Après avoir dirigé le CIRI et rejoint Bpifrance notamment, elle fonde GENEO, une société d’investissement et d’accompagnement dédiée aux PME et ETI ayant une vision de l’investissement sur le long terme, avec François Rivolier (ancien dirigeant de Société Générale Capital Partenaires). Après la publication d’un premier livre intitulé Comment doubler la taille de votre entreprise Carnet de croissance pour PME et ETI, Fanny Letier revient avec un nouvel ouvrage à destination des entrepreneurs Carnet de rebond pour PME et ETI. Pouvant compter sur les contributions d’Helene Bourbouloux, Jean-François Couëc, Philippe Destenbert, Michel Dumont, Frédéric Jouenne, Thierry Grimaux, Tarek Hosni, David Mahé, Louis Margueritte, Didier Pitot, Patrick Puy, René Ricol, François Rivolier, Thierry Sonalier, Philippe Soullier, Virginie Verfaillie Tanguy, Jean-Claude Volot ou encore Sebastien Wolff, l’auteur y partage des clés de succès, des leviers et des autodiagnostics dans l’objectif de rebondir, notamment après la crise sanitaire.
Mayday : Pouvez-vous nous présenter votre livre ?
Fanny Letier : Ce livre s’intitule Carnet de rebond pour PME et ETI, c’est mon deuxième livre. Il est là pour transmettre des expériences que j’ai eu au contact de milliers d’entrepreneurs. J’ai essayé de tirer des leçons de ce que j’avais appris au CIRI. Plus que le capital financier, ce qui compte pour la résilience de l’entreprise c’est le capital humain. Ce sont les hommes et les femmes qui composent l’entreprise mais aussi l’organisation et la gouvernance. Cela va permettre au corps social d’anticiper l’avenir.
C’est ce qu’il y a de plus dur pour les PME et ETI car elles n’ont pas forcément en interne toutes les ressources dont elles auraient besoin pour exécuter leur business plan dans les temps impartis.
J’ai écrit Carnet de rebond dans le contexte de la crise sanitaire pour exprimer que l’entreprenariat est par définition une prise de risque. Il n’y a pas de croissance ni d’entrepreneuriat sans prise de risque. Il y a des phases de croissance mais aussi des phases de crises. Ce qui compte c’est d’organiser des sociétés résilientes et d’être capable de faire des carnets de croissance mais aussi de rebond, d’où l’idée de mon second Carnet.
C’est un livre coach pour des dirigeants qui sont souvent autodidactes et il se fonde sur des témoignages d’entrepreneurs et d’experts. L’idée est de partager sur chacun des thèmes abordés des conseils et des ressources pour pousser chaque entrepreneur à faire son autodiagnostic. Le lecteur est ici actif, c’est un guide pour écrire son propre carnet de rebond qui par définition est unique.
Mayday : Comment le livre est-il structuré ?
FL : Il est structuré comme les différents temps d’une crise.
La première partie porte sur la résistance, c’est le moment où la crise éclate. C’est le temps de la sidération au début de la crise sanitaire, lorsqu’il était impossible de quantifier la durée et les impacts. J’y évoque comment stabiliser l’entreprise, comment éviter les découragements ou encore comment travailler sur la trésorerie.
La deuxième partie concerne la prise de recul et l’organisation du rebond. Que l’on soit en situation de croissance ou de rebond, il faut oser regarder les choses en face. L’introspection doit permettre au diagnostic d’être le plus vrai possible pour situer le point de départ de ce rebond. Cela va permettre de s’organiser, d’identifier les personnes qui vont pouvoir accompagner l’entreprise et puis aussi de penser à soi pour avoir la forme physique et mentale qui permet le rebond.
La troisième partie traite de la co-construction d’un plan de rebond. Elle permet de comprendre la construction d’un plan et d’identifier les zones de faiblesse et les points forts de l’entreprise. Il y a des éléments sur lesquels on peut compter et qui peuvent être redéployés (moyens, innovation) à l’intérieur de son entreprise pour optimiser, donc relancer ce qui est porteur, et à l’inverse arrêter et restructurer ce qui l’est moins.
La dernière partie porte sur l’exécution et elle peut être compliquée. Il faut savoir s’entourer, savoir mettre en place une bonne organisation et des outils de pilotages financiers ainsi que sociaux pour pouvoir progressivement préparer l’après.
L’idée est de dire que la crise est juste une accélération de transformations positives et négatives. C’est aussi un moment où l’on se pose des questions fondamentales, ou l’on prend du recul. Certains dirigeants ont utilisé la crise comme une opportunité pour accélérer des chantiers qu’ils voulaient mettre en place. C’est une façon de ressortir de cette crise plus fort qu’avant.
Ainsi, ce qui compte c’est la croissance durable, ce qui nécessite de la résilience d’entreprise, j’espère donc que le livre apportera des conseils utiles dans le but de favoriser la résilience d’entreprise.
Mayday : Vous évoquez l’anticipation mais un entrepreneur pouvait-il réellement anticiper cette crise sanitaire ?
FL : Je pense que certains sujets auraient pu l’être, c’est ce qui fait qu’une entreprise a plus ou moins bien traversé la crise. Il faut se demander si l’entreprise avait une gouvernance forte pour épauler l’entrepreneur au moment de l’éclatement de la crise, si l’entreprise avait correctement travaillé sa digitalisation ou encore se pencher sur la dimension RSE afin que le corps social se sente pleinement mobilisé alors même qu’il était confiné chez lui. En fonction du degré d’anticipation de ces sujets par le management, on a vu des entreprises réagir correctement et rapidement ou au contraire souffrir et être mises dans une posture difficile.
Mayday : Vous indiquez que votre premier livre s’adresse à des entrepreneurs autodidactes et qu’il en est de même pour Carnet de rebond. En revanche, autant la croissance est enseignée en école de commerce mais qu’en est-il de la crise ? Un entrepreneur très bien formé dans les grandes écoles y est-il préparé ?
FL : Il y a des initiatives pour faire en sorte que ces sujets irriguent les programmes d’écoles de commerce. Ce sont les professionnels eux-mêmes qui retournent dans leurs écoles et essaient de proposer des enseignements dessus. Mais en réalité aucun entrepreneur n’est prêt pour la crise. Une entreprise est créée car on pense qu’il y a un besoin à résoudre, un produit ou service manquant à offrir. On prend ainsi des risques personnels, patrimoniaux, financiers qui sont importants.
Le facteur aggravant en France est qu’il n’y a pas de culture de l’échec, les entrepreneurs se retrouvent marqués au fer rouge pour toute leur vie. Or celui qui a échoué une fois est réellement meilleur, car il n’y a pas de meilleure leçon que celle de la crise. Il me paraît donc important de changer ce rapport à l’échec, la crise fait partie de la vie de l’entreprise.
Mayday : Vous évoquez une prise de décision qui se fonderait sur une co-construction. Ne peut-on pas penser au contraire que la crise impose qu’un chef tranche, si besoin seul, mais tranche vite? Le consensus est-il souhaitable en temps de crise ?
FL : L’isolement des chefs d’entreprises est très dangereux. Je suis d’accord sur le fait que la crise implique de prendre des décisions en permanence, qu’il faut aller vite dans ses prises de décisions et que l’on ne pourra pas toujours être consensuel. Il y aura des bonnes et mauvaises décisions mais ce qui est sûr c’est qu’il faut être à l’écoute de ses collaborateurs, clients ou encore fournisseurs et aller sur le terrain. Il faut également s’entourer de professionnels de la crise qui sont rompus à cet exercice. Il faut que tout le monde dispose de la possibilité d’apporter sa pierre, c’est très important afin d’inclure tout le monde dans le rebond. Cela permet aussi de détecter les angles morts de son entreprise.
A ce titre, la maitrise d’une communication de crise est primordiale. Je me suis aperçue pendant les premiers jours de la crise sanitaire que les dirigeants d’entreprises se demandaient ce qu’ils devaient dire ou non à leurs salariés, à leurs clients etc. Cette communication est très délicate donc j’essaie de l’aborder simplement. Il faut dire la vérité, partager les éléments lorsqu’on les connait. La transparence est très importante mais nous ne sommes pas obligés d’avoir réponse à tout directement.
Mayday : Ce livre annonce-t-il la vocation de GENEO à investir dans des entreprises en crise ?
FL : Non, la société a été créée sur une thèse de capital développement avec une vision de société d’investissement de long terme et une dimension d’accompagnement très forte.
Je peux soulever quatre caractéristiques de notre intervention. La première est de maitriser le temps et pouvoir s’adapter aux cycles naturels de l’entreprise et au cycle économique.
La deuxième est d’apporter du capital humain, la PME ou l’ETI n’a pas toujours en interne les ressources dont elle a besoin, donc nous apportons des ressources sous forme de formations, conseils, gouvernance, management etc.
La troisième est que les 140 familles et entrepreneurs ayant investi dans GENEO (au total 260 M€) savent que maitriser le temps est indispensable.
Et la dernière est de partager la valeur. La réussite doit profiter à toutes les parties prenantes. Nous avons une dimension philanthropique assez forte.
Propos recueillis par Marie Jacquemin et Cyprien de Girval