Air France – KLM, géant mondial à fort ancrage européen dont les principaux métiers sont le transport aérien de passagers, de fret et la maintenance aéronautique, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 27,2 milliards d’euros en 2019 et qui emploie 83.000 personnes a subit un arrêt quasi-totale de son activité en raison de la crise sanitaire actuelle. Quelques semaines après le début du confinement, le groupe annonce bénéficier d’un soutien financier de 7 milliards d’euros au profit d’Air France, sans doute l’opération de sauvetage, liée à la pandémie de COVID, la plus importante en France. Mayday a pu échanger avec Lionel Spizzichino, avocat associé chez Willkie Farr & Gallagher et conseil du Groupe Air France-KLM, qui revient sur cette opération hors norme.
Mayday : 7 milliards d’euros de plan de soutien, les chiffres donnent le tournis. C’est peut-être le sauvetage le plus spectaculaire de la crise du COVID-19 à date. Pourriez-vous nous dire comment s’est structurée l’opération de financement ?
Lionel Spizzichino : Oui c’est en effet à ce jour la plus importante opération en France aux fins de faire face aux conséquences économiques de la pandémie de COVID-19. Air France est un symbole national et l’un de nos plus beaux fleurons industriels. Au-delà des compagnies aériennes, c’est toute la filière aéronautique, des constructeurs comme Airbus aux sous-traitants, qui est impactée par cette crise. Entre les emplois directs et les emplois indirects, les enjeux en terme d’emplois et de filières sont majeurs.
L’opération a été structurée de la manière suivante :
- un prêt d’actionnaire de l’Etat français à Air France-KLM d’un montant de 3 milliards d’euros et d’une maturité de quatre ans, avec deux options d’extension d’un an consécutives exerçables par Air France-KLM ;
- un Prêt Garanti par l’Etat français (PGE) d’un montant de 4 milliards d’euros octroyé par un syndicat de banques à Air France-KLM et Air France. Ce prêt bénéficie d’une garantie de l’Etat français à hauteur de 90% et d’une maturité de 12 mois, avec deux options d’extension d’un an consécutives, exerçables par Air France-KLM.
Ces financements sont accordés afin de permettre au Groupe Air France-KLM de garantir à Air France les moyens de faire face à ses obligations en poursuivant sa transformation pour s’adapter dans un secteur que la crise globale va largement bouleverser.
Mayday : C’est une opération importante qui s’est tenue dans un contexte incertain. Comment établir un business plan fiable en cette période et conclure une opération de cette ampleur dans le contexte juridique actuel ?
LS : Oui, c’est toute la difficulté de l’opération et plus généralement de toutes les négociations PGE que nous menons en ce moment. Concernant le groupe Air France – KLM, les prévisions de trafic sont mises à jour quasi quotidiennement en fonction de l’évolution de la situation dans chaque pays desservi soit tout de même 116 pays. Les modèles financiers et projections ont évolué en parallèle des négociations, en fonction de la progression de la crise sanitaire. Dans le même temps, nous avons dû faire évoluer la documentation juridique dans un contexte juridique français et communautaire extrêmement mouvant. Concernant la France, le premier texte qui a été publié sur les PGE ne convenait pas aux établissements bancaires. Ces dernières considéraient notamment que le délai de carence était trop long, le pourcentage garanti trop faible, leur risque pas assez rémunéré et enfin que la garantie proposée n’était pas une garantie à première demande. Certains de ces points ont été par la suite modifiés par des arrêtés successifs. Sur le point communautaire, il a fallu assimiler les cadres temporaires mis en place pour faire face aux conséquences économiques en Europe de la crise sanitaire et là encore faire évoluer la structure des financements en fonction de ces cadres.
Ensuite le groupe a dû constituer un pool bancaire composé au final de Banco Santander, BNP Paribas, Crédit Agricole, CIC, Deutch Bank, HSBC, LCL, Natixis et Société Générale. Il a aussi fallu trouver un équilibre entre le PGE et le prêt de l’Etat et trouver le moyen d‘adresser les demandes les banques quant aux caractéristiques du PGE. C’est pour cela que certaines caractéristiques des PGE ont évolué notamment aux termes d’un arrêté en date du 17 avril 2020 avec un versement provisionnel au plus tard 90 jours après la demande et une garantie qui est devenue irrévocable et inconditionnelle. Il a été enfin précisé concernant le PGE bénéficiant au Groupe que le montant garanti est de 90 % du prêt accordé.
Par ailleurs, il a fallu structurer ces prêts dans le respect de l’équilibre actionnarial du groupe. C’est ainsi qu’il a été opté pour un financement au niveau du groupe pour le descendre ensuite au niveau d’Air France.
Alors que chacun des intervenants sur cette opération majeure était confiné, nous avons malgré tout réussi à sécuriser ces financements essentiels pour Air France et ce en seulement cinq semaines. Cela n’aurait pas été possible sans le travail considérable des équipes d’Air France-KLM accompagné par les équipes de conseils qui se sont constituées en mode commando des banques d’affaire aux avocats. Pour l’anecdote, nous avons réalisé ce deal avec les équipes de Gide et alors qu’avec Arnaud (Duhamel) nous ne nous étions jamais rencontrés avant ce dossier, tout s’est déroulé de manière parfaitement fluide entre nous et nos équipes sans que nous ne nous soyons jamais vus hormis par écrans interposés.
Mayday : Cette opération avait besoin de l’autorisation de la commission européenne concernant le plan de soutien ?
LS : C’est tout à fait exact. Après Renault, la Commission Européenne a autorisé ce soutien le 4 mai dernier dans le cadre du temporary framework adopté pour répondre à la crise engendré par la pandémie. A cette occasion, la commissaire à la concurrence Margrethe Vestager a déclaré que l’industrie aéronautique « est importante en termes d’emplois et de connectivité. Dans le cadre de l’épidémie de coronavirus, Air France a également joué un rôle essentiel dans le rapatriement des citoyens et le transport de matériel médical », en plus de la continuité territoriale.
Mayday : 7 milliards d’euros par rapport à l’endettement historique d’Air France cela représente une somme importante ?
LS : Le groupe était assez peu endetté notamment par rapport à certains de ses concurrents. En dehors de la dette du financement d’aéronefs, il y avait un financement d’un peu plus d’un milliard d’euros en RCF et des financements obligataires pour environ 1,3 milliards d’euros.
La compagnie avait fait un travail exceptionnel de désendettement sur ces dernières années. Sur le plan environnemental, qui est une des conditions au soutien de l’Etat, là encore Air France avait déjà engagé un important travail pour réduire son bilan carbone et va naturellement pouvoir continuer grâce notamment au plan de soutien.
Mayday : Comment voyez-vous le marché M&A aérien dans les prochains mois ?
LS : Tout d’abord il faut savoir que la France est un des pays où il y a le plus de compagnies aériennes ce que beaucoup ignorent. Mais plus globalement, et malheureusement, beaucoup de compagnies aériennes à travers le monde qui connaissaient déjà des difficultés avant la crise en ressortent évidemment très fragilisées. Il est donc très probable que nous assistions dans les prochains mois à une vague de consolidations dans le secteur mais également par effet ricochet chez les sous-traitants aéronautiques.
Willkie Farr & Gallagher LLP et Gide conseillent le groupe Air France – KLM avec pour Willkie une équipe dirigée par Lionel Spizzichino (associé), avec Gabriel Flandin (associé) pour les aspects corporate, Thierry Laloum (associé) pour les aspects Droit public, Paul Lombard (associé) pour les aspects financement, Faustine Viala (associée) pour les aspects concurrence accompagnés de leurs équipes respectives Maxime de l’Estang (counsel), Igor Kukhta (counsel) et Audrey Nelson (counsel), Paul Dumas et Sylvain Petit (collaborateurs) et pour Gide une équipe dirigée par Arnaud Duhamel (associé) avec Eric Cartier-Millon et Laurent Vincent (associés) pour les aspects financement, Didier Martin (associé) pour les aspects corporate, Thomas Courtel (associé) pour les aspects droit public et Stéphane Hautbourg (associé) pour les aspects concurrence (associé) accompagnés de leurs équipes respectives Nathalie Benoit (counsel), Corinne Rydzynski, Aude-Laurene Dourdain, Alexandre Rennesson, Jérémie Bismuth, Marie-Hélène Gryparis et Louis Ravaud (collaborateurs).
L’Agence de la Participation de l’Etat (APE) est conseillée par les cabinets Allen & Overy (Julien Roux et Marc Castagnede) et BDGS (Antoine Bonnasse et Antoine Gosset-Grainville) et le pool bancaire par White & Case (Denise Diallo).
Propos recueillis par Cyprien de Girval