L’hôtellerie est un des secteurs les plus touchés par la crise. Les taux d’occupation sont au plus bas et beaucoup d’établissements ne rouvriront pas avant la fin du premier trimestre 2021. La crise a également dessiné une dynamique inverse aux tendances des dernières années. L’enjeu du secteur est de mettre en place des plans de transformation conduisant à un recentrage sur les meilleurs actifs. L’éclairage de Florent Berckmans et Elise Rohart du cabinet Eight Advisory.
Depuis une vingtaine d’année les acteurs de l’hôtellerie et du tourisme ont opéré une profonde mutation stratégique.
Cette démarche s’est d’abord illustrée par une segmentation de leur offre et le recentrage de leurs services autour de l’expérience clients, en particulier avec la création de nouveaux concepts. Nous assistons alors à un effet élastique : renforcement de l’entrée de gamme et premiumisation des gammes élevées au détriment des réseaux milieux de gamme sans concept et sans identité. Ainsi la part du haut de gamme dans l’offre globale a plus que doublé en 8 ans pour atteindre près de 30% en 2019.
Cette mutation s’est accompagnée d’une évolution du modèle opérationnel, avec une accélération depuis les années 1990, du principe d’Asset Light, en France et à l’étranger : création d’Accor Invest ; développement de contrats de management.
Ces évolutions stratégiques et opérationnelles ont permis au secteur de faire face à de nouveaux challenges comme le développement de la tendance slow travel, la sensibilité croissante des clients à la responsabilité sociale et sociétale et l’appétit pour les concepts originaux, comme le témoignent les succès des établissements Mama Shelter et des boutiques hôtels.
Malheureusement ce secteur est l’une des plus grandes victimes de la crise sanitaire.
Cette crise a d’abord touché le premier moteur de ce secteur, à savoir la fréquentation et le taux d’occupation se traduisant par la fermeture d’établissements et la très forte baisse de chiffre d’affaires : -40% en cumulé avant le econd confinement ; des taux d’occupation de moins un tiers en septembre 2020 par rapport à 2019 et par ricochet n RevPar dégradé (-80% chez Accor sur le second trimestre 2020).
Mais les impacts de la crise sanitaire se sont avérés hétérogènes selon la stratégie des groupes, leurs gammes et leurs empreintes géographiques. Les produits « haut de gamme » ont subi de manière directe la vertigineuse baisse des touristes et des voyages d’affaire (les palaces et hôtels 4 étoiles parisiens, pendant leurs périodes de réouverture, ’ont enregistré qu’entre 12% et 15% de taux d’occupation). Certains palaces ont déjà annoncé ne pas rouvrir avant le deuxième trimestre 2021. A l’inverse l’offre milieu de gamme, victime des repositionnements stratégiques évoqués plus haut, a présenté une meilleure résilience (baisse du taux d’occupation limitée à 11,7% pour les hôtels trois étoiles à l’été 2020 en comparaison à l’été 2019 ; alors que les 4 étoiles ont enregistré une baisse de 26,9%). Les, établissements français situés en province ont par ailleurs mieux résisté au contexte sanitaire (en cumul sur les neuf premiers mois de l’année, l’activité à Paris plonge de 61,1% par rapport à la même période en 2019, à comparer à 50,8 % en province (-23,5 points)). Certains acteurs et modèle ont même réussi à se maintenir (cas de CenterParcs ayant enregistré +1,4% sur la location de juillet à septembre).
A ces performances dégradées s’ajoute enfin le poids des surcoûts liés aux mesures sanitaires qui doivent désormais s’appliquer au sein des établissements : ménage, nouvelles mesures, fermeture de certains services comme les spas…
Ces surcoûts atteindraient des ratios de 1 à 1,5% du chiffre d’affaires, portant atteinte mécaniquement à la rentabilité.
… et ce malgré un dispositif d’aides et d’outils majeurs déployés par les pouvoirs publics
Très vite des besoins de trésorerie importants sont apparus, besoins qui ont pu être adressés via des dispositifs gouvernementaux comme le Prêt Garanti par l’Etat, le chômage partiel (95% des entreprises du secteur du tourisme ont eu recours au dispositif de chômage partiel) ainsi que le prolongement de ces mesures après le premier confinement pour ce secteur. Dans le cas particulier du tourisme, les acomptes sur les réservations ont même pu être maintenus et leur restitution repoussée à horizon 18 mois. Aujourd’hui circule le chiffre de 60% des hôteliers, qui ne pourront être mesure de rembourser leur PGE. Ces mesures, couplées à des plans de réduction de coûts ou encore des accords de performance collective comme chez Méridien, ont permis d’amortir la baisse d’activité en particulier sur la gestion de la masse salariale qui peut représenter entre 20% (résidence de tourisme) et 30% (hôtellerie) du chiffre d’affaires.
En revanche elles ne sécurisent bien évidemment pas le long terme et en particulier la capacité à absorber les loyers (38,5% du chiffre d’affaires pour les hôtels en 2019, 63,9% pour les résidences de tourisme et les villages vacances).
Cela conduit aujourd’hui un professionnel sur deux à ne pas être à jour de ces loyers. Il en découle des taux d’effort dégradés pour une longue période, selon tous les experts.
La crise liée à la fermeture des établissements est en train de devenir une crise structurelle.
Pour autant un certain dynamisme de transformation continue de s’opérer au sein de certains établissements (conversion d’hôtels en restaurants ou en espaces de co-working, comme l’illustre le lancement de l’établissement Tribe aux Batignolles ou l’ouverture de l’hôtel You à Deauville) ; qui témoignent du maintien du développement des « hôtels de service ».
Mais cela ne permettra pas de préserver une filière dont une grande partie des intervenants sont aussi promoteurs ; en effet l’attractivité de cette classe d’actif sera sans doute dégradée pour les grands investisseurs privés ou bien même les particuliers. L’heure des premiers dépôts de bilan est désormais arrivée, même dans l’hôtellerie haut de gamme parisienne et principalement pour des exploitants qui n’étaient pas propriétaires des murs.
Par conséquent, des ajustements de coûts sont toujours plus nécessaires pour les acteurs du secteur.
De nouveaux plans d’économies sont à l’étude (79% des professionnels du secteur pensaient en avril 2020 devoir travailler sur la rationalisation de leur structure de coûts) avec des organisations plus légères et plus orientés marques et clients, ainsi que des revues de portefeuille plus fines. Accor a notamment annoncé au printemps la mise en œuvre d’un plan d’économies de 60 millions d’euros, puis la suppression de 1000 à 1200 postes dans le monde, dont 300 à 400 postes en France. Ce plan d’économies s’appuie sur une refonte de l’organisation (notamment une modification des modes de reporting et la création de deux unités d’affaire « lifestyle » et « Ultra luxury »).
Autre tendance vue pendant cette crise et qui va à l’inverse de la tendance de ces dernières décennies : les acteurs ont privilégié le développement des produits milieu de gamme, qui se sont avérés plus résistants (la marque B&B hôtels a confirmé en pleine crise son plan d’ouverture de 150 hôtels sur les 10 prochaines années rien qu’en Allemagne).
Enfin un new deal est nécessaire avec les bailleurs pour restaurer les grands équilibres (38% des professionnels du secteur répondaient en avril 2020 qu’ils envisageaient une évolution radicale du business model) avec peut-être des modèles de loyers plus variables, plus modestes… des mesures qui remettent en cause le modèle économiques des foncières immobilières et les endettements associés.
Est-ce le temps de la consolidation ? La crise, après avoir déstabilisé le secteur tout entier, a profondément affaibli financièrement un certain nombre d’acteurs du secteur du Tourisme. A la sortie de la pandémie, les fondamentaux du secteur devraient néanmoins se confirmer et le secteur retrouver son attractivité. Les gagnants de cette crise seront ceux qui auront su réagir rapidement en mettant en place des plans de transformation opérationnelle et financière. Ils devront notamment adresser le défi quotidien d’un taux d’occupation dramatiquement faible tout en se ménageant des marges de manœuvre financière leur permettant d’être des acteurs de la consolidation. Dans le cadre de cette stratégie, le momentum pour investir est cependant clef pour trouver le bon équilibre entre, d’une part, une prise de risque liée à la phase de redémarrage de l’activité et, d’autre part, la mise en place d’une stratégie d’acquisition offensive permettant de se positionner sur les opportunités nombreuses à venir.
Par Florent Berckmans et Elise Rohart
Florent Berckmans est associé chez Eight Advisory et accompagne ses clients sur la définition et mise en place de plan de transformation structurant en particulier lors de période de retournement
Elise Rohart est diplômée de Neoma Busines School en 2014. Elle débute sa carrière chez l’un des Big 4, avant de rejoindre le cabinet Eight Advisory au sein des équipes Transformation. Elle intervient sur des sujets de transformation opérationnelle et de retournement opérationnel.