A l’occasion de la transposition en droit français de la directive européenne n° 2019/1023 introduisant de nouveaux mécanismes et concepts directement inspirés du Chapter 11 américain, Hogan Lovells a organisé à Paris une conférence intitulée « La réforme du droit français des procédures collectives et la pratique américaine du Chapter 11 ». Législation pionnière en matière de restructuration financière, le droit américain nous offre un demi-siècle d’une expérience éclairante dans l’application de ces nouveaux concepts. Quels sont les défis liés à cette nouvelle pratique du droit des entreprises en difficulté ? De la formation des classes et la notion de communauté d’intérêts , en passant par le traitement des détenteurs de capital, l’incidence de la valorisation des sous-jacents (collateral) des créanciers, l’application forcée interclasse (cross-class cram-down) et les nouveaux concepts de valorisation du débiteur, la France expérimente ses nouveaux outils dans un contexte de crise post-pandémie. Retour sur cette matinée d’échanges avec l’éclairage d’Astrid Zourli, avocat associée de l’équipe Business Restructuring & Insolvency d’Hogan Lovells à Paris, le professeur François-Xavier Lucas, directeur du Master ALED de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et spécialiste du droit français des procédures collectives, Hélène Bourbouloux, administrateur judiciaire associée chez FHB, Chris Donoho, avocat associé d’Hogan Lovells à New York et responsable de la pratique restructuring au niveau mondial et Kevin J. Carey, ancien juge et avocat Of Counsel d’Hogan Lovells à Philadelphie et Président de l’American Bankruptcy Institute.
Introduisant en droit français de nouveaux mécanismes directement inspirés de la procédure américaine du Chapter 11, le législateur a fait évoluer les restructurations financières en favorisant un ré-équilibrage entre les droits du débiteur, de ses actionnaires, et ceux des créanciers. Par cette réforme, les classes de parties affectées remplacent les comités de créanciers, il est maintenant possible d’imposer le plan à une classe réticente, la valorisation de l’entreprise devient clée pour l’élaboration du plan, le concept du best interest of creditors test est introduit et la règle de priorité absolue renforce les pouvoirs des créanciers dit « dans la monnaie » et appuie la reconnaissance des accords de subordination. Ainsi, si « le droit français n’est pas devenu un droit américain », l’expérience américaine nous « offre un éclairage précieux » pour l’associée d’Hogan Lovells.
La formation des classes de parties affectées, un moment clé de la restructuration
Alors que le professeur François-Xavier Lucas rappelle que les textes laissent « une grande liberté aux praticiens qui doivent composer les classes de parties affectées » celles-ci doivent l’être « à la lumière de quelques grands principes » : (i) les parties affectées sont définies comme étant celles concernées par le plan ; (ii) les critères de composition des classes devront être objectifs et représentatifs d’une communauté d’intérêts ; (iii) au moins deux classes doivent être constituées et les accords de subordination doivent être respectés.
Devenant un « point central de la restructuration » pour Chris Donoho, leur composition revêt un enjeu stratégique majeur. Faudra-t-il constituer peu de classes regroupant un maximum de créanciers, afin d’y diluer des créanciers minoritaires récalcitrants ? Ou au contraire, ne serait-il pas stratégique de subdiviser les créanciers en autant de classes que possible, afin d’avoir un maximum de classes votant pour le plan ? Autant de stratégies possibles qui devront trouver une réponse à l’aune des questions suivantes : « qui représentez-vous dans le dossier : un créancier affecté par le plan ? Un créancier disposant de suretés ? Une entreprise ? Son actionnaire ? … ».
A ce titre, si les avocats américains nous enseignent que les votes négatifs de la part d’une classe sont rares aux Etats-Unis, c’est « parce que la négociation se joue en grande partie en amont, pendant cette phase de composition des classes et quelle fait l’objet d’importante discussion avec les parties prenantes ».
Ainsi, permettant que soit composé un nombre de classes extrêmement variable d’un dossier à l’autre, le code des faillites américain requiert certes que dans chaque classe les créanciers soient similaires, « mais n’impose pas que tous les créanciers similaires soient intégrés dans une même classe » rappelle Chris Donoho. Dès lors, « il est possible de créer le nombre de classes que l’on veut » poursuit Kevin J Carey, en fonction de la stratégie que l’on souhaite mettre en œuvre.
En France, les praticiens « qui disposent déjà d’une quinzaine d’années d’expérience de maniement des comités de créanciers » vont également apprendre « à faire du sur-mesure, dossier par dossier » indique Hélène Bourbouloux. En l’espèce, bien que devant prendre en considération et les accords de subordination, pour respecter la règle de la priorité absolue, et les sûretés, pour respecter le best interest of creditors test, l’associée d’FHB rappelle que les administrateurs judiciaires pourront également se fonder sur « l’utilité d’un créancier dans le plan de retournement et le rôle qu’il compte jouer demain ». Dès lors, certaines questions vont devenir déterminantes : « le créancier est-il un fournisseur stratégique ? Souhaite-t-il prendre le contrôle de l’entreprise ? Ou au contraire pense-t-il céder sa créance dans quelques heures ? ». Dans ce contexte, un élément parait déterminent au succès d’une négociation : « il va falloir faire preuve de transparence et prendre le temps d’expliquer nos choix » poursuit l’administrateur judiciaire, car « à la fin de la journée il faut qu’un maximum de parties prenantes soit d’accord avec ce que vous proposez et il faut éviter que la composition soit le plus possible contestée ». Et de ce point de vue Chris Donoho a pu « observer que les créanciers fournisseurs sont souvent les plus constructifs. « lls veulent que le business continue et acceptent de temps en temps de renoncer quasi totalement à leur créance ».
En la matière, si le droit américain permet la prise en compte de critères subjectifs qui pourraient à certains égards inspirer les restructurations françaises, « ces critères devront tout de même se conformer à la notion de communauté d’intérêts » rappelle Astrid Zourli. A ce titre, si « le juge américain dispose pour ce faire d’un large pouvoir d’interprétation » confirme Kevin J Carey, la classification « ne doit pas apparaitre injuste » rappelle l’avocat. Autrement dit, des créanciers dont la créance est équivalente ne doivent pas avoir été séparés de façon arbitrale pour satisfaire les besoins d’une négociation donnée.
La détermination des créanciers affectés ou non par le plan qui est laissée en droit français à la discrétion du débiteur et de son administrateur judiciaire, « est également un point central, qui va faire l’objet d’âpres négociations» pour Chris Donoho. « La question se posera en France de façon récurrente avec par exemple les créanciers titulaires du privilège de la conciliation » confirme Hélène Bourbouloux. Si légalement ils ne sont pas soumis aux dispositions du plan, mais qu’ils acceptent des délais de paiement « est-il possible de les mettre dans une classe ? Nous venons de le faire dans un dossier mais ne connaissons pas encore la position du tribunal » interroge l’administrateur judiciaire. A ce titre, si « tout dépend du contexte précis, le droit américain peut permettre ce genre de mécanismes » confirme l’avocat américain.
Si le professeur Lucas rappelle qu’un autre changement important de cette réforme est que « les actionnaires sont dorénavant considérés comme des parties affectées », une petite révolution dans un pays où le droit de propriété est inscrit dans la constitution, cela va permettre d’implémenter des mécanismes de dilution qui peuvent donc désormais leur être imposés. Au contraire, si aux Etats-Unis l’actionnaire « joue un rôle peut-être plus important qu’en France dans la conduite des affaires d’une entreprise, ses droits ne sont pas aussi sacralisés qu’en France » indique l’avocat américain. Cela étant, si « le droit n’est pas favorable aux actionnaires en place, certains arrivent tout de même à mettre en avant leur valeur ajoutée pour l’entreprise et la nécessité de poursuivre avec eux » appuie le new yorkais, même s’il est parfois « mal perçu que des actionnaires historiques puissent profiter des nouvelles conditions de souscription qu’ils ont contribué à faire naitre ». Quoi qu’il en soit, Hélène Bourbouloux et les praticiens américains s’accordent sur un autre point : les restructurations des groupes de sociétés devront bénéficier d’une « approche globale, même si le droit américain, comme le droit français impose une restructuration entreprise par entreprise ».
Un rééquilibrage des rapports de force dans l’adoption du plan
Si la réforme va permettre au tribunal d’imposer à une classe récalcitrante un plan voté par les classes de parties affectées, celui-ci devra « néanmoins s’assurer du respect du best interest of creditors test » rappelle le professeur Lucas. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, la Cour s’assure que « les créanciers membres de la classe concernée vont recevoir au moins ce qu’ils recevraient dans l’hypothèse d’une procédure liquidative » rappelle l’avocat américain. C’est un point à la fois central et en même temps « qui est assez théorique » nous indiquent-ils.
En effet, en pratique, les praticiens intègrent dans leur business plan et des éléments d’évaluation d’actifs qui démontrent l’opportunité de la restructuration. Et s’il « arrive que certains créanciers fassent valoir des positions individuelles différentes des positions des classes sur cette question du best interest of creditors test considérant par exemple que l’hypothèse liquidative a été mal évaluée », ce point ne soulève pas tant de contentieux que l’on pourrait le craindre De son côté le droit français impose dorénavant aux praticiens d’évaluer le best interest of creditors test dans un scenario liquidatif, comme dans une hypothèse de plan de cession. « C’est le point le plus délicat » pour Hélène Bourbouloux, car « cela devient plus subjectif » insiste-t-elle. Tout sera question d’anticipation pour les avocats américains. « La question de la valorisation des actifs doit être discutée bien avant la restructuration » pour ne pas soulever de difficulté. « Aux Etats-Unis, aucune partie ne souhaite que la valorisation soit tranchée par la juridiction , donc elles se mettent d’accord avant ». La question se posera en France avec la même acuité. Et « tout dépendra du degré de détail que l’on va vouloir mettre dans les classes et des éléments objectifs de valorisation et de la transparence proposée notamment par le marché secondaire de la dette lorsqu’il s’agit de valoriser une créance financière » indique Hélène Bourbouloux.
C’est ainsi que dans un second scénario où le plan n’aurait pas été approuvé par toutes les classes, le tribunal pourra l’imposer à la ou les classes récalcitrantes sous réserve qu’il ait été adopté par une ou plusieurs classes de créanciers dite « dans la monnaie » et que le best interest of creditors test, dans le strict respect de la règle de priorité absolue. L’objectif de cette règle est de s’assurer qu’aucune classe de rang inférieur à celle de la classe dissidente ne soit indemnisée avant elle. C’est le french cross-class cram-down. « On ne pourra donc plus imposer de sacrifices aux créanciers qui sont dans la monnaie, mais on pourra en imposer de plus importants à ceux qui ne sont plus dans la monnaie ». Cette nouvelle méthode de discussion qui se veut plus objective et plus prévisible aura au moins deux effets soulevés par le professeur Lucas : les restructurations vont coûter plus cher et les avocats devront appréhender différemment la constitution des documentations bancaires en amont.
« Chaque partie a sa propre idée de là où se trouve la valeur » confirme Chris Dohono. Aux Etats-Unis c’est le juge qui tranche sur la base des rapports réalisés souvent par des experts mandatés par chaque partie, mais sans être lié par ces derniers. Lorsque c’est le fonds de commerce qui doit être évalué, cela se fait en principe sur la base d’un business plan qui « par nature est très volatile » indiquent les praticiens américains. « Un business plan dont la crédibilité dépendra de la signature du cabinet financier qui l’a validé » ajoute Hélène Bourbouloux.
Quoi qu’il en soit, les praticiens français vont devoir s’approprier ce nouveau texte. Et s’il présente déjà des « trous dans la raquette », il faut s’attendre à plusieurs ajustements rapides. En l’espèce, nul ne doute qu’avec près d’un demi-siècle de jurisprudence, les Etats Unis seront une source inépuisable d’inspiration dans la mise en œuvre pratique de ces règles! Pour cette raison, « laissez-nous quelques années de jurisprudences pour affiner l’application du texte, avant de tout changer à nouveau » conclu François-Xavier Lucas.
Par Cyprien de Girval