Mayday a rencontré Maurice Lantourne, avocat incontournable du barreau parisien qui est devenu l’un des plus fins spécialistes des restructurations d’entreprises et du contentieux des affaires. L’occasion de revenir avec lui sur son itinéraire, sa vision de l’évolution du métier d’avocat et le dossier Nice Matin, dossier atypique au sein duquel il est intervenu.
Mayday : Vous avez commencé votre carrière au barreau de Montargis où vous étiez un avocat généraliste, pour ensuite rejoindre Paris. Vous êtes connus pour avoir été impliqué dans des dossiers emblématiques et êtes aujourd’hui un des avocats d’affaires du barreau de Paris les plus reconnus. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cet itinéraire singulier ?
Maurice Lantourne : J’ai commencé ma carrière à Montargis en tant qu’avocat généraliste. J’intervenais essentiellement en contentieux en droit du travail, en droit des affaires, restructuration, pénal financier et droit commun y compris des affaires familiales.
Depuis Montargis, j’ai développé une clientèle parisienne et dans les Dom Tom. Je suis venu m’installer à Paris en 1991.
A cette époque, j’assistais une clientèle sur les problématiques juridiques liées aux suites de la défiscalisation de la loi Pons qui avait conduit à pas mal de contentieux qui étaient à la fois civil, fiscaux et liés aux entreprises en difficulté. Par ce biais, j’ai rencontré des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires implantés en métropole et sur les Antilles Guyane.
Je travaillais également sur les opérations de cession globale de portefeuilles bancaires. A l’époque les banques françaises avaient un peu abandonné la partie du recouvrement des créances. Les banques en difficulté ont vendu en bloc leurs portefeuilles de créances. L’analyse des créances était un sujet intéressant qui faisait appel aux connaissances multiples, puisqu’il fallait analyser les risques et les conditions dans lesquelles on pouvait prévenir ces risques.
A l’époque, nous avions à faire essentiellement à une clientèle américaine et anglo-saxonne. Le problème de mes clients était de déterminer la durée du recouvrement des créances et quels étaient leurs rangs dans le cadre de procédures collectives.
Les études étaient intéressantes à mener car elles faisaient appel à des connaissances de généralistes. Les grands cabinets envoyaient des spécialistes par catégorie, or les questions qui se posent sont souvent multiples.
Pour les américains, notre travail était déterminant. Lorsqu’ils ont obtenu les portefeuilles, ils nous ont confié la gestion des recouvrements. Leur approche était intéressante en ce qu’on élaborait une stratégie avec le client et le débiteur pour sortir dans des conditions optimums. Nous n’étions pas dans une logique purement contentieuse, qui n’est pas toujours efficace face à une entreprise en difficulté.
“Il y a une part d’ingénierie très forte dans notre métier qui devra compléter la mécanisation des tâches”
Cela m’a permis de rencontrer assez vite de nombreux administrateurs judiciaires, avec une approche intéressante et constructive pour eux, puisqu’on apportait des solutions de sortie.
Ensuite, j’ai eu pas mal de dossiers de responsabilité bancaire. Je représentais essentiellement des débiteurs et des investisseurs.
Chemin faisant, l’évolution des lois visant à assouplir les actions en responsabilité bancaire pour insuffisance d’actifs et le développement des procédures préventives, nous ont invités à basculer petit à petit sur des dossiers de prévention des difficultés. C’est dans ce contexte que j’ai intégré le cabinet Willkie Farr & Gallagher qui avait une grosse équipe en LBO à l’époque.
Mayday : Après avoir exercé au sein de cabinets internationaux, vous avez décidé de relancer Lantourne & Associés. Quelles sont les raisons qui ont motivé ce choix ?
ML : J’ai repris ma liberté il y a quelques années pour plusieurs raisons. Ma cible de clientèle est composée de PME et ETI, alors que Willkie Farr & Gallagher était de plus en plus présent sur les grands projets de financement ce qui générait des conflits d’intérêts. Par ailleurs, le modèle de développement de ces cabinets rendait difficile l’association des collaborateurs qui du coup finissaient par partir. Outre les aspects humains que cela génère, j’essaimais sur le marché de bons collaborateurs et je trouvais que, pour eux comme pour le cabinet, ce modèle de développement avait des limites sur le marché du restructuring.
Enfin, à mon sens, la connaissance de plus en plus accrue par les entreprises du droit génère une forte pression tarifaire qui nous conduit à faire très attention à notre structure de coûts. Il faut donc rechercher à acquérir plus de souplesse et de capacité d’adaptation au besoin du client et du dossier et être capable de s’adapter à la cyclicité du marché du restructuring.
J’ai donc choisi de développer une double compétence : contentieux civil ou pénal financier et restructuring. Nous sommes, selon les années, à 50/50 et nos collaborateurs sont formés sur les deux aspects.
Tout dépend en fait des besoins des dossiers. Par exemple, avec un dossier comme Maranatha où nous avons dû assurer la gestion de l’ouverture de 126 procédures collectives, il est certain que le restructuring prend plus de place.
Mayday : Vous évoquez le dossier Maranatha où vous avez dû gérer l’ouverture de 126 procédures collectives. Il y a une phase de stratégie juridique dans l’appréhension du dossier, mais également des tâches reproductibles. Comment percevez vous les évolutions de votre métier au regard de l’avancée des legal tech ?
ML : Je pense que les choses vont forcément évoluer. Il est possible de normaliser certains éléments et de les mécaniser. Après, il y a une part d’ingénierie très forte dans notre métier qui devra compléter la mécanisation des tâches.
Certaines tâchent seront plus facilement mécanisables que d’autres. En réalité, tout sera une question de bon dosage, mais on finira par le trouver.
“Le dossier Nice Matin fut un mouvement coopératif et participatif de défense du journal par ses salariés, je m’amusais en leur disant que c’était un peu la 6ème République”
Cela étant, la pratique du contentieux comme le restructuring nécessite d’avoir une parfaite connaissance des dossiers, des pièces, des acteurs, etc. Il y a certains facteurs stratégiques qui sont très compliqués à modéliser …
Il me parait concevable de modéliser l’analyse des éléments financiers, de laquelle découle l’analyse des éléments juridiques. A l’époque Jean-Louis Borloo avait commencé cette démarche en recrutant un ingénieur et en créant un outil d’évaluation des entreprises. La démarche avec les outils actuels pourra être développée et professionnalisée.
La conclusion c’est que l’avenir appartient aux avocats stratèges. Mais il ne faut pas avoir peur, le marché ne va pas mourir, il va simplement évoluer.
Mayday : Vous exercez un métier où l’humain a encore une place très importante, notamment dans l’exercice de la plaidoirie. Vous avez également été impliqué dans des dossiers singuliers comme le dossier Nice Matin où les salariés se sont fédérés pour faire une offre de reprise de leur entreprise à la barre en 2014. Quel est votre regard sur ce genre d’opération. Avec du recul, quelle a été la force de cette dynamique et que pensez-vous du crowdfunding ?
ML : L’activité de crowdfunding si elle se professionnalise pourra avoir un impact très fort. Le problème c’est que cela implique de faire venir l’épargne des français vers l’entreprise, ce qui n’est pas toujours un réflexe naturel en France.
Le dossier Nice Matin fut un mouvement coopératif et participatif de défense du journal par ses salariés, je m’amusais en leur disant que c’était un peu la 6ème République. Je crois que c’est précisément ce qui a séduit. Dans ce dossier, le crowdfunding a apporté finalement peu de moyens, mais cela a donné du baume au cœur à tout le monde.
Après, il y a eu des soutiens locaux du public comme du privé qui ont été déterminants.
A mon sens, c’est l’adhésion du personnel qui a fait basculer ce dossier. Cette adhésion est très importante quel que soit le dossier, mais elle a encore plus d’importance s’agissant de la reprise d’un journal, car les journalistes ont une clause de conscience qui leur permet de quitter le journal en cas de désaccord avec la direction.
Ma cliente, la société La Provence qui a soutenu le projet de reprise Nice Matin a été séduite par l’équipe qui portait le projet de reprise par une SCIC. Bernard Tapie avait envie de soutenir ce projet collaboratif. Le crowdfunding a montré à l’équipe qu’ils avaient des soutiens extérieurs et il faut reconnaitre que cela rassure toujours.
Pour ma part, je crois que le collaboratif, qui dépasse largement le financement participatif, est un élément très intéressant pour fédérer une communauté de soutien et multiplier les chances de réussite d’un projet de reprise.
Il ne faut jamais oublier que pour reprendre une entreprise, il faut le soutien du personnel, des organes de la procédure et d’une manière générale de l’écosystème de l’entreprise.
Propos recueillis par Cyprien de Girval