Mayday a rencontré Marc Binnié, greffier associé du tribunal de commerce de Saintes, fondateur d’APESA aux côtés de Jean-Luc Douillard, (Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aiguë), une association qui vient en aide aux chefs d’entreprise en difficulté.
Mayday : Avec Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien, vous avez fondé l’association APESA. Pourriez-vous revenir sur la mission d’APESA ?
Marc Binnié : APESA apporte, de la phase de prévention jusqu’au rebond, un soutien psychologique adapté aux chefs d’entreprise et aux entrepreneurs lorsque la ruine de leur entreprise provoque chez eux, angoisse et idées noires. Tout s’effondre pour certains et les procédures juridiques malgré la bonne volonté des professionnels, ne peuvent prendre en charge une telle détresse. Notre mission est donc de permettre à tous les professionnels du traitement des difficultés des entreprises, de détecter ces souffrances parfois contenues, et d’orienter avec leur accord, les personnes qui les subissent, vers des psychologues spécialement sensibilisés.
Ces professionnels, après une formation adaptée, deviennent alors des « sentinelles » en mesure de déclencher une alerte pour signaler qu’un entrepreneur fragilisé a besoin d’aide. L’économie est parfois brutale pour ses fantassins !
Apesa est donc une association résolument engagée dans l’action, mais aussi dans la réflexion, de manière à valider cette pratique innovante, en respectant naturellement la déontologie de chaque profession, et nous publions régulièrement les travaux du comité scientifique sur ce sujet qui suscite un intérêt certain.
Mayday : Votre mission implique que vous soyez présents au sein des tribunaux de commerce. Avez-vous un partenariat avec l’ensemble des juridictions consulaires y assurant votre présence ?
MB : Apesa France est une jeune association née au Tribunal de commerce de Saintes en 2013 mais déjà présente dans 51 tribunaux de commerce, 2 tribunaux de Grande Instance, celui de Strasbourg et de Nouméa qui l’ont spontanément adopté. D’autres juridictions seront déployées en 2019. Le tribunal de commerce de Paris a manifesté son intérêt. Ce développement s’est opéré spontanément, sans démarche commerciale aucune, ni prosélytisme. En 2018 nous avons traité 805 alertes et déjà 105 en 2019. Apesa est un outil au service des tribunaux de commerce mais aussi très utile à de nombreuses organisations (chambres consulaires, organisations professionnelles, clubs d’entrepreneurs…), confrontées à la défaillance psychologique et morale d’un entrepreneur. Récemment, même le Conseil des Prud’hommes de Saintes a décidé de rejoindre Apesa …
Une structuration juridique très sérieuse a été élaborée afin de préserver l’indépendance des juridictions à l’occasion de la mise en place du dispositif.
Mayday : Comment interviennent vos psychologues ? Est-ce qu’ils obéissent à un protocole unique ou chacun dispose de sa propre méthode ?
MB : L’une des spécificités d’Apesa est que ce sont les psychologues qui sont proactifs et l’on ne demande pas aux entrepreneurs, épuisés et désespérés, d’agir. Apesa n’est donc pas un numéro vert ! Une première prise de contact a lieu cependant par téléphone car cela permet d’intervenir en urgence. Celle-ci est réalisée par des psychologues travaillant au sein d’une structure appelée Ressources Mutuelles Assistance (RMA) située à Nantes. Ce premier entretien témoigne à l’entrepreneur en souffrance qu’il compte encore, que l’on peut s’occuper de lui, et permet d’évaluer la gravité de la situation. Dans un second temps, un relais est transmis aux psychologues du réseau local d’Apesa France. Le psychologue est choisi selon sa situation géographique afin qu’il soit le plus proche du domicile de la personne en souffrance. Chaque psychologue a des compétences spécifiques en matière d’addiction, de problèmes conjugaux … et ils sont sollicités selon la complexité de la situation, mais ils agissent bien entendu dans le cadre d’un protocole uniformisé et s’engagent à prendre contact dans les 24 h et à proposer un premier entretien dans leur cabinet dans les 5 jours ouvrés. Il s’agit de réanimation psychique, on les aide à trouver les ressources qui leur permettront de rebondir. Ce n’est pas non plus une baguette magique et nous n’avons pas la prétention de régler tous les problèmes.
Mayday : L’accompagnement d’APESA est-il gratuit ? Et comment assurez-vous votre financement et votre pérennité ?
MB : L’accompagnement psychologique est totalement gratuit pour la personne qui en bénéficie. On le comprend parfaitement. Il paraît toutefois normal que les psychologues soient rémunérés. Localement, les associations Apesa recueillent des fonds qui servent exclusivement à les rémunérer. La question centrale est bien, qui doit faire preuve de solidarité à l’égard de ceux qui échouent ? Selon nous c’est donc au monde économique au sens large de dégager les ressources pour financer le dispositif. Localement, les financeurs locaux sont les chambres consulaires, les ordres professionnels, les clubs de chefs d’entreprise, les organisations professionnelles, etc.
Sur le plan national, APESA France qui fédère les associations locales est financée principalement par Harmonie Mutuelle qui est à nos côtés depuis le début de cette aventure, et récemment par le Groupe Vyv et la fondation Garance.
Si l’on veut changer le regard sur l’échec, il faut selon moi parler de l’échec et des dispositifs destinés à y remédier dès la création d’entreprise
Mayday : Malheureusement, l’actualité nous rappelle régulièrement combien il est difficile pour un dirigeant de vivre les difficultés de son entreprise. Considérez-vous que le fait d’être un dirigeant actionnaire comporte un risque supplémentaire de ne pas pouvoir faire face à la défaillance de son entreprise par rapport à un dirigeant non actionnaire ?
MB : Certains dirigeants le résument très bien en disant « Mon entreprise, c’est mon bébé ! ». Il est certain qu’un tel attachement viscéral lors de la perte de l’entreprise ne peut produire que de la souffrance. De plus, lorsque vous risquez de perdre votre propre capital, vous êtes nécessairement plus exposé. Selon nos statistiques, la majorité des personnes concernées sont des hommes qui ont dépassé la cinquantaine.
Mayday : On entend souvent en France qu’il y a un regard stigmatisant sur l’échec par rapport aux Etats-Unis. Comment pensez-vous que nous puissions faire bouger les lignes ?
MB : Si l’on veut changer le regard sur l’échec, il faut selon moi parler de l’échec et des dispositifs destinés à y remédier dès la création d’entreprise. Il faut préparer les dirigeants à cette éventualité qui n’est pas seulement théorique. Il faut ensuite envisager toutes les conséquences de l’échec, sur un plan patrimonial, ce qui est déjà fait en partie et sur le plan psychologique. En Grande Bretagne, des campagnes nationales de prévention des souffrances morales liées à l’endettement sont organisées.
Mayday : On observe ces dernières années que des efforts ont été faits ou seront faits, notamment dans la loi PACTE. Êtes-vous pessimiste ou optimiste sur l’évolution des mentalités ?
MB : Je suis très optimiste sur l’évolution des mentalités car je vois de nombreux professionnels rejoindre spontanément le dispositif APESA, des procureurs s’y intéresser, l’ENM organiser des formations sur le sujet, des juristes, des experts-comptables rédiger des thèses qui l’abordent, cependant le sénat vient de rejeter un amendement déposé par le Sénateur Bernard Lalande dans le cadre de la loi PACTE, destiné à reconnaître la souffrance morale des entrepreneurs à l’occasion des procédures collectives, et il y a donc encore un peu de chemin à parcourir …
Propos recueillis par Cyprien de Girval
2 commentaires
Vous trouvez des fonds pour payer les psychologues : soit.
Mais pour renflouer une entreprise, avant le psychologue ou simultanément a son concours,
Il faut d’urgence des fonds.
C’est ainsi qu’un procureur peut promettre la liquidation sans l’obtention d’un prêt, sans que quiconque ne fournisse ni la moindre aide, ni le moyen de la trouver,
en renvoyant, en l’absence des banques, aux escrocs.
Votre démarche est un critère sur une jambe de bois.
Car meilleur » apaisement », c’est l’argent. Et il fait défaut.
J’ai été liquidée et expulsée, dans la rue pendant un mois.
Encore 24 heures piur savoir si j’obtiens un prêt, après 4 ans de lutte.
Réveillez-vous.
cautère sur une jambe de bois ( correctif de l’impression automatique, dans le mail ci-dessus )