Mayday a rencontré Pierre-François Catté, Président du groupe CPI, premier imprimeur de livres noir et blanc en Europe. Tout en menant une des plus innovantes opération de restructuration financière, il a conduit avec brio un projet de transformation de son groupe. Il fait la démonstration que non seulement restructuration et transformation ne s’opposent pas, mais qu’ils ne marchent pas l’un sans l’autre. Retour sur une expérience unique et rencontre avec un chef d’entreprise inspirant.
Mayday : Vous êtes issus de l’industrie High Tech après une grande carrière chez HP. En 2009, vous êtes nommé à la tête de CPI Group, le numéro un européen de l’impression de livres, alors en difficulté. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Pierre-François Catté : Après une longue expérience à l’étranger, je suis revenu en France et j’ai travaillé pour un groupe de médias Russe. Je me suis occupé de son introduction en bourse à Londres et c’est après que l’on m’a proposé de m’occuper de CPI. J’avais un intérêt certain pour le livre et il y avait l’opportunité de faire quelque chose de très différent dans un environnement où tout le monde faisait la même chose.
J’ai fait le tour des usines et j’ai été sensible à la rencontre avec les salariés. Je voulais les aider, j’avais un âge où j’avais envie de travailler aussi pour les autres. Je pensais rentrer pour 2 ans et cela fait 10 ans que je suis là tant il y a un capital affectif autour de ce type de produit, d’industrie, de main d’œuvre, de localisation.
Mayday : CPI Group, qui emploie à ce jour près de 3.000 salariés, a connu une restructuration de son endettement et a fait l’objet d’un retournement réussi. Pourriez-vous revenir sur cette opération de retournement et sur votre stratégie de transformation ?
PFC : Nous avons opéré le retournement de CPI sur une dizaine d’années grâce à deux opérations de restructuration financière et une stratégie orientée sur l’identification des opportunités de création d’éléments différenciant.
« Nous sommes confiants sur l’avenir du livre, ça va continuer à changer et il faudra continuer à embellir le livre »
La différenciation a été la clé pour construire un plan qui soit acceptable, convaincant et excitant pour les différentes parties prenantes (Tribunal de commerce, salariés, fournisseurs, clients, partenaires financiers). Dans le milieu de l’impression, chaque euro compte, chaque idée doit être un succès et doit être différenciante.
Il a fallu comprendre où allait le marché pour créer des solutions innovantes d’un point de vue financier et industriel, mais aussi en termes de gestion sociale et de relation avec les actionnaires et les fournisseurs.
Mayday : Concrètement, quelles sont les solutions innovantes que vous avez mises en place ?
PFC : Quand je suis arrivé nous avions 600 millions d’euros de dettes et d’equity. La situation était très complexe, donc intéressante. Nous avons décidé de changer de type d’actionnaire, de réduire la dette et de faire entrer de la new money.
Concernant le volet social, j’ai souhaité tisser une vraie relation avec les syndicats parce que je ne voulais pas d’une stratégie conflictuelle. La brutalité ne fait pas avancer les choses. J’ai dialogué avec eux pour leur expliquer la nécessité pour l’entreprise de prendre des mesures de restructuration sociale et je me suis engagé à ce qu’il n’y ait que des départs volontaires et à accompagner les salariés dans leur reconversion vers nos nouveaux besoins. En contrepartie, je me suis engagé vis-à-vis des salariés à investir pour améliorer et moderniser notre outil productif.
Sur le volet industriel, nous avons investi dans des technologies différenciantes pour réinventer notre modèle d’impression et nous nous sommes lancés dans l’impression digitale qui augmente considérablement la vitesse d’exécution et réduit les gâches papier inhérentes au processus traditionnel de fabrication. Nous avons également fait le choix de nous concentrer uniquement sur des produits qui n’étaient pas délocalisables. En effet, nous étions dans une industrie extrêmement conservatrice où les machines devaient durer 30 ou 40 ans et où notre modèle économique paraissait immuable.
C’est ainsi que d’un parc composé uniquement de machines d’impressions classiques à format unique, qui engendrent des temps de montage et de calage importants, nous sommes passés à l’impression digitale qui nous a permis de répondre aux enjeux suivants : plus aucune quantité minimum économique à produire, réduction du temps d’impression et des ressources humaines. Un fichier informatique est envoyé à la machine et le livre sort directement sous n’importe quel format et en flux continu. Aujourd’hui, nous réalisons 15% de nos volumes et 30% de nos revenus grâce à ces machines. Nous avons amélioré notre maitrise de la chaîne de valeur.
En parallèle, nous avons bâti un nouveau pacte avec nos banques qui ont converti une partie de leurs créances en capital en 2009, – CPI étant le premier Lenders Led en France – tout en acceptant de réinvestir pour financer la digitalisation de notre processus de production à travers l’acquisition de nouvelles machines. L’opération fut réalisable, car nous avions un pool bancaire composé majoritairement de banques anglosaxonnes disposant d’une culture économique très pro-active.
Cette première restructuration a été suivie d’une deuxième restructuration en 2013 parce que nous n’avions pas suffisamment restructuré la dette. Les banques sont sorties de l’actionnariat et nous sommes repassés en actionnariat plus classique.
En complément de notre stratégie de différenciation avec l’impression digitale, nous nous sommes lancés sur le marché de l’impression d’étiquettes adhésives. C’est un marché en croissance où il y a beaucoup d’acteurs, donc des opportunités de consolidation. Nous sommes actuellement numéro 3 en France et voulons devenir numéro 1.
Aujourd’hui, l’entreprise tourne quasi intégralement en autofinancement, parce que nous ne pouvons pas nous permettre, dans une industrie où les marges sont faibles, de consommer cette marge par des frais financiers élevés.
Mayday : Le numérique transforme l’économie. L’industrie du livre et l’industrie de l’impression papier en général sont également concernées par cette transformation. Ces industries sont souvent perçues comme étant en mutation. Quelle est votre perception de l’évolution de ces industries pour la prochaine décennie ? Plus précisément, quelle place le numérique va-t-il prendre et quel est, selon vous, l’avenir du livre ?
PFC : L’industrie du papier a été en difficulté pendant très longtemps parce que près d’un tiers des volumes des magazines et journaux et 20% des livres ont disparu. Les papetiers ont beaucoup souffert, ils ont réduit leurs capacités et ont aujourd’hui retrouvé une situation financière plus saine. Il y avait une dynamique de baisse de prix et aujourd’hui on va sur une simplification et une hausse des prix.
« La méthode, c’est la transparence avec ses clients, ses fournisseurs, ses salariés, ses créanciers et investisseurs »
Nous sommes confiants sur l’avenir du livre, ça va continuer à changer et il faudra continuer à embellir le livre.
Nous observons que le volume du livre baisse moins vite que les années précédentes parce qu’il y a saturation du lectorat en livre électronique et parce que le papier reste un support favori pour bon nombre de lecteurs. Ce qui nous fait mal, ce n’est pas le livre électronique, c’est le fait que le lectorat du livre est passé d’en moyenne 2h/jour il y a 25 ans à 11 minutes aujourd’hui.
Aujourd’hui, nous imprimons des livres et nos volumes montent. Cette année, en moyenne on va faire 3 à 4% de croissance en volume et nous détenons en moyenne 50% du marché de l’imprimerie de livre dans les principaux marchés où nous opérons.
Mayday : Lorsqu’une opération de retournement est mise en place, comment fait-on pour faire accepter aux parties prenantes de l’entreprise les décisions parfois difficiles ? Quelle est la méthode d’un dialogue efficient ?
PFC : La méthode, c’est la transparence avec ses clients, ses fournisseurs, ses salariés, ses créanciers et investisseurs. Nous avons toujours travaillé avec les parties prenantes de ce que nous allions faire.
Mayday : Considérez-vous que le soutien des salariés est une composante importante d’un retournement et croyez-vous dans la force du collaboratif pour soutenir un projet de retournement ?
PFC : Le soutien des salariés est très important, ce sont eux qui font fonctionner l’entreprise. Dans notre recherche de différenciation, nous avons cherché à mettre en œuvre un véritable dialogue social qui soit constructif.
Vous ne pouvez pas faire évoluer le système si les gens qui travaillent chez vous en interne et qui travaillent tous les jours avec vos clients ne sont pas convaincus. On a donc dialogué et pour les aider à vivre ces transformations et pallier les carences de la formation professionnelle, nous avons notamment créé une école de formation aux métiers de l’impression numérique en interne. Cette école est maintenant reconnue et nous permet d’une part de de faire évoluer nos salariés vers la maitrise des nouveaux outils de production et d’autre part de former nos collaborateurs de demain.
Mayday : Plus largement, selon vous, quels sont les facteurs clés de succès d’un retournement réussi ?
PFC : C’est la différenciation, pour construire un plan auquel les gens vont totalement adhérer.
C’est l’anticipation de son cash par une gestion et un monitoring extrêmement régulier, encore plus quand on rentre dans une période difficile de restructuration. Il faut être extrêmement religieux pour ne jamais tomber en cessation des paiements.
Mayday : Si vous n’aviez qu’un conseil à donner aux entrepreneurs ?
PFC : Ce n’est jamais fini si vous avez une capacité de différenciation !
Il faut être curieux, ne pas hésiter à regarder de vieilles idées qui ont été malmenées et que l’on peut faire renaître. Vous rencontrerez toujours des gens qui vous diront d’arrêter et que c’est la fin. Il faut persévérer tout en ayant la lucidité de se rendre à l’évidence lorsqu’il n’y a plus rien à faire et alors, de chercher de nouveau à réinventer quelque chose de nouveau.
Site web de CPI : http://www.cpi-print.fr/
Propos recueillis par Cyprien de Girval et Bastien de Breuvand