La crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19 et les mesures de confinement prononcées impactent fortement le fonctionnement de la plupart des entreprises et par conséquent leurs besoins en trésorerie. Pour aider les entreprises à passer cette crise, le gouvernement met progressivement en place des mesures d’urgence permettant aux entreprises de faire face à court et moyen terme à leur besoin de trésorerie. Par ordonnance du 27 mars 2020 (n° 2020-341), il a notamment adapté le droit des entreprises en difficulté à la situation actuelle. Audrey Molina, avocat associé, et Gwenaëlle de Girval, avocat chez Dentons nous livrent leur éclairage.
Le report de la date de cessation des paiements
Jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire qui, en l’état des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 n°2020-290, a été fixée à 2 mois après le début dudit état, soit le 24 mai 2020, l’état de cessation des paiements sera apprécié à la date du 12 mars 2020.
Concrètement cela signifie, par exception à ce que la loi prévoit et compte tenu des mesures urgentes mises en place :
- qu’une entreprise qui n’était pas en état de cessation des paiements le 12 mars 2020 mais qui le deviendrait après le 12 mars 2020 pourra solliciter l’ouverture d’un mandat ad hoc ou d’une sauvegarde alors que le critère légal d’absence de cessation des paiements n’est pas rempli ;
- qu’une entreprise qui était en état de cessation des paiements depuis moins de 45 jours le 12 mars 2020 et dont le délai de 45 jours expirerait postérieurement au 12 mars 2020 pourra solliciter l’ouverture d’une procédure conciliation alors que le critère légal d’absence de cessation des paiements depuis plus de 45 jours n’est pas rempli.
Elle disposera ainsi d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence (soit en l’état jusqu’au 24 août 2020) pour déclarer l’état de cessation des paiements de son entreprise le cas échéant.
Ceci permet au dirigeant de solliciter, le cas échéant si la trésorerie de l’entreprise le permet, l’ouverture d’une procédure de prévention (mandat ad hoc ou conciliation) afin notamment d’être assisté pour négocier avec ses principaux créanciers la restructuration de sa dette et de mettre en place toutes mesures permettant de pérenniser l’activité de son entreprise afin de faire face à cette crise sanitaire.
L’ouverture des procédures de prévention et collectives par voie dématérialisée
L’ouverture d’une procédure collective peut toutefois s’avérer nécessaire lorsque l’entreprise ne dispose pas de la trésorerie suffisante pour faire face à ses charges courantes, principalement le paiement des salaires.
En effet, l’ouverture d’une procédure collective permettra à l’entreprise de bénéficier de mesures protectives, telles que la prise en charge des salaires impayés par l’Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salaires (« AGS ») et le gel de ses créances antérieures.
Même si initialement les procédures collectives n’étaient pas considérées comme des mesures « urgentes » par le gouvernement, les professionnels du restructuring ont été entendus et l’ordonnance permet désormais que les actes par lesquels un débiteur saisit la juridiction soient remis au greffe par tout moyen. Une déclaration de cessation des paiements pourra donc être déposée par un débiteur par voie dématérialisée.
Par ailleurs, l’ordonnance prévoit (i) que le débiteur peut demander à être autorisé à formuler ses prétentions et ses moyens par écrit et (ii) que le Président du tribunal peut recueillir les observations du demandeur par tout moyen.
La loi pose ainsi les bases de l’ouverture des procédures de prévention et collectives et du suivi de celles-ci par voie dématérialisée sans audience physique. Il semble toutefois, notamment pour les ouvertures de procédures collectives, qu’une audience dématérialisée devra se tenir, ne serait-ce que pour respecter les règles liées à la convocation et l’audition des représentants du personnel, sauf peut-être avec l’accord de ces derniers et du parquet qui pourraient également adresser leurs observations écrites au tribunal.
En toute hypothèse, ceci ne devrait pas être une difficulté, la plupart des tribunaux français s’étant organisés pour permettre d’ouvrir, par exemple par le biais d’audiences dématérialisées, des procédures préventives ou collectives.
La prolongation de certains délais judiciaires
Sur ce point, il convient de retenir principalement qu’en l’état :
- Les périodes d’observation des procédures collectives en cours sont prolongées d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence augmentée d’un mois.
- Les plans de continuation ou de sauvegarde qui sont en cours d’exécution peuvent être prolongés d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence augmentée de trois mois, voire d’un an sur requête du ministère public.
- L’ordonnance adapte également les règles applicables aux procédures de prévention. Ainsi, les procédures de conciliation en cours sont prolongées d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence augmentée de trois mois. Ceci permettra aux entreprises de reprendre dès qu’elles le pourront leurs négociations avec leurs créanciers et partenaires en tenant compte des effets de la crise sanitaire.
Ces adaptations du droit des entreprises en difficulté s’ajoutent aux mesures d’urgences d’ores et déjà mises en place par le gouvernement pour aider les entreprises à faire face aux impasses imminentes de trésorerie, conséquences directes de la crise et du confinement, notamment :
- Les facultés offertes de report des échéances sociales et fiscales,
- La mise en place du chômage partiel,
- L’allocation d’une enveloppe de 700 millions d’euros pour permettre à la BPI de garantir (i) des nouveaux financements amortissables (crédit ou crédit-bail) à moyen ou long terme permettant notamment le renforcement du fonds de roulement ou la consolidation des crédits à court terme existants (« Fonds de garantie renforcement de la trésorerie Coronavirus ») et (ii) des nouveaux crédits à court terme confirmés sur une durée de 12 mois minimum à 18 mois maximum (« Fonds de garantie ligne de crédit confirmé Coronavirus »),
- L’allocation d’une enveloppe de 300 milliards d’euros pour permettre également à l’état, via la BPI de garantir de nouveaux crédits de trésorerie.
Cependant, tant ces mesures d’aides mises en place par le gouvernement que la plupart des mesures d’adaptation du droit des entreprises en difficultés ne sont que des outils temporaires permettant de faire face à l’urgence de la situation notamment liée au problème de trésorerie des entreprises. Il faut donc préparer la période post crise.
Pour ce faire, les entreprises disposent d’un outil pour les assister à préparer cette période à savoir l’ouverture d’une procédure de mandat ad hoc ou de conciliation rendue notamment possible grâce à l’assouplissement des règles liées à leurs conditions d’ouverture et à la fixation au 12 mars 2020 de la date d’appréciation de l’état de cessation des paiements et ce afin d’éviter une procédure collective.
Par Audrey Molina et Gwenaëlle de Girval