Le Think Tank de l’Association pour le Retournement des Entreprises (ARE) publie un livre blanc autour du sujet central de la prise en charge psychologique des dirigeants en période de crise. Pour la préparation de ce livre blanc, Eugénie Amri, avocat, Véronique Pernin, communicante de crise, Sébastien Vigreux, administrateur judiciaire, Samuel Scherman, avocat, Delphine Rohon, prêteur alternatif, Catherine Poli, administrateur judiciaire, Sébastien Cailliau, investisseur et Michel Maire sont partis à la rencontre de dirigeants, praticiens des entreprises en difficulté, tribunaux et associations pour proposer, sur la base des constats effectués, un guide de bonnes pratiques et recommandations afin d’améliorer l’accompagnement des dirigeants pendant ces périodes si particulières.
Avec l’aide de l’Observatoire Amarok, une association s’intéressant à la santé physique et mentale des travailleurs non-salariés, l’ARE est parti d’un constat : « Entreprendre c’est bon pour la santé ! Mais (…) c’est aussi épuisant ! ». Les dirigeants « travaillent en moyenne 55h par semaine, engagent pour la plupart leur patrimoine personnel, considèrent souvent qu’ils n’ont pas le temps voire pas le droit d’être malade, font de leur sommeil une variable d’ajustement et connaissent des problèmes de sommeil ».
Pour le Think Tank, il en résulte que le dirigeant fait quasi-systématiquement passer son entreprise avant lui-même et sa propre santé, alors même que sa santé est un véritable « capital immatériel » pour l’entreprise.
Grâce à ses échanges avec plus de 50 dirigeants (actionnaires de groupes familiaux, mais aussi de dirigeants nommés, ayant été confrontés à la crise), l’ARE a pu résumer ce que beaucoup d’entre eux ressentent ou perçoivent lorsque leur entreprise est soumise à une procédure préventive ou collective.
Vis-à-vis des tribunaux et des juges tout d’abord, il en est ressorti le sentiment de se sentir souvent dépossédé de son entreprise, d’être sur le banc des accusés. Les dirigeants peuvent se sentir « petits » face aux juges en raison de la configuration des salles d’audience mais aussi avoir le sentiment de vivre une « injustice », avoir l’impression de se justifier en permanence et d’être confrontés à l’inconnu.
Vis-à-vis de leurs conseils, certains dirigeants ont pu avoir un sentiment d’incompréhension face au « jargon » utilisé, un sentiment également de ne pas être suffisamment préparé à ce qui les attend. Le sentiment que les protagonistes du dossier se connaissent tous (ce qui permet d’être souvent plus efficaces, mais peut aussi parfois être problématique pour certains dirigeants) et qu’ils sont exclus de leur monde et enfin celui de ne plus être accompagnés dans l’après-crise.
Enfin, vis-à-vis de leur écosystème et d’eux même, les dirigeants ont fait part de leur crainte de perdre une partie, voire la totalité de leur patrimoine et également pour leur vie conjugale, familiale. Ils appréhendent également souvent la réaction des salariés, certains dirigeants indiquent qu’ils ont dû prêter de l’argent à leurs salariés pour qu’ils puissent assumer leurs charges. Ils ont également le sentiment d’être étouffés par les frais bancaires des banques judiciaires. La médiatisation peut être un stress de plus, qui mérite de ce fait une attention particulière (une préparation en communication adaptée). Enfin, il ressort également de ces échanges beaucoup d’incertitude, de la solitude et un sentiment de déprime pouvant mener jusqu’aux pensées suicidaires.
Le constat est donc là : les aspects psychologiques de l’accompagnement du dirigeant en période de crise ne sont malheureusement pas toujours pris en compte par les praticiens et acteurs des procédures de traitement des difficultés et ce, alors même que la psychologie du dirigeant est un actif clé à préserver pour le rebond de l’entreprise : il est celui qui porte le plan de relance.
Sur cette base, l’équipe du Think Tank de l’ARE a mis en place un guide de bonne pratiques et recommandations à l’attention des différents acteurs du rebond.
A l’attention des dirigeants tout d’abord, en leur donnant des moyens de sortir de l’isolement pour anticiper les difficultés suffisamment tôt, en leur recommandant de constituer une équipe de crise destinée à les accompagner mais également de construire un plan pour rebondir et d’anticiper les temps forts de la crise en étant très attentifs à la communication. Autre recommandation et non des moindres : que les dirigeants gardent du temps pour eux (dormir, faire du sport) et tentent de rester positifs pour gérer l’après crise et imaginer le rebond.
A l’attention des conseils et praticiens de la crise ensuite, avec une nécessité de les sensibiliser à la dimension psychologique. Le Think Tank leur recommande de faire preuve de pédagogie tout au long de l’accompagnement et de travailler certes de façon alignée et en se faisant confiance mais tout en conservant leur libre arbitre. De manière plus générale, la prise en compte de l’aspect psychologique de l’ensemble des parties prenantes est clé pour faire aboutir les négociations ou deals nécessaires au rebond de l’entreprise.
Enfin, à l’attention du monde judiciaire et des autres acteurs, l’ARE recommande de se placer sur le terrain de l’écoute et non du jugement moral, de prendre en compte la dimension psychologique lors de la procédure collective, de soigner l’accueil aux audiences et d’assurer la présence du juge-commissaire aux audiences, véritable soutien pour le dirigeant.
Ces bonnes pratiques ne sont pas théoriques puisque certains tribunaux comme Toulouse ou Strasbourg en ont déjà mis en place.
Ils ont par exemple organisé des jours distincts entre les audiences de prévention et celles de procédures collectives, des salles d’audiences dédiées pour les demandes d’ouvertures de procédures avec une proximité des parties autour d’une table, une suspension temporaire des audiences quand le président perçoit une souffrance trop intense du dirigeant, une présence du juge-commissaire à toutes les audiences, des formations données par des associations (APESA, Amarok, 60.000 Rebonds etc), la mise en place de cellules de prévention externalisées ou encore la sensibilisation des juges à la détresse psychologique des dirigeants par des médecins psychiatres.
Pour lire l’intégralité du Livre Blanc c’est par ici.
Par Gwenaëlle de Girval