est confronté à la nécessité pratique d’avoir à conserver la personne morale, donc on évacue la possibilité de pouvoir partir sur des plans de cession, pour des raisons d’attachement au référencement clients, etc.
Donc il y a vraiment un travail au cas par cas à faire, l’inconvénient c’est que pour un repreneur qui opte pour le mode de reprise interne, sauf le cas où il arrive à désintéresser ses créanciers, dans ce cas la structure sort de son plan tout de suite. Le problème, c’est que pour le passif qui sera traité dans le cadre du plan, cela implique la nécessité pour lui de survivre avec un Kbis qui sera toujours marqué au fer rouge du plan, et sur le plan réputationnel, ça peut être embêtant. Parfois, les repreneurs n’ont pas le moyen de faire autrement. Donc en pratique, un nouvel entrant en reprise interne aura statistiquement de grandes velléités de prise de contrôle à minima majoritaire, mais encore une fois c’est du cas par cas, parce que dans un certain nombre de dossiers il aura besoin d’un espèce de continuité avec le management, avec le précédent dirigeant, et donc tout cela s’apprécie d’un dossier à l’autre, ce qui n’exclue pas du tout que cela se fasse avec la plus grande transparence vis-à-vis du tribunal, et du parquet évidemment.
FG : Je suis entièrement d’accord avec Serge sur les questions de financement qui se proposent, mais il faut dire les choses telles qu’elles sont, parfois le repreneur n’a pas le choix sur le financement. Si le repreneur est un industriel qui a les reins solides, le plan de cession va avoir sa préférence, financer un BFR est moins problématique pour lui que pour d’autres repreneurs. Balayons également les fonds d’investissement, aucun fonds d’investissement ne va faire une offre de reprise à la barre du tribunal ou très peu. Un dirigeant personne physique aura une difficulté monstrueuse à lever des fonds pour acquérir le fonds de commerce de la société qui vient de déposer le bilan, et trouver des financements, alors que pour lui c’est beaucoup plus simple de faire avec la structure juridique qui existe et tous les actifs et liquidités dont elle dispose. Donc tout cela est encore une fois à évaluer au cas par cas.
Mayday : Ce que je note pour conclure, c’est que l’on peut reprendre une entreprise par la voie interne sans être majoritaire, ce que l’on ne voit pas en plan de cession, c’est peut-être un mode de reprise plus doux pour les parties prenantes existantes qui accepteraient de jouer le jeu et de participer à faire vivre l’entreprise.
SP : Oui, la manière de reprendre « par l’interne » est moins brutale, si elle se produit en dehors d’un appel d’offre elle est également moins traumatisante pour les actifs de l’entreprise au sens très large, les salariés, le fonds de commerce, etc, donc elle est probablement préférable. Mais je crois que ce qui se joue est d’organiser un passage de témoin dans la douceur pour préserver la valeur de l’entreprise, et donc plus on anticipe le sujet, mieux c’est, et notamment des discussions en conciliation autour de ce sujet doivent utilement intervenir suffisamment tôt pour éviter, chaque fois que cela est possible, une procédure collective. Car le sujet de la reprise interne se pose techniquement pendant la procédure collective, un peu avant ou pendant l’appel d’offre. Mais il ne faut pas évacuer la question principale, tant qu’on peut éviter la procédure collective il faudra continuer de le faire, cela supposera une conversation efficace avec les créanciers, et ça, encore une fois, sera du cas par cas pour citer Fabrice encore une fois.
FG : Le cas par cas est le maître mot de notre conversation, les professionnels des procédures collectives veulent éviter les ouvertures de procédures collectives, notre job est de ne pas faire du judiciaire. Pour cela il faut anticiper, préparer les options pour choisir la meilleure.
Par Cyprien de Girval et Lucile Guillerault