Mayday a rencontré Guillaume de Feydeau, qui a été nommé Président d’Office Depot il y a six mois. Rompu aux entreprises en crise, l’ex-président de la SNCM œuvre aujourd’hui à retourner et pérenniser une entreprise que certains pronostiquaient à la faillite il y a quelques mois seulement.
Mayday : Pourriez-vous nous présenter Office Depot en quelques chiffres ?
Guillaume de Feydeau : Sur 2019, on devrait faire 380 millions de chiffre d’affaires avec 1750 salariés en France et nous disposons de 60 magasins.
Mayday : Quel diagnostic avez-vous porté lorsque vous en avez pris la direction il y a six mois ?
GdF : L’entreprise a quatre forces et trois faiblesses. La première force c’est le personnel. J’ai eu l’occasion d’aller régulièrement sur le terrain et j’ai été agréablement surpris par la qualité du personnel et son professionnalisme. Ils sont motivés et engagés. Ensuite, Office Depot est une très belle marque d’origine américaine et dont la notoriété est mondiale. Le troisième point fort ce sont nos clients. On a des clients très différents (grands Groupes, sociétés ETI, PME et aussi des particuliers), car nous sommes multi-canal. Le quatrième point fort c’est le réseau européen. La France représente 30 % des activités européennes, ce qui constitue un atout important, car cela génère un effet de masse pour des grands comptes et de nombreuses synergies.
Dans l’état des lieux que j’ai dressé, j’ai constaté trois faiblesses. Premièrement, Office Depot perdait de l’argent depuis trop longtemps, ce qui rendait l’entreprise fragile et vulnérable. Ces pertes ont généré du stress en interne et en externe. Tout le monde s’est inquiété de voir sous-performer cette entreprise qui a plein d’atouts. La deuxième faiblesse en est la conséquence directe : l’inquiétude diffuse des salariés. Leur inquiétude est légitime, ils ont d’ailleurs lancé un droit d’alerte. La troisième faiblesse est qu’il y a eu des articles de presse qui faisaient état de rumeurs alarmistes. Elles étaient fausses, mais lorsque ces rumeurs sont reprises par des titres nationaux, cela prend de la véracité, même non justifiée. La preuve, nous sommes toujours là alors que certains prédisaient que nous ne passerions pas l’été …
Mayday : Nous avons effectivement pu lire dans la presse que votre actionnaire était un fonds vautour qui était là pour liquider l’entreprise. Que répondez-vous à cela ?
GdF : Certains voient les fonds d’investissement comme des animaux à longues plumes avec des serres acérées. Aurélius est un fonds de retournement allemand. La liquidation d’Office Depot France n’est évidemment pas à l’ordre du jour. J’ajoute également que nous disposons du soutien plein et entier du fonds concernant le déploiement du plan stratégique que je pilote avec le COMEX d’Office Depot en France
« Il y a un plan A et il n’y a pas de plan B. Le plan B ce serait la liquidation. Le plan A, c’est un plan de transformation »
Sur 2019, il nous soutient de plusieurs façons. Il m’a nommé de façon pérenne, ce qui est une marque d’implication du fonds dans l’espoir que les choses perdurent. Par ailleurs, il soutient notre plan stratégique et a apporté 10 millions d’euros supplémentaires pour nous accompagner dans notre transformation.
Mayday : Lorsque vous êtes arrivé, quelles furent vos premières actions ?
GdF : La première chose fut de rétablir ou mettre en place un dialogue social de qualité. Ensuite il a fallu stabiliser nos finances. Comme évoqué, notre actionnaire a apporté de la new money, on a changé de factor et on a levé de la dette. C’est à la fois satisfaisant et responsabilisant. Ensuite, j’ai pu établir un plan stratégique de retournement que je dois maintenant délivrer.
Mayday : Vous avez présenté un premier aperçu de votre plan stratégique en juillet dernier. Pourriez-vous nous en esquisser les grandes lignes ?
GdF : D’abord il y a un plan A et il n’y a pas de plan B. Le plan B ce serait la liquidation. Le plan A, c’est un plan de transformation qui repose sur le constat majeur que j’ai fait : l’entreprise est trop complexe, à tout point de vue. Cette complexité a désorganisé l’entreprise et perturbé certains. Notre objectif est de retrouver l’équilibre à horizon 2020 / 2021.
Pour cela nous avons développé trois grands axes. D’abord nous devons avoir un mode de fonctionnement plus simple et plus efficace. On s’est rendu compte que nous avions trop de références. En passant de 15.000 références à 8 ou 10.000 références, nous pouvons simplifier les choses, acheter mieux, réduire la complexité de la chaine de valeur, moins stocker, sans impacter la qualité du service client.
Ensuite, nous devons davantage être orientés client et nous poser la question : pourquoi viennent-ils et comment mieux les servir ? Le client en magasin veut de la proximité, le client catalogue (Viking) veut de la récompense, etc.
« Il faut réaligner les intérêts des actionnaires, du management et des salariés. S’il y un désalignement d’intérêts entre ces trois parties prenantes, pour moi c’est perdu d’avance. C’est donc ma première mission »
Enfin, nous devons passer du produit à la solution. Aujourd’hui encore, on se contente d’acheter, de stocker et de vendre. Nous pourrions développer un mode de gestion délégué par le client de ses articles de bureau. J’ai la conviction que nous avons vocation à accompagner nos clients dans une relation de partenariat et de service en leur fournissant leur environnement de travail. Pas seulement des produits, mais également des services. Cela passe de la sélection des bons produits, à l’achat, la livraison, puis la gestion de l’après : que faire de son ordinateur ou de sa cartouche d’encre vide … ?
Le plan repose sur ces trois grands piliers que nous avons déclinés en 10 sous axes différents qui vont de la relation avec l’actionnaire, à l’implication de l’ensemble des salariés dans ces chantiers, et jusqu’aux synergies avec nos pays européens.
Mayday : Est-ce que vous estimez qu’Amazon est un concurrent et comment appréhendez-vous la digitalisation de votre métier ?
GdF : Amazon est l’un de nos concurrents. Mais je pense qu’il va chercher à se différencier par le prix, or nous n’irons pas dans cette stratégie. Pour notre part, nous souhaitons développer davantage de services et d’accompagnement.
Nous utilisons aujourd’hui la digitalisation de nos process pour amener un meilleur parcours client et pour faire du cross-canal, alors que nous ne faisons encore que du multi-canal.
Mayday : Est-ce qu’Office Depot est la seule entité du groupe en sous-performance où vous subissez un problème plus global ?
GdF : Il y a deux façons de regarder. Mes concurrents sur le marché français sont des spécialistes, alors que je suis un généraliste. En France les hyper-spécialistes s’en sortent relativement bien. D’où la tentation de penser que la complexité nous a envahie et que le multi-canal n’a pas été géré de façon optimale. Au niveau européen, je ne peux qu’observer un nombre important de fusions entre opérateurs qui laisse penser qu’une démarche de concentration est en marche …
Mayday : Lorsqu’on est manager de crise ou de transformation, comment fait-on pour gérer le temps court, l’immédiateté et l’urgence, tout en préservant la croissance à long terme ?
GdF : La première chose c’est de beaucoup travailler et donner de sa personne. Vous finissez par gagner la confiance de vos équipes. Il faut que tout le monde perçoive qu’il y a un pilote dans l’avion.
Ensuite, il faut donner du sens et dire la vérité. Les salariés sont adultes et connaissent bien l’entreprise. Tout le monde accepte une forme d’effort si on sait où on va. C’est pour ça qu’il faut un plan et qu’il faut s’y tenir.
Enfin, il faut aligner ou réaligner les intérêts des actionnaires, du management et des salariés. S’il y un désalignement d’intérêts entre ces trois parties prenantes, pour moi c’est perdu d’avance. C’est donc ma première mission.
Propos recueillis par Cyprien de Girval