Mayday est allé à la rencontre de Nicolas de Germay, associé chez Alandia Industries, investisseur spécialisé dans la reprise d’entreprises en difficulté. Avec une expérience de plus de 20 ans dans le traitement des difficultés des entreprises, il nous livre sa vision de la reprise d’une entreprise en difficulté, les bonnes questions à se poser et les bons réflexes à avoir pour la redresser.
Mayday : Alandia est une holding d’investissement dans des entreprises en difficulté, en quoi est-ce différent d’un fonds de retournement classique ?
Nicolas de Germay : Il n’y a pas de différence dans la typologie des investissements, Alandia est un investisseur équivalent à ce qu’est un fonds de retournement. Je pense que la seule différence, c’est la flexibilité : il y a plus de flexibilité parce que la structure de holding permet de faire des choses plus souples. On est par exemple plus flexibles dans la durée, on n’a pas de contrainte de temps. On est évidemment plus souples avec les actionnaires anciens ou avec les managers. On a aussi une spécificité, c’est qu’on aime bien travailler avec des industriels du secteur, comme on l’a fait avec Colas ou avec Altran. Donc, Alandia est capable de travailler avec d’autres investisseurs, conjointement sur le sauvetage d’une entreprise.
La seule et unique question qu’on se pose, c’est « Est-ce que les fondamentaux de l’entreprise lui permettront de rembourser son passif ? »
Mayday : Pourquoi les industriels ne s’intéressent-ils pas aux entreprises en difficulté dans leur secteur ?
NG : On a au moins deux exemples de sociétés qui avaient été identifiées par des industriels comme étant totalement complémentaires, stratégiques, qui les intéressaient mais qui leur faisaient peur uniquement parce qu’elles étaient placées en procédure. Et la solution que nous avons trouvée, c’est que l’on a acheté ces deux sociétés conjointement avec ces deux groupes cotés qui sont Colas et Altran, on a restructuré les sociétés et on leur a offert la possibilité de les racheter une fois le retournement effectué. Ça les a intéressés et ça je pense que c’est quelque chose qu’on doit pouvoir proposer. Il n’y a pas d’autre meilleur adossement pour une entreprise en difficulté qu’une entreprise de son secteur.
Mayday : Dans quelle mesure est-il judicieux de reprendre une entreprise en plan de continuation ?
NG : La seule et unique question qu’on se pose, c’est « Est-ce que les fondamentaux de l’entreprise lui permettront de rembourser son passif ? ». Trop souvent, les chefs d’entreprise ont, et on les comprend, envie d’un plan de continuation. Le plan de continuation, c’est la sortie par le haut pour un fondateur, pour un actionnaire, pour un manager, c’est clair que c’est ce qui préserve l’intérêt capitalistique de cette personne, c’est donc ce qu’on cherche en priorité. La problématique c’est qu’une entreprise peut ne pas être capable de payer son passif, et à ce moment là c’est la pire des solutions. La pire des solutions, c’est une solution où finalement l’entreprise va s’épuiser pendant dix ans à rembourser son passif, va utiliser l’essentiel de son cashflow pour rembourser l’arriéré, au détriment évidemment des investissements qu’elle pourrait faire pour préparer l’avenir. Le plan de continuation est soit une très bonne solution, soit la pire parce qu’il tue la société.
« Une entreprise en crise, c’est une entreprise qui a rompu la confiance avec ses partenaires. A partir du moment où l’on se souvient qu’une entreprise ce n’est qu’un contrat de confiance, et bien on doit restaurer la confiance »
Mayday : Qu’en est-il de la reprise en plan de cession ?
NG : Evidemment quand vous reprenez une affaire en plan de cession vous ne regardez pas le passif, sauf certains passifs qui sont transférés quand même au repreneur car il y en a, il faut faire attention. Ça c’est un piège que la plupart des gens ignore, c’est que vous avez quand même des passifs dont la charge va être transférée au repreneur. Le principe selon lequel dans un plan de cession je ne reprends pas le passé, il n’est plus tout à fait exact. Maintenant, la réalité c’est que si vous devez vous intéresser au passif vous devez comprendre l’historique mais dans tous les cas de figure vous devez comprendre l’historique parce que, que vous soyez en plan de continuation ou en plan de cession, il va bien falloir que vous traitiez les causes des difficultés. Quand on achète une affaire en plan de cession on doit reconstituer la totalité du besoin en fonds de roulement
Mayday : Quelles sont les étapes clés et les écueils d’une opération de retournement ?
NG : Une entreprise en crise, c’est une entreprise qui a rompu la confiance avec ses partenaires, et donc à partir du moment où l’on se souvient qu’une entreprise ce n’est qu’un contrat de confiance, et bien qu’est-ce qu’on doit faire dans le retournement ? On doit restaurer la confiance. Restaurer la confiance, ça veut dire un certain nombre d’étapes : première étape, analyser et diagnostiquer les causes des difficultés. Deuxième étape, il faut identifier trois ou quatre leviers maximums de retournement. S’il y a plus de leviers, on n’y arrive pas. Troisième étape, il faut partager le diagnostic et le plan avec les parties qui sont concernées. Si vous avez partagé le diagnostic et que vous faites que le diagnostic est compris, qu’il est accepté par les salariés par exemple, à ce moment là vous pouvez commencer à dessiner un plan et un objectif. Mais tant que le point de départ n’est pas défini, vous n’emmenez personne. Personne ne vous suivra s’il ne partage pas votre diagnostic. De temps en temps, on est surpris par la lucidité d’un certain nombre de salariés qui connaissent l’origine des difficultés de l’entreprise beaucoup mieux que leur dirigeant ou qu’un repreneur. Quatrième étape, une fois que vous avez partagé le diagnostic, que le diagnostic est compris, que vous avez partagé votre plan, vous rentrez dans l’exécution du plan et là vous devez la transparence : on communique régulièrement de manière à ce qu’il n’y ait pas de surprise. La rupture de confiance, restaurer la confiance, ça impose de reconstruire la confiance dans l’action. Et après, il peut y avoir de bonnes ou de mauvaises nouvelles, mais on les partage. Et on les partage à intervalles réguliers parce que quand vous êtes transparent, les gens vous font confiance.
« Une entreprise en difficulté c’est exactement comme un plongeur : quand il plonge il se met en apnée, il arrête de respirer et il peut tenir relativement longtemps, la descente est relativement simple. La remontée c’est terriblement consommateur d’air. Pour l’entreprise, l’air c’est le cash »
Mayday : Quelle est votre perception du rôle des salariés dans une opération de retournement ?
NG : Sans aucun doute de toute manière, le retournement c’est un travail d’équipe. On retourne une entreprise avec ses clients, avec ses salariés, avec ses fournisseurs. C’est uniquement comme ça que l’on y arrive. Un retournement, il y a quelqu’un qui prend la responsabilité de mener le bateau et il n’y a pas trois pilotes dans l’avion, il y a un pilote. Par contre, ce pilote il doit être soutenu par un équipage. Et si l’équipage ne croit pas dans le pilote, ça ne marchera pas. Si l’équipage ne croit pas dans le cap, ça ne marchera pas. Donc tout ça suppose qu’il y ait du dialogue, de la communication, et que ce soit transparent pour que tout ça soit bien compris, bien équitable. Et donc pour nous, notre méthode c’est d’abord de renforcer le management, parce que souvent le management est perdu. Nous avons l’habitude de périodes difficiles et donc on a un management qui a plutôt l’habitude de gérer ce genre de situations. Ensuite, on va fournir, et ça c’est essentiel, un cadre de gouvernance clair, c’est-à-dire qu’on va clairement établir qui fait quoi et comment. Et on va aussi prévoir que les salariés participent à cette gouvernance. A ce moment-là, vous avez une vraie compréhension par les salariés qui ont déjà partagé le diagnostic et qui là partagent l’évolution du plan de retournement et se l’approprient. Enfin, nous mettons systématiquement en place accords d’intéressement parce que vous ne pouvez pas faire faire des efforts à des salariés sans qu’ils aient les fruits de ces efforts, quand ils arrivent évidemment. S’il y a retournement, il y a profit et s’il y a profit, il est normal que les salariés en bénéficient en premier. Et ensuite, quand c’est possible (on est très prudent), on met en place un système qui permet aux salariés de prendre une partie du capital, dans les même conditions qu’Alandia.
Mayday : Si vous n’aviez qu’un conseil à donner à ceux qui s’intéressent à la reprise d’une entreprise en difficulté ?
NG : Il n’y a pas de réponse simple, mais je pense qu’un des défauts que je vois… beaucoup de gens viennent me voir en me disant « Voilà, je voudrai reprendre une affaire, j’ai un peu d’argent et je me suis rendu compte que c’était pas cher d’acheter une boîte en difficulté ». Je leur dis à chaque fois « Attention, ce n’est pas cher de reprendre une affaire en difficulté mais ne négligez pas 1) les efforts en énergie personnelle que vous allez devoir déployer et 2) l’argent qui va être nécessaire pour relancer la machine ». Une entreprise, quand elle est en difficulté c’est exactement comme un plongeur : un plongeur quand il plonge il se met en apnée, il arrête de respirer et il peut tenir relativement longtemps, la descente est relativement simple. La remontée c’est terriblement consommateur d’air. Pour l’entreprise, l’air c’est le cash.
Propos recueillis par Cyprien de Girval et Bastien de Breuvand
Sur l’auteur : Nicolas de Germay possède une expérience de plus de 20 ans en matière de traitement des difficultés d’entreprise. Président d’honneur et fondateur de l’Association professionnelle des spécialistes de la restructuration (ARE – www.are.fr), il participe à ce titre, depuis plus de 15 ans, aux travaux de réforme des procédures collectives en France aux côtés des pouvoirs publics.
Du même auteur :
Il faut réconcilier les industriels avec le sauvetage des PME
Comment préparer un plan de retournement