Signée le 22 septembre 2021 à Lyon, la Charte interprofessionnelle liant trois acteurs au cœur du restructuring, l’ordre des Experts-comptables de la région Auvergne Rhône Alpes, l’ordre des Administrateurs Judiciaires et le Tribunal de Commerce de Lyon, mettent en œuvre un nouveau dispositif résonnant comme une promesse. Et pour cause, ces trois acteurs se sont engagés à nouer des liens forts avec un objectif commun : démystifier la juridiction auprès des chefs d’entreprise, oser en pousser la porte afin d’anticiper les difficultés éprouvées, chercher de l’aide en trouvant des solutions. Thierry Gardon, président du Tribunal de Commerce de Lyon, s’est prêté au jeu en répondant à nos questions pour nous éclairer sur cette initiative de « longue haleine », ses prémices ayant vu le jour avant le début de la crise sanitaire.
Mayday : La signature de la charte interprofessionnelle, de quoi s’agit-il ?
Thierry Gardon : Dans un tribunal, on a plus l’habitude de voir des juges et des avocats que de voir des experts-comptables et des commissaires aux comptes. Ceci étant, force est de constater que le premier contact de l’entreprise, son premier conseil reste son expert-comptable. Ceci pour une raison simple, c’est qu’aujourd’hui dans les défaillances d’entreprises en France, 94% sont des entreprises de moins de 10 salariés qui n’ont pas de conseil juridique. Fort de ce constat nous avons considéré qu’il était important que l’on se rapproche. Beaucoup d’experts comptables n’ont pas une connaissance particulière du droit de l’entreprise en difficulté, particulièrement sur les procédures de prévention c’est à dire la conciliation et le mandat ad hoc. C’est pour cette raison qu’il nous a semblé important d’établir effectivement un lien fort avec les experts-comptables pour convenir de cycles de formations, conférences…
Mayday : Comment est née l’idée de la signature ?
TG : Les évolutions par rapport aux entreprises en difficulté ont été assez majeures sur les 2 dernières années donc il convient aussi de réactualiser ses connaissances. Au-delà, il était également important d’avoir un cadre qui plus formel pour pouvoir communiquer autour de cette nécessité, c’est ce qu’on a fait au travers de cette charte en y associant aussi bien évidemment les professionnels du droit des entreprises en difficulté que sont les administrateurs judiciaires.
A ce titre il était important de nouer des relations particulières afin que les experts-comptables puissent être reçus dans un cadre confidentiel. Dorénavant, les experts-comptables et commissaires aux comptes sont traités en termes d’accès de la même façon que les avocats lorsqu’ils accompagnent leurs clients au tribunal de commerce. C’est très important, car ils sont les garants d’une information fiable, notamment sur la trésorerie des entreprises en difficulté. C’est préalable nécessaire à toute restructuration.
Mayday : Concrètement, comment vont collaborer ces 3 acteurs ?
TG : Concrètement, l’objectif de cette convention c’est la volonté d’anticiper le plus tôt possible que l’expert-comptable ou le commissaire aux comptes puissent orienter leurs clients au moins en chambre de prévention ou solliciter un entretien avec nous ici au tribunal afin de voir ce qu’il est possible de mettre en place et comment on peut les aider. En effet malheureusement bien souvent les petites entreprises n’ont pas accès à cette information et ne savent pas ce qu’est une conciliation donc elles ne viennent pas spontanément au tribunal, et quand elles arrivent, il est trop tard.
Pratiquement la moitié des chefs d’entreprise en France qui n’ont aucune idée de ce qu’est le mandat ad hoc et la conciliation ou n’en ont jamais entendu parler, donc le meilleur vecteur pour ces entreprises de moins de 10 salariés c’est bien les experts comptables qui sont au quotidien présents. En matière de traitement des difficultés des entreprises, voilà notre point de vue.
Mayday : Depuis le 22 septembre la charte a-t-elle porté ses fruits ?
TG : Il est encore difficile de savoir si l’expert-comptable qui accompagne l’entreprise vient chez nous car il a été informé de ce que j’ai évoqué. Quoi qu’il en soit, nous voulons montrer que nous sommes là, et nous avons besoin le montrer le visage d’une juridiction qui est là pour protéger les entreprises et pour assurer l’ordre économique. Nous sommes là aussi pour apporter une sécurité juridique et une vraie proximité. Lorsque vous interrogez la plupart des petits chefs d’entreprise, je parle de entreprises de moins de 10 salariés que j’évoquais tout à l’heure, et que vous leur demandez à quoi sert un tribunal de commerce, ils vous répondent que c’est pour déposer le bilan, nous tenons à changer cette image et leur montrer que notre volonté, c’est celle de les accompagner.
Mayday : Pensez-vous que ce type de convention serait amené à se développer dans d’autres régions ?
TG : J’ai eu des retours plutôt positifs, je pense que c’est quelque chose qui a dû être évoqué par l’ordre des experts-comptables, et qui au niveau national a été salué par le Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires. Au niveau des tribunaux de commerce, j’ai cru comprendre que cette démarche recevait un bon accueil. Seulement, tout cela demande un peu de travail et la justice commerciale n’est pas très riche, pour mettre tout cela en œuvre il faut organiser quelques évènements, cela prend du temps et de l’énergie. J’ai eu la chance ici d’avoir des experts comptables extrêmement actifs et volontaires, ainsi qu’au niveau des administrateurs judiciaires. Toutes les planètes étant liées, j’ai bon espoir pour que cela se mette en place au niveau national dans toutes les juridictions.
Propos recueillis par Lucile Guillerault