Les professionnels de la restructuration ont régulièrement recours à la fiducie sûreté afin de garantir le remboursement intégral d’un financement. Moins connue, la fiducie gestion est également un outil intéressant permettant d’accompagner la mise en œuvre de mesures de restructuration d’une entité donnée et de sécuriser l’ensemble des parties prenantes à l’opération. Marie Waechter, Directrice Adjointe chez Equitis, fait le point sur cet outil à ne pas négliger.
La crise sanitaire que nous rencontrons actuellement impacte l’économie française et créé un climat d’imprévisibilité dans lequel il est indispensable d’identifier des outils susceptibles d’apporter ou de redonner de la confiance. L’arrêt brutal de certaines activités a par ailleurs entraîné la nécessité de mettre en œuvre des mesures de restructuration au sein de nombreuses entreprises. La fiducie, qui vient du latin « fiducia » signifiant la confiance, est l’un des outils clefs pour accompagner et sécuriser les restructurations en cours et celles à venir.
Fiducie sûreté et fiducie gestion
Le plus souvent, les parties prenantes recourent à la fiducie comme garantie du bon remboursement d’une somme d’argent parce qu’elle est la sûreté la plus efficace en droit français (on l’appelle d’ailleurs la « reine des sûretés »). En effet, le transfert de propriété initial des actifs permet de réaliser la fiducie sûreté sur simple instruction du ou des bénéficiaires de la fiducie. Nonobstant l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du débiteur (qui, le plus souvent, est le constituant de la fiducie), les actifs transférés en garantie échappent à l’effet réel de la procédure. La fiducie gestion peut également se révéler être un outil très utile en matière de restructuration.
La fiducie est un contrat tripartite qui organise le transfert par un constituant de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, dans un patrimoine d’affectation, pour une durée maximale de 99 ans, ce patrimoine étant géré par un fiduciaire au bénéfice d’un ou plusieurs bénéficiaires.
La fiducie gestion a pour objet d’organiser la gestion d’un actif donné par un tiers ou de garantir la bonne exécution d’obligations de faire et/ou de ne pas faire. Le fiduciaire reçoit dans un patrimoine d’affectation, distinct de son propre patrimoine, les actifs détenus par le constituant de la fiducie, à charge pour lui de les gérer conformément à la mission qui lui aura été confiée par les parties aux termes du contrat de fiducie. La constitution d’une fiducie permet ainsi aux parties de s’assurer que lesdits actifs seront gérés comme convenu entre elles, le fiduciaire engageant sa responsabilité pour toute faute commise dans l’exercice de sa mission.
Fiducie gestion dans le cadre d’opérations distressed M&A
La fiducie est un outil que les parties peuvent mettre en place pour accompagner ou assurer la mise en place de de mesures de restructurations conformément à un plan donné, notamment dans des opérations distressed M&A.
Dans ce type d’opérations, l’entité cédée, potentiellement en sous-performance, doit faire l’objet d’une restructuration. Afin d’en faciliter la reprise, le cédant peut dans certains cas s’engager à prendre à sa charge le financement des actions prévues au plan et devant permettre le redressement de la société, à condition de pouvoir s’assurer de ce que les sommes concernées seront effectivement dédiées au financement des actions identifiées. Il est également possible qu’un candidat repreneur, dans le cadre d’un plan de cession, présente une offre de reprise dans laquelle il indique qu’il a d’ores et déjà constitué une fiducie gestion et que les sommes nécessaires à la restructuration de l’entité cédée sont sanctuarisées dans un patrimoine fiduciaire afin de donner de solides garanties au tribunal et autres parties prenantes. Ces mesures peuvent être uniquement sociales, et dans ce cas il s’agira de financer les indemnités de licenciement d’une partie des salariés de l’entité cédée. De nombreux acteurs de place ont déjà adopté cette solution (e.g. La Redoute ou Pétroplus). Ces mesures peuvent également être plus diverses et concerner par exemple des investissements capex identifiés comme nécessaires par le cessionnaire pour restructurer l’entité.
La fiducie apporte une solution de sécurisation efficace dans ce schéma.
Le fonctionnement de la fiducie gestion
Préalablement à la constitution de la fiducie, les parties devront s’être entendues sur les mesures de restructuration devant être mises en œuvre et sur la somme en numéraire que le constituant devra apporter en fiducie pour en permettre le financement.
Pendant la vie de la fiducie, le fiduciaire recevra des instructions de la part d’un agent qui pourra être un salarié appartenant à l’entité cédée ou bien un auditeur indépendant, selon la volonté des parties. Il pourra également être prévu l’intervention d’un contrôleur chargé de vérifier les instructions adressées par l’agent au fiduciaire et la bonne utilisation des sommes transférées en fiducie (ce tiers pouvant être par exemple un conciliateur).
(schéma d’une fiducie gestion destinée à garantir la mise en œuvre d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi)
Cette fiducie pourra être mise en place pour une durée déterminée et l’éventuel solde de la somme en numéraire, restitué au constituant.
La mission du fiduciaire déterminée en fonction des besoins des parties
La mission du fiduciaire pourra être plus ou moins sophistiquée, en fonction des objectifs déterminés par les parties dans le contrat de fiducie.
Il sera par exemple possible de prévoir que le fiduciaire devra effectuer des vérifications sur le montant demandé par l’agent par rapport à un protocole ou un business plan donné, ou qu’il devra isoler les sommes transférées en fiducie en plusieurs compartiments distincts dédiés chacun au financement d’un certain type de mesures de restructurations (mesures sociales, capex…).
Il est également possible pour les parties de prévoir que l’actif transféré en fiducie par le constituant dans ce type d’opérations ne sera pas une somme en numéraire. En effet, dans l’hypothèse où le constituant n’aurait pas la trésorerie permettant d’isoler dans un patrimoine d’affectation une somme en numéraire suffisante pour financer l’intégralité des mesures de restructuration nécessaires, il pourra transférer en fiducie tout actif de valeur présent à son bilan, à charge pour le fiduciaire de le (faire) vendre de manière à en recevoir le prix de cession dans le patrimoine fiduciaire et de financer les mesures de restructuration avec celui-ci. Dans le dossier Pétroplus, ce sont par exemple des stocks de pétrôle qui ont été transférés en fiducie par le constituant, à charge pour le fiduciaire de les faire vendre. De manière générale, cela pourra être tous types d’actifs de valeur détenu par le constituant (actifs immobiliers, marques et brevets, des titres de société, des stocks, etc…), la définition des actifs pouvant être transférés en fiducie dans la loi étant particulièrement large.
La fiducie, un outil sécurisant pour l’ensemble des parties prenantes
La mise en place d’une fiducie dans ce type d’opérations permettra de sécuriser les différentes parties prenantes à l’opération. Le cédant aura la garantie que les sommes en numéraire transférées en fiducie permettront de financer les opérations de restructuration identifiées préalablement. Le cessionnaire, quant à lui, aura la garantie que l’ensemble des mesures de restructuration qu’il aura identifié seront financées et qu’il pourra mener à bien son business plan. Enfin, les autres parties prenantes, telles que les salariés, les organes de la procédure de la société cédée ou encore le tribunal, auront la garantie notamment que les indemnités de licenciement dues dans le cadre d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi seront couvertes, permettant ainsi d’apaiser le climat social et de faciliter la mise en œuvre des mesures de restructuration.
La fiducie gestion a toute sa place dans l’accompagnement des restructurations en cours ou à venir et intéresse, à ce titre, l’ensemble des acteurs dans ce domaine.
Par Marie Waechter, Directrice Adjointe – Equitis Gestion