Après avoir racheté un petit corsetier lyonnais en 1975, Jacques Daumal créé la société Lise Charmel avec pour ambition de créer, fabriquer et commercialiser de la lingerie haut-de-gamme. Lise Charmel est ainsi devenue un groupe indépendant et international sur le secteur exigeant de la lingerie de luxe, activité permettant de réaliser un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros, dont 50% à l’export. Le Groupe a néanmoins connu des difficultés, après 50 ans de développement prospère, du fait de la baisse générale du marché de la lingerie, de la crise des gilets jaunes mais aussi à cause d’une structure financière dégradée. Après la sollicitation de procédures préventives, puis l’ouverture de procédures de redressement judiciaire, le Tribunal de Commerce de Lyon a arrêté le 30 septembre 2021 après 19 mois de période d’observation des plans de continuation au bénéfice des huit sociétés du Groupe. Ainsi, grâce au soutien de ses créanciers, des administrateurs et mandataires judiciaires, de l’implication des juges-commissaires auprès du Tribunal de commerce de Lyon ainsi que de ses salariés et représentants, le rebond du Groupe Lise Charmel est assuré et près de 1000 emplois préservés. Entretien avec Olivier Piquet, Directeur Général de Lise Charmel, et Numa Rengot, avocat associé en charge de l’équipe Restructuring au sein du cabinet d’avocats Franklin.
Mayday : Pourriez-vous revenir sur l’origine de vos difficultés ?
Olivier Piquet : Il y en a eu plusieurs. Au départ, avant le redressement judiciaire, une mutation des réseaux de distribution s’est opérée. Il y avait en France et en Europe une vraie culture de corsetterie avec des milliers de points de vente. Beaucoup ont fermé et continuent de fermer, malgré une croissance continue du nombre de consommatrices.
Ensuite, certains partenaires bancaires se sont orientés vers d’autres choix stratégiques que ceux du textile ou encore de la corsetterie. Quelques tensions se sont ainsi installées avec les établissements financiers.
Enfin, nous avons subi plusieurs semaines d’arrêt à cause d’une cyberattaque. Nous sommes une entreprise très investie dans le digital, nous disposons de nos propres serveurs et l’ensemble du Groupe est interconnecté : de la création à la production, aux commerciaux et à la logistique, et ce en temps réel. Nous nous sommes fait pirater et tout notre système d’information a été crypté. Toute notre activité s’est retrouvée à l’arrêt. Nous avons pris le parti d’en parler, il est important de sensibiliser les dirigeants sur ce risque.
Après avoir contacté l’ANSSI, nous avons sollicité plusieurs entreprises afin d’obtenir de l’aide. Orange Cyberdefense a été très compétente. Nos prestataires habituels se sont aussi beaucoup mobilisés. L’ensemble de notre système a donc dû être réinitialisé en quelques semaines. C’était vraiment une attaque profonde et d’envergure, les chefs d’entreprises en France ne sont pas préparés du tout.
C’est pourquoi, alors que nous étions engagés dans des discussions amiables avec nos partenaires, nous avons sollicité la protection du Tribunal de commerce de Lyon qui a ouvert un redressement judiciaire ouvert le 27 février 2020. La crise sanitaire est advenue en même temps, entrainant la fermeture de nos points de vente.
Mayday : La cyberattaque a-t-elle accéléré l’ouverture de la procédure collective ? Quelles ont été les mesures de restructuration prises ?
OP : La cyberattaque a été un déclencheur, car nous espérions trouver trouver des solutions et des accords avec nos partenaires bancaires dans le cadre de procédures préventives.
Numa Rengot : L’ouverture du redressement judiciaire nous a permis d’utiliser toutes les possibilités offertes par le Livre VI du Code de commerce, notamment en ce qui concerne les comités de créanciers alors que ce n’était pas obligatoire sur toutes les structures. Pour préserver les relations commerciales avec les fournisseurs et éviter des faillites en cascade liées à un write off imposé, des options ont été proposées à ces derniers ce qui n’est pas habituellement le propre du comité des créanciers., Cette utilisation des comités sur certaines entités, hors seuil, qui est assez rare, se solde par une adhésion de quasiment 90% des créanciers avec une proposition de write off de l’ordre de 85%. Il a donc été obtenu, grâce à des négociations, une réduction massive du passif déclaré, enjeu principal du dossier. Il n’y a pas eu de changement capitalistique, ni de changement de gouvernance. Aucun PGE n’a été sollicité. Ce qui constitue le caractère singulier de ce plan de continuation.
La négociation financière s’est faite avec l’adhésion de la grande majorité des créanciers. Ce point est très important et positif pour la suite de Lise Charmel.
Il est aussi prévu une restructuration juridique du Groupe, ce qui permettra encore de réduire les coûts. La holding du Groupe absorbera cinq de ses filiales par des opérations de dissolution-confusion.
Les plans de continuation des sociétés du Groupe ont donc été arrêtés le 30 septembre 2021, permettant ainsi de préserver un fleuron de l’industrie du luxe français et de maintenir près de 1000 emplois en France et à l’international
Mayday : Vous n’avez pas sollicité de PGE, était-ce incompatible avec les négociations que vous aviez avec les banques ?
OP : Il y a eu une phase où nous devions faire nos preuves, c’est-à-dire honorer un maximum d’engagement et en demander le minimum. Nous avons réussi à générer de l’EBITDA positif pendant la période d’observation, et obtenu de la trésorerie. C’est pourquoi n’avons pas initié de demande de PGE. Nous préférions demander de l’aide dans la négociation avec les établissements bancaires.
Mayday : Quel était le montant du passif bancaire ? Comment expliquez-vous qu’avec un write off de 85% vous ayez une adhésion de 90% des créanciers ?
OP : Le montant de l’endettement bancaire représentait 23 millions d’euros et le write off est de l’ordre de 20 millions d’euros. Nous avons des partenaires bancaires de longue date et on a toujours été transparents avec eux sur notre activité. La période d’observation a été longue mais nous avons montré pendant un an des résultats positifs, grâce aux marchés qui ont été maintenus malgré la crise sanitaire. Il y a aussi eu un engagement remarquable des salariés qu’il faut souligner.
NR : Les partenariats avec les établissements bancaires et le soutien apporté par le Tribunal de commerce de Lyon a permis de relever le défis de la dette de Lise Charmel, une entreprise française, qui en plus a de bons indicateurs économiques et sociaux. A ce jour, la trésorerie se reconstitue et la gouvernance est opérationnelle.
OP : Nous avons aussi fait évoluer la gouvernance en nous dotant d’un directoire composé de dix personnes impliquées. Cela va nous permettre de sortir durablement du redressement judiciaire en nous projetant ensuite différemment.
Mayday : Quelle part représente la vente en ligne par rapport à la vente en boutique ?
OP : Nous aimerions arriver à un quart d’ici trois ans. La marque doit travailler avec la consommatrice pour lui donner envie mais nous ne voulons pas de compétition entre les différents canaux de vente, on veut laisser la liberté aux clientes et ne pas créer d’opposition. Je ne pense pas au demeurant que le tout digital puisse fonctionner sur ce marché.
Le plus efficace est un mélange des deux pour que la consommatrice garde sa liberté. En effet, l’essayage et la confrontation au corps peuvent être délicats ou, au contraire, améliorer la confiance en soi. Mais nous voulons laisser le choix aux femmes.
Mayday : Maintenant que le Groupe a réduit son endettement et s’est restructuré, quelle est l’ambition de l’entreprise dans les années qui viennent ?
OP : Lise Charmel est avant tout un Groupe de produits d’excellence, qui étaient relayés par d’excellents points de vente en France et en Europe. L’un des grands challenges est un travail avec les partenaires distributeurs vis-à-vis de nos clientes. Nous voulons travailler sur la relation entre la marque / utilisatrice. Cette relation des femmes avec la lingerie est très subtile. Si les chiffres ont tenu c’est certes parce que les partenaires de distribution ont joué le jeu mais surtout parce que les consommatrices ont été fidèles. On veut donc se tourner vers elles, travailler l’attachement et la connexion, surtout sur la France mais aussi pour les autres pays. Lise Charmel a tout entre les mains pour le faire actuellement.
Plus globalement, nous sortons par le haut de nos difficultés et sans doute qu’elles nous ont renforcés. Cela a été rendu possible par l’implication exceptionnelle de tous les acteurs : les organes de la procédure, le tribunal, nos partenaires bancaires, nos salariés et bien sûr nos conseils qui ont su parfaitement nous introduire dans cet univers qu’ils maitrisent, tout en restant parfaitement indépendant vis-à-vis de l’écosystème et de nous-même. Une nouvelle page reste à écrire pour Lise Charmel pour qui l’aventure continue …
Le Groupe Lise Charmel a été conseillé par Franklin (Numa Rengot – Avocat associé, Fanny Attal – Avocat, Pierre Dupuys – Avocat, Yann Colin – Avocat associé, Victor Cracan – Avocat, Myriam de Gaudusson – Avocat associé, Amélie Nisio – Avocat) et Moreau Avocat (Luc Moreau – Avocat associé) sur notamment la définition de la stratégie d’élaboration du plan de continuation et sa négociation, ainsi que par Grant Thornton (Clothilde Delemazure – Associée, Directrice Nationale Prévention et Restructuration, Romain Lochon – Directeur) sur les aspects financiers.
Godet et Associés (Dominique Godet – Avocat associé et Magali Ostrolenk – Avocat associé) a conseillé le Groupe Lise Charmel sur le volet corporate.
Kalliopé Avocat (Karen Leclerc – Avocate associée) a conseillé le Groupe Lise Charmel sur le volet droit des assurances (cyberattaque).
AJ Meynet & Associés (Maître Robert-Louis Meynet, Maître Typhaine Meynet, Arthur Boucaud, Pierre Beurton et Malory Chapon) et BCM (Maître Eric Bauland et Anissa Nehache) sont intervenus sur le dossier en tant qu’administrateurs judiciaires avec une mission d’assistance.
Alliance MJ (Maître Marie-Dubois) et MJ Synergie-Mandataires judiciaires (Maître Bruno Walczak et Maître Michaël Elancry) sont intervenus sur le dossier en tant que mandataires judiciaires.
Seigle Barrié & Associés (Aurélien Barrié – Avocat associé) est intervenu sur le dossier en tant que conseil des organes de la procédure.
De Pardieu Brocas Maffei (Philippe Dubois – Avocat associé) est intervenu en qualité de conseil du contrôleur.
RE-AGIR (Pascal Layet) est intervenu sur le dossier en tant que conseil du CSE.
Par Marie Jacquemin