Mayday a rencontré Dominique Sarran qui est revenu sur son expérience à la tête des magasins Bois et Chiffons de 2004 à 2012. De l’euphorie des années 2004, à la tempête de 2008, l’entreprise Bois et Chiffons a tout connu. Acteur et spectateur de cette époque particulière où se sont révélés à la fois les grands hommes et les grandes escroqueries, Dominique Sarran évoque avec émotion cette « période dingue », mais passionnante … Rencontre inspirante avec un chef d’entreprise qui est resté à la barre de son navire jusqu’au bout.
Mayday : Vous êtes à l’origine un financier, pourriez-vous nous dire comment vous êtes arrivé à la tête de Bois et Chiffons ?
Dominique Sarran : J’ai 57 ans et j’ai une carrière qui est partagée entre le monde de l’entreprise et de la finance. J’ai intégré la BNP Paribas en fusions-acquisitions et j’ai surtout été impliqué dans des dossiers de PME et ETI. Entre 1993 et 1997, j’ai acheté, développé puis cédé ma première entreprise, avant de revenir dans la finance chez BNP Paribas. En 2004, j’ai travaillé comme conseil à la cession du groupe Bois et Chiffons, avant de me voir proposer par son nouvel actionnaire, Capzanine, de prendre la direction de l’entreprise dans le cadre d’une première opération de LBO.
Mayday : Vous arrivez avant la crise de 2008, quelle est la situation de Bois et Chiffons ?
DS : Je suis arrivé à la tête de Bois et Chiffons pendant une période faste. Bois et Chiffons, acteur important de l’ameublement connaissait une forte croissance. Nous avions 55 magasins qui représentaient chacun environ 1000 m2 en moyenne. En 2007, on en avait 110, dont certains dans le golfe,( Arabie saoudite, Dubaï, Qatar, Koweït,), en Europe (Italie, Suisse, Belgique, Espagne) ou encore aux Etats-Unis.
Le groupe fonctionnait sur un modèle de franchise, même si nous réalisions 25 % de notre activité avec des magasins détenus en propre. Assez classiquement, cela permet de connaitre une croissance rapide, car le poids de l’investissement est réparti entre franchiseur et franchisé, en contrepartie de quoi on apporte un savoir-faire, une marque, une notoriété, etc.
“En juillet 2008, nos outils analytiques nous indiquent une baisse de 20 % de fréquentation pendant les soldes. Puis, en octobre, nous accusons une nouvelle baisse de fréquentation de 20 % de nos magasins. A ce moment-là, la France est traumatisée par la chute de Lehman Brothers”
A l’époque nous réalisions 150 M€ de chiffre d’affaires (en incluant les franchisés) et près de 12 M€ d’EBITDA. C’était une période faste, tant pour le réseau de franchisés que pour B&C qui a pu distribuer jusqu’à 4 mois de salaires en participation et intéressement.
Mayday : A partir de quand avez-vous vu apparaitre les premiers signaux annonçant les difficultés ?
DS : J’avais conscience que le concept avait peu évolué depuis 10 ans. Paradoxalement, il est très difficile de faire évoluer une entreprise qui fonctionne bien, précisément parce qu’elle fonctionne bien. C’est particulièrement le cas lorsque vous avez un modèle de développement en franchise.
Après le premier LBO de 2004, nous avons réalisé une deuxième opération de LBO en novembre 2007, avec des multiples rétrospectivement un peu fous que l’on ne pouvait voir qu’à l’époque. Avec le recul, l’abondance de capitaux disponibles à l’époque a probablement contribué à déconnecter le rendement espéré du risque endossé, couple qui, en réalité, est indissociable.
En juillet 2008, nos outils analytiques nous indiquent une baisse de 20 % de fréquentation pendant les soldes. Puis, en octobre, nous accusons une nouvelle baisse de fréquentation de 20 % de nos magasins. A ce moment-là, la France est traumatisée par la chute de Lehman Brothers.
Dans ces conditions, il m’était compliqué d’honorer l’échéance de la dette LBO de décembre 2008. Certes, nous avions des lignes courts termes disponibles, mais il n’était pas naturel pour moi de payer l’échéance de la dette LBO par leur mobilisation. Dans ce contexte, j’ai sollicité l’ouverture d’un mandat ad hoc, et je suis allé faire part de ces difficultés à mes actionnaires et mes prêteurs. Nous avons obtenu un premier moratoire de deux ans sur la dette d’acquisition, en contrepartie de quoi l’actionnaire, le fonds Atria, s’engageait à remettre 1,5 M€ sur la table.
Mayday : Vous réalisez une première opération de restructuration en 2008 donc. Et puis, c’est le calme avant la tempête ?
DS : Exactement, nous avons continué jusqu’à mi-2010 pensant qu’on arriverait à se retourner. En 2010, les effets de la crise s’accentuent et la situation devient intenable. Il faut faire une opération chirurgicale de grande ampleur. Autour de moi, tout le monde du meuble s’effondre, à l’exception des trois géants Ikéa, Conforama et But (disparition de Maison Coloniale, Authentica, Pier Import, réseau de magasins Camif…) En effet, ces derniers résistent, car ils s’intéressent au marché des consommateurs qui ont besoin de meubles (premier équipement) et qui recherchent les prix les plus faibles. Nous étions dans un marché de renouvellement qui est plus cyclique même très procyclique, particulièrement sensible aux dépressions.
Dans ce contexte, j’ai sollicité l’ouverture d’un deuxième mandat ad hoc. Nous sommes passés du Tribunal de commerce de Bobigny au Tribunal de commerce de Meaux (déménagement du siège en 2009).
“Nous avons entamé nos discussions avec les prêteurs de Bois et Chiffons, sous l’égide du médiateur du crédit auprès duquel nous avons trouvé un appui sans faille et un niveau d’engagement de leur part remarquable”
La situation était plus compliquée et j’ai indiqué aux banques que je ne pouvais plus honorer les intérêts. Nous passions de 11 M€ d’EBITDA, à 5 M€ en 2009 et on a fini à 2 M€ en 2011/2012. A l’époque j’ai consulté 19 fonds de retournement à travers le monde, afin de trouver une solution financière. Tous m’ont invité à déposer le bilan et solliciter l’ouverture d’une procédure collective. Pour ma part, je craignais l’effet dévastateur d’une telle annonce, vis-à-vis de mes franchisés.
Je me suis battu pour conserver la confiance de mes franchisés et j’ai été contraint de fermer une filiale dans le sud-ouest dans des conditions difficiles
A ce moment-là, l’actionnaire majoritaire m’a demandé de remplacer le dirigeant d’une filiale et m’a envoyé un nouveau dirigeant. Ce dernier, après très peu de temps en fonction a déposé le bilan de notre filiale, sans m’en avertir, en ma qualité de dirigeant de son actionnaire. Il avait de la suite dans les idées, puisque j’ai également appris, qu’il venait de déposer la marque « Bois et Coton » !
Sa décision a déstabilisé l’ensemble des franchisés et m’a contraint à le révoquer. Le mal était fait …
Ce n’est évidemment pas l’origine de nos difficultés mais cela a réduit à néant mes efforts de maintien de la confiance de la part de nos franchisés (qui, sur le terrain, chaque jour, souffraient de contreperformances)
Mayday : A cette époque, est-ce que vous aviez un plan de restructuration crédible pour vous sortir de vos difficultés ?
DS : Oui, notre actionnaire ne voulait plus ré-investir, mais le mezzaneur acceptait de ré-investir une dizaine de millions d’euros en new money. La seule chose qu’il demandait en contrepartie était d’avoir un rang privilégié pour la new money qui incluait également son ancienne dette, ce qui n’est pas forcément l’usage. Le plan proposé permettait d’apurer une très large partie de la dette en 5 ans. C’était un plan de décroissance qui avait pour objectif de baisser le point mort, pour in fine faire baisser les prix en magasins. Ce plan était validé par les plus grands experts de Paris, mais je devais recueillir l’accord de 100% des prêteurs.
Nous avons entamé nos discussions avec les prêteurs de Bois et Chiffons, sous l’égide du médiateur du crédit auprès duquel nous avons trouvé un appui sans faille et un niveau d’engagement de leur part remarquable.
Après de nombreuses réunions, toutes les banques ont fini par nous exprimer un accord oral. Alors que nous l’avions annoncé aux salariés, la banque la plus exposée est revenue sur son accord de principe en cours de soirée. L’effet fut dévastateur.
Il a fallu revenir devant les salariés pour leur expliquer … pendant ce temps, il faut aussi tenir vos équipes et faire votre travail de chef d’entreprise. Ce sont des moments très difficiles à vivre mais qui ont démontré l’incroyable engagement de l’ensemble du CODIR du groupe qui a démontré une loyauté sans faille.
“Pour repartir, il aurait fallu non seulement écraser la dette, mais également faire de la new money. Dans le contexte de l’époque, c’était un défi très périlleux à relever dans un monde déflationniste à l’époque”
Grâce à mon avocat, nous avons pu obtenir que les services de Bercy appuient notre requête auprès de l’établissement de crédits récalcitrant. Mais celui-ci n’a pas changé de position et j’ai été contraint de déposer le bilan de la holding.
Mayday : Comment fait-on pour gérer le dépôt de bilan d’un groupe de franchisés dont la holding est en redressement judiciaire ?
DS : Le modèle de développement en franchise est très efficace en période de croissance et déstabilisant en période de crise. Vous maitrisez moins votre entreprise. D’une manière générale, la franchise comme le LBO sont des modes de développement extrêmement pertinents pour gérer une croissance, mais redoutablement complexifiant en période de décroissance. La franchise génère beaucoup d’inerties en cas de difficultés, certains franchisés ont été – très légitimement – déstabilisés et se sont fait couper leur ligne de crédit, en raison du dépôt de bilan des sociétés de tête.
La procédure a été ouverte devant le Tribunal de commerce de Meaux. Je dois dire que j’ai été surpris. J’ai rencontré un président de Tribunal qui comprenait nos difficultés, un procureur de la république qui m’a tout de suite inspiré une grande confiance et un administrateur judiciaire, Jérôme Cabooter, d’une très grande qualité.
Pendant cette phase, les évènements ont été très violents. Mon avocat, Nicolas Theys, a été un soutien très important, ainsi que mon conseil financier, Cédric Colaert, qui a fait un travail remarquable. Grâce à eux, et indépendamment du côté un peu « houleux » de certaines réunions, la confiance a toujours été maintenue, tant avec les créanciers financiers qu’avec les différents organes de la procédure. Je veux dire aux chefs d’entreprises qu’ils ne doivent pas négliger le rôle de conseil qui est primordiale, il est important de bien s’entourer pendant ces périodes. Ils vous aident à prendre du recul, à accepter l’ouverture d’une procédure collective et à décoder un monde qui nous est étranger
Nous avons cherché une solution de cession opérationnelle. Celle qui a été choisie n’avait pas ma faveur. L’entreprise a été bradée à des personnes peu scrupuleuses. Les repreneurs se sont attelés à licencier un maximum de salariés, prendre les stocks et interrompre les commandes en cours. En quelques jours, la trésorerie était inexistante. Alors que j’avais été congédié manu militari par ce nouvel actionnaire qui avait prévu mon remplacement à l’AG suivante, ce nouvel actionnaire m’a écrit un mois plus tard pour me dire que, finalement il renonçait à son projet …. Personne ne les a plus jamais revus …
J’ai alors été contraint de solliciter l’ouverture d’une procédure collective au bénéfice de la société opérationnelle dont le fonctionnement – déjà très fragilisé bien sûr – avait été complétement stoppé Celle-ci a été reprise par un groupe de distribution, qui a par la suite trébuché à nouveau. Aujourd’hui un groupe de quelques franchisés s’est fédéré pour reprendre la marque.
Mayday : Avec du recul, aurait-il été possible de faire quelque chose autrement ?
DS : L’entreprise Bois et Chiffons a dû faire face au ralentissement économique mondial. Je ne peux pas dire qu’elle était condamnée, mais la suite a montré que ce type de commerce a été particulièrement frappé, le monde du retail n’ayant, pour de très nombreuses raisons, pas retrouvé son niveau d’avant 2008. Durant cette période, il y a eu bcp de liquidation et le mécanisme de franchise, pour des commerces à investissements lourds comme le nôtre affaiblissait significativement les capacités de réaction.
Pour repartir, il aurait fallu non seulement écraser la dette, mais également faire de la new money. Dans le contexte de l’époque, c’était un défi très périlleux à relever dans un monde déflationniste à l’époque.
J’ai pu m’appuyer sur un comité de direction exceptionnel et nous avons travaillé d’arrache pieds pendant 2 ans, dans un contexte où l’avenir s’assombrissait. Nous avons connu trahisons et rebondissements. Nous sommes passés par toutes les phases, ce fut une période dingue, mais j’ai beaucoup aimé cette période dont les défis, notamment humains et organisationnels sont à la mesure de l’enjeu : la survie.
Mayday : Vous avez donc quitté Bois et Chiffons. Qu’avez-vous fait après et cette expérience a-t-elle changé votre regard ?
DS : D’abord, j’ai tout fait pour que les salariés bénéficient d’un PSE sérieux et responsable, ce qui fut le cas. Ensuite, j’ai tout fait pour aider les membres de mon comité de direction à rebondir.
Pour ma part, j’ai participé à la création d’un fonds d’investissement qui s’appelle RAISE. L’idée était d’avoir une branche investissement et une branche fondation. Le concept m’a plu.
Je ne sais pas si mon regard de financier avait changé. En revanche, vous n’avez plus le même discours et vous ne vous intéressez plus aux mêmes choses …
Trois ans plus tard, j’ai décidé de lancer « B For Care », société de l’économie sociale et solidaire, dont l’objectif est d’essayer de tordre des modèles économiques existants pour faire en sorte qu’ils aient un impact social en plus de l’impact financier. Ainsi avons-nous lancé la marque Merci pour eux en pharmacie avec comme objectif de contribuer significativement au financement de la recherche médicale en France.
Propos recueillis par Cyprien de Girval
Sur l’auteur : Président de Bois et Chiffons de 2004 à 2012, Dominique Sarran a ensuite participé à la création du fonds d’investissement RAISE avant de créer et diriger B For Care depuis 2017 qui est notamment à l’origine de la marque Merci pour eux.
1 comment
J’ai créé ce concept fin 1997
Et je l’ai dirigé jusqu’à décembre 2007
Monsieur Saran que j’ai recruté comme directeur général adjoint en a été le PDG après le deuxième lbo
Monsieur Sarran qui avait un Égo énorme mais pas l’expérience ni le savoir
M’a fait renvoyer alors que je travaillais gratuitement
Je suis parti le soir même de mon propre chef en leur prédisant qu’il déposerait le bilan dans 3 ans
Julien Ayache