Créée il y a deux ans, pilotée par la Faculté de droit de l’Université Jean-Moulin Lyon 3, en partenariat avec le Barreau de Lyon, la Chambre régionale des notaires et L’École des Avocats Rhône-Alpes (EDARA), la clinique juridique est un service d’orientation juridique gratuit et confidentiel. Dirigée par le Professeur Ludovic Pailler, elle lance un pôle « crise » pour accompagner les entreprises en difficulté et promouvoir les outils de restructuration afin d’encourager les dirigeants à faire appel aux procédures préventives le plus tôt possible. Mayday a rencontré Paolo Danelzik, Paul Hayes et Simon Reibel, étudiants du DJCE de Lyon et co-présidents et Youcef Koroghli, Président de l’Association ALED.
Mayday : Comment fonctionne la clinique Juridique de l’Université de Lyon ?
Paolo Danelzik : Créée il y a deux ans, la clinique juridique est un service d’orientation juridique gratuit et confidentiel. Elle est pilotée par la Faculté de droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3 en partenariat avec le Barreau de Lyon, la Chambre régionale des notaires et L’École des Avocats Rhône-Alpes (EDARA). Elle est dirigée par le Professeur Ludovic Pailler, tandis que Paul Hayes, Simon Reibel et moi-même, étudiants en Master 2, assurons la présidence de l’association de la clinique juridique.
La clinique juridique permet à ceux qui le souhaitent d’obtenir un rendez-vous pour venir échanger sur des difficultés d’ordre juridique afin de pouvoir être orienté. Un premier rendez-vous d’une vingtaine de minutes est animé par des étudiants en fin de parcours universitaire (Master 1/2) et des élèves avocats de l’école des avocats Rhône Alpes qui, après avoir échangé avec l’usager de la clinique, lui proposeront une restitution orale deux semaines plus tard. Au cours du deuxième rendez-vous, le patient sera informé sur ses droits et, le cas échéant, orienté vers le professionnel du droit approprié.
Bien entendu, il ne s’agit pas de délivrer des consultations juridiques, mais de mettre les compétences juridiques des étudiants au service de la communauté. Les patients qui sollicitent les services de la clinique sont souvent très peu encadrés pour des raisons financières, et notre action peut les conduire à franchir le pas en sollicitant l’accompagnement d’un professionnel.
Les rendez-vous ont lieu tous les jeudis de 18h à 20h, en principe à l’École des Avocat Rhône Alpes (EDARA), au 191 rue Vendôme, 69003 Lyon. Toutefois, compte tenu de la situation sanitaire, ils ont actuellement lieu par visioconférence.
Mayday : Concernant l’activité principale de la clinique juridique, avez-vous l’occasion d’aborder des problématiques liées aux entreprises en difficulté ?
PD : Jusqu’à présent, il s’agissait plutôt d’une activité à la marge. Depuis la création de la clinique juridique, nous avons constaté que les patients sollicitent principalement les services de la clinique juridique en matière de droit des affaires (constitution de sociétés, problématiques de propriété intellectuelle), en droit immobilier (location, copropriété, troubles de voisinage), en droit de la consommation (crédit à la consommation, résiliation d’assurance, rétractation), ou encore en droit social (contrat de travail, licenciement).
Mayday : Qui sont les référents supervisant le travail des membres de la clinique juridique ?
Paul Hayes : Le délai de deux semaines entre le premier rendez-vous et la restitution, permet à un référent (enseignant/chercheur, avocat ou notaire) de contrôler systématiquement les restitutions des étudiants et élèves avocats. Nous garantissons ainsi la qualité des restitutions orales auprès des patients.
Mayday : Les étudiants sont-ils sélectionnés ou simplement volontaires ? (Paul HAYES, co-président)
PH : La clinique juridique fonctionne sur la base du volontariat et propose aux étudiants de parfaire leur formation juridique par une confrontation au réel et à des enjeux très terre à terre.
Les étudiants de Master 1/2 sont sélectionnés par le pôle “Ressources Humaines” de l’association, qui prend en compte leur motivation. Ils doivent à ce titre envoyer une candidature comportant un curiculum vitae et une lettre de motivation. Quant aux élèves-avocats, leur participation dans la clinique juridique relève d’un module qu’ils choisissent de suivre ou non dans le cadre des cours proposés par l’Ecole des avocats Rhône Alpes.
Nous connaissons actuellement une forte expansion de nos effectifs, puisque nous sommes passés d’une structure de 60 membres actifs l’an passé, à près de 200 aujourd’hui.
Mayday : Les étudiants assurent-ils un suivi des dossiers qu’ils traitent ou passent-ils d’une mission à une autre, d’un domaine à un autre ?
PH : Les dossiers traités par les membres actifs portent sur une question précise et limitée dans le temps. Le traitement d’un dossier est de l’ordre de quelques semaines. Il n’y a pas de suivi sur le long terme d’un patient, tel que peut le faire l’avocat.
Quant aux domaines d’interventions, les étudiants sont répartis dans différents pôles en fonction de la spécialité de leur cursus. En effet, la clinique juridique est divisée en six pôles : droit des affaires et fiscalité, droit immobilier, droit privé, droit social, droit pénal et droit européen/international.
Mayday : Concernant le « Pôle crise », comment vous est venue l’idée de le créer ?
Simon Reibel : Nous sommes partis du postulat que bien souvent, la peur du tribunal et la méconnaissance des procédures sont un frein au sauvetage des entreprises. Dans l’esprit collectif de nombreux dirigeants, solliciter la protection du Tribunal de commerce est synonyme de liquidation ou de dessaisissement de leur entreprise.
A cause de telles amalgames, les dirigeants ont tendance à repousser l’échéance et à ne saisir les tribunaux que lorsqu’il est déjà trop tard, boudant par la même tout un pan amiable de notre droit de la faillite qui en fait pourtant toute la richesse.
Alors qu’en matière de redressement, tout l’enjeu repose sur le traitement des difficultés le plus tôt possible, ces réticences des dirigeants sont à l’origine de nombreuses liquidations d’entreprises dont le sauvetage aurait été rendu possible par une prise en charge plus en amont.
En ces temps de crise, l’un des enjeux majeurs pour prévenir et répondre aux difficultés que connaissent les entreprises repose donc sur la promotion des outils de restructuration afin d’encourager les dirigeants à faire appel aux procédures préventives le plus tôt possible.
C’est dans cette perspective que nous avons décidé de mettre à profit les services proposés par la clinique, en créant un pôle crise, qui a vocation à recevoir des dirigeants de manière gratuite et confidentielle afin de leur présenter les procédures amiables et judiciaires qui s’offrent à eux.
Mayday : Quel genre de problématiques du droit des entreprises en difficulté comptez-vous ou pensez-vous traiter ?
SR : Jusqu’à présent, nous avons essentiellement reçu des dirigeants qui souhaitaient connaître les tenants et aboutissants des différentes procédures amiables et judiciaires. Ils veulent savoir dans quoi ils s’engagent, et ce qu’implique l’ouverture de telle ou telle procédure.
L’idée est alors de lever le voile sur un certain nombre de préjugés afin de les rassurer. A cette occasion, nous leur présentons les différentes alternatives qui s’offrent à eux, avant de les inviter à consulter un professionnel pour les accompagner dans leurs démarches.
Il est également probable que nous soyons amenés à informer sur le contentieux qu’engendre habituellement les procédures collectives.
Mayday : Cette nouveauté est-elle déjà effective ? Si oui, quel type de cas avez-vous déjà traité?
SR : Ce nouveau pôle vient d’être créé, nous sommes donc toujours dans une phase de communication afin de faire connaître ce nouveau service auprès des dirigeants. A cet effet, nous venons de signer un partenariat avec la Communauté de communes de la Dombes dans l’Ain, qui a relayé la création du pôle crise auprès des 18 000 TPE et PME de son territoire.
Ces nouvelles synergies nous permettent de toucher un public de dirigeant plus large que l’agglomération lyonnaise, ce notamment grâce à la mise en place de rendez-vous en visioconférence.
Ces différents relais ont porté leur fruit et ont permis à l’activité du “pôle crise” de débuter. Nous avons d’ores et déjà été destinataire de plusieurs demandes de rendez-vous et avons reçu plusieurs dirigeants.
Jusqu’à présent, il s’agissait principalement de dirigeants de petites entreprises, parfois non loin de l’état de cessation des paiements, qui nous sollicitent afin d’obtenir des informations sur les différentes procédures et les aides gouvernementales auxquelles ils pouvaient prétendre.
Mayday : Nous constatons souvent que les dirigeants ont peur de l’échec (stigmatisation de l’échec en France etc) et craignent de se placer sous la protection du Tribunal de commerce, pensez-vous pouvoir les inciter à venir vers vous ? Comment ?
SR : C’est précisément le constat de cette peur du Tribunal qui nous a amené à créer ce pôle crise.
Nous pensons que ce sentiment de crainte est étroitement lié à un manque de vulgarisation des procédures auprès des dirigeants, favorisant ainsi – au travers une certaine forme de peur de l’inconnu – le développement de nombreuses fausses idées.
Le service que nous proposons aujourd’hui se veut être – à son échelle – un instrument de promotion des différents dispositifs amiables et judiciaires, afin de convaincre les dirigeants de ce que le Tribunal peut être un allié en cas de difficultés.
Par peur d’être stigmatisés, certains dirigeants d’entreprise sont parfois réticents à l’idée de solliciter l’aide d’experts du chiffre ou du droit à propos des difficultés qu’ils rencontrent. Nous croyons que notre qualité d’étudiant – plus neutre et plus en marge de la sphère économique – permettra de faire tomber ces barrières psychologiques.
La gratuité et la confidentialité de nos rendez-vous seront également de nature – nous l’espérons – à inciter les dirigeants à nous solliciter.
Mayday : Que pouvez-vous me dire sur le partenariat avec le Master 2 ALED de Lyon ?
Youcef Koroghli : Les coprésidents de la clinique juridique nous ont fait part de la création d’un “pôle crise” et de leur souhait d’associer les étudiants de notre master à ce projet. La participation à ce projet nous est parue évidente en raison de l’opportunité qu’elle représentait pour les étudiants du Master ALED de réaliser de véritables missions d’information et d’orientation juridique auprès des dirigeants.
Le bureau de la Clinique juridique nous a pleinement impliqués dans le fonctionnement du “pôle crise”, puisque trois étudiants du Master 2 ALED sont affectés à chaque rendez-vous lié aux entreprises en difficulté. Notre directeur de Master, le Professeur Nicolas Borga, participe également à ce projet en qualité de superviseur.
Mayday : Le « Pôle crise » sera-t-il composé d’une équipe spécifique ou comptera-t-il tous les membres actuels de la clinique Juridique ?
YK : Compte tenu de la technicité de la matière et dans le but de garantir la qualité des restitutions, le “pôle crise” est composé exclusivement d’étudiants du master 2 ALED de Lyon 3, spécialisés en droit des entreprises en difficulté. Grâce à ce partenariat, le pôle compte désormais 30 membres actifs.
Mayday : Dans le prolongement du rapport de la commission Richelme, pensez-vous sensibiliser les dirigeants sur l’importance des procédures amiables ou pensez-vous rencontrer des dirigeants déjà en situation dégradée ?
YK : Le pôle crise a vocation à sensibiliser en premier lieu les dirigeants aux procédures amiables, afin de les encourager à réagir le plus tôt possible face aux difficultés rencontrées.
Si du fait des mesures gouvernementales de soutien aux entreprises, nous serons sûrement peu amenés – dans un premier temps – à traiter d’entreprises en état de cessation des paiements et des procédures judiciaires, nous sommes tout à fait disposés, à travers la clinique juridique, à recevoir des dirigeants se trouvant dans une situation plus dégradée financièrement.
Mayday : En quoi votre clinique juridique se démarque-t-elle des autres ?
PD : Notre clinique juridique est, contrairement aux autres, pilotée par la Faculté de droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3, et ne repose pas uniquement sur une association étudiante. Cela nous permet d’une part de travailler en étroite collaboration avec le Professeur Ludovic Pailler et d’autre part de bénéficier des ressources de communication de la Faculté de Droit.
En outre, notre partenariat avec l’Ecole des Avocats Rhônes Alpes nous permet d’associer de nombreux élèves-avocats parmi nos membres actifs (plus de 80), qui vont pouvoir apporter leur expérience auprès des étudiants de Master 1/2 lors des rendez-vous. Il permet encore de resserrer utilement les liens avec et l’école des avocats qui accueille de nombreux étudiants de la faculté de droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3.
Il existe de plus en France une réelle entraide entre les différentes cliniques juridiques. Encore récemment, nous avons pu échanger avec les membres du bureau de la clinique Juridique de la Sorbonne, qui nous ont expliqué leur organisation, ce qui nous a permis d’améliorer le fonctionnement de notre structure.
Mayday : Existe-t-il d’autres Pôles de ce genre dans d’autres Universités ?
PH : Nous n’avons pas eu vent de la création d’autres pôles spécialement dédiés au droit des entreprises en difficulté dans les autres universités dans lesquelles existe une clinique juridique.
Mais nous ne serions pas étonnés que la création de “pôle crise” se développe parce qu’elle répond à un besoin considérablement accru par les circonstances actuelles.
Propos recueillis par Cyprien de Girval