Pour la troisième année consécutive AU Group, courtier-conseil en garantie et financement du poste clients, et EY, acteur majeur de l’audit, du conseil, de la fiscalité, du droit, des transactions et du restructuring en France, collaborent à une étude sur les défaillances d’entreprises. Maxime Lemerle, Head of Sector and Insolvency Research chez Euler Hermes, Guillaume Cadiou, délégué interministériel aux restructurations d’entreprises, Hélène Bourbouloux administrateur judiciaire associée gérante chez FHB, Thierry Gardon, président du tribunal de commerce de Lyon et Matthieu Arnoux, expert en financements du poste clients associé chez AU Group, ont fait converger leurs points de vue au sein de cette enquête menée par Baudouin de Thoré, CEO chez AU Group, Olivier de la Pontais, international trade credit broker chez AU Group, Guillaume Cornu, responsable de l’activité restructuring chez EY, et Karim Lasri, associé chez EY.
Mayday : alors que l’année 2021 avait connu une nouvelle baisse du nombre de procédures, les premiers mois de l’année 2022 donnent des signes que cette dynamique pourrait s’inverser au cours de l’année prochaine. Doit-on y voir le signe d’une « normalisation » du nombre de défaillances dans un contexte de réduction du soutien de l’État ?
Olivier de la Pontais : en 2021, le nombre de défaillances a continué à décroître en France, en baisse de 45 % par rapport à 2019 pour atteindre près de 28 000 procédures collectives. C’est le plus bas niveau enregistré depuis 1986. Pour autant, nous commençons à observer une inflexion à la hausse depuis la fin de l’année 2021. Il est cependant trop tôt pour parler de normalisation pour le moment.
Karim Lasri : à l’exception de quelques défaillances emblématiques : Office Dépôt, Flunch, Appart City, l’année 2021 aura été marquée par le maintien des dispositifs de soutien qui ont vu leur efficacité perdurer. Aussi les défaillances ont-elles continué à décroître. Quant au nombre d’emplois menacés, il est passé sous le seuil des 100 000 (vs. 174 000 en 2019).
En 2022, les experts interrogés dans cette étude s’accordent à dire que le niveau actuel des défaillances ne peut pas refléter le fonctionnement normal d’une économie en sortie de crise et qu’une hausse des défaillances est à prévoir dans un contexte d’amortissement des PGE et des tensions géopolitiques actuelles.
Mayday : quand prévoyez-vous un retour à la normale ?
Guillaume Cornu : le soutien des pouvoirs publics est appelé à se réduire et le retour à un niveau de défaillances d’avant-crise va progressivement s’amorcer. La question est plutôt de savoir à quel rythme. Dès 2022, Euler Hermès anticipe 40 000 défaillances en France (+40 % vs 2021), et un retour aux alentours de 50 000 défaillances à partir de 2023. Malheureusement, je crains que la guerre en Ukraine ne vienne accélérer les défaillances d’entreprises comme les dossiers en amiable, mandats ad hoc et conciliations
KL : quoi qu’il advienne, Guillaume Cadiou a rappelé que l’État est prêt et sera au rendez-vous ! Un plan de résilience a été récemment présenté pour aider les entreprises à faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.
Mayday : avec un endettement accru du fait du PGE, le retour de l’inflation et des ruptures de matières premières, comment se présente le financement de la reprise ?
GC : Inflation, ruptures d’approvisionnement, il faut aussi compter avec les tensions géopolitiques actuelles, une augmentation du coût de l’énergie, les premiers remboursements des PGE, mais aussi des échéances de dettes à refinancer, LBO, Euro PP, unitranche, etc. Des risques planent également sur l’économie chinoise où la croissance n’est pas totalement au rendez-vous et où le Covid pourrait encore gripper les échanges et bloquer des chaînes de production. Aujourd’hui, nous ne savons par exemple pas quels seront les impacts d’éventuelles défaillances de grands promoteurs immobiliers chinois qui doivent faire face à des endettements considérables se chiffrant en centaines de millions de dollars.
Dans ce contexte, le président Gardon rappelle que le financement des investissements est le défi de demain. Ce sera d’autant plus difficile que les niveaux de fonds propres sont insuffisants. Si Hélène Bourbouloux rappelle que nous ne disposons pas d’instruments de renforcement des fonds propres, plusieurs pistes sont évoquées dans l’étude, notamment pour que les dirigeants actionnaires des entreprises à capitaux familiaux puissent trouver des solutions de renforcement de leurs fonds propres.
Face à cette crise, de nombreuses questions se posent : comment réagiront les banques face à ces risques ? Les fonds de private equity vont-ils devoir ralentir leurs investissements et dans certains cas être confrontés à des restructuration de certaines de leurs lignes en portefeuille ? Va-t-on connaître un développement des fonds dits de « situations spéciales » qui ne sont pas assez nombreux sur le marché français ? Ce qui paraît probable, c’est que cette crise ou plutôt ces crises accélèreront le phénomène de concentration sectorielle et peut-être aideront au développement des ETI hexagonales, c’est-à-dire d’un certain Mittelstand à la française. Un scénario qui permettrait à la fois de renforcer les entreprises fragilisées et de préserver notre souveraineté nationale.
Baudoin de Thoré : cette crise s’inscrit dans le contexte de la règlementation de Bâle IV qui est très stricte et qui impose que l’investissement en capital soit privilégié pour financer le risque. Va-t-on trouver les bonnes garanties pour sécuriser ces opérations ? Et comment vont se comporter les assureurs crédits ?
Matthieu Arnoux rappelle également que l’affacturage permet un accès au cash à des entreprises fragilisées par la crise et confrontées aux réticences des banques pour leur octroyer des lignes de financement classiques comme un découvert ou un crédit de campagne, lesquelles sont directement conditionnées par la qualité du bilan. Mais il faut l’anticiper dès maintenant…
KL : nos interlocuteurs évoquent en outre la nécessité pour les entrepreneurs de repenser leurs business models pour restaurer la profitabilité. Ils imaginent des instruments facilitant le renforcement des fonds propres et prévoient donc une forte période d’activité sur le marché des M&A, ouvrant à des consolidations sectorielles.
OdlP : dans cette période très particulière, où les conditions économiques évoluent rapidement et les effets de la guerre Ukraine ne sont pas encore totalement mesurables, la nécessité d’investir pour assurer la compétitivité de la France à l’international est donc un objectif majeur.
Propos recueillis par Lucile Guillerault