Alors que la crise sanitaire offre un répit estival, que nous espérons tous durable, Mayday propose un point d’étape des restructurations en Europe et des réponses apportées par leurs gouvernement pour en adapter leurs règles pendant cette période de pandémie. Les réponses des principales puissances économiques du vieux continent ont-t-elles été à la hauteur de l’enjeu ? L’Union Européenne a-t-elle eu l’occasion de montrer la pertinence de son modèle face à un Royaume Uni qui fait désormais cavalier seul ? La crise sera-t-elle à l’origine d’évolution juridique structurelle ? Eléments de réponse avec Guillaume Cornu, associé EY Restructuring France, Guilhem Bremond, David Ereira et Mei Lian, avocats associés de Paul Hastings à Paris et Londres, Avvti Stefano Parlatore, Daniele Geronzi, Marialuisa Garavelli et Sara Colombera, avocats associés chez Legance à Milan, Alexandra Bigot, Thomas Doyen, Frank Grell, Simon Baskerville, Yen Sum, Ignacio Gomez-Sancha, avocats associés et counsel chez Latham & Watkins à Paris, Londres, Hambourg et Madrid et Graham Lane, associé chez Willkie Farr à Londres.
Provoquées tantôt par les crises sanitaires comme la peste noire qui engendrera une récession évaluée à 23,5 % de l’économie anglaise selon les données de la Bank of England et la disparition d’environ 30 % des européens, des épisodes climatiques comme le petit âge glaciaire, des guerres et des crises bancaires, les tempêtes telle que celle de la crise actuelle ne sont pas nouvelles et l’Europe est un vieux continent qui n’affronte pas la première d’entre elles. Mieux armé qu’autrefois pour affronter les crises sanitaires, plus expérimenté et doté d’institutions étatiques et communautaires plus puissantes, l’Europe a pour l’instant contenu les conséquences sanitaires du virus et fait le choix de maintenir son appareil productif. A-t-elle pour autant été au rendez-vous ? Comment le Royaume-Uni a-t-il pu gérer la crise en plein Brexit ? Quels sont les enjeux de la reprise ? Quelles réformes et quels changements structurels faut-il anticiper ? Marquée par une chute de son PIB, autour des 8 % pour l’année 2020 sur l’ensemble du continent, corrélée d’une chute inattendue des faillites dans la majorité des pays et une explosion des dettes publiques, la crise n’a pas encore révélée tous ses enseignements. Pour y répondre, Mayday est partie faire un tour d’Europe à Londres, Paris, Berlin, Madrid et Milan.
Un soutien économique et une adaptation des droits
« L’Etat et les banques ont joué un rôle extrêmement positif dans cette crise » indique Guillaume Cornu. En effet, « on ne peut que saluer la réponse apportée par l’Etat français qui a fait preuve d’une grande réactivité et proposé des réponses fortes sans cesse renouvelées » appuient Alexandra Bigot et Thomas Doyen. Intervenant via les dispositifs d’aides financières et les modifications temporaires apportées au droit des entreprises en difficulté, l’Etat français a majoritairement décidé de solutionner « la crise actuelle par la dette, à travers le PGE » souligne Guilhem Bremond. Si ce fut « une mesure utile et salutaire, bien des sujets ont été repoussés et vont » donc « devoir être traités » ajoute l’avocat. Dans l’urgence, l’Etat semble avoir « acheté du temps, le temps de poser un diagnostic et de préparer la relance et le rebond, comme nous l’aurions fait pour n’importe quelle entreprise » complète Guillaume Cornu.
Face à des entreprises très endettées, va-t-on vers un trading de dettes ou un write off ? « La question de la restructuration des PGEs est inévitable » confirment Alexandra Bigot et Thomas Doyen. « Sous réserve d’une flexibilité accrue de la Commission Européenne, nous pensons que les PGEs pourraient être efficacement restructurés dans le cadre du nouveau régime qui émergera de la transposition de la directive car tout porte à croire, au regard de la garantie de l’Etat dont ils bénéficient que les PGEs devront être isolés dans une classe spécifique sur la base d’une communauté d’intérêts suffisamment distincte de celle des autres créanciers chirographaires exposé sur la totalité de leur créance » ajoutent les avocats.
Outre-Manche, si le gouvernement était critiqué, dans les premiers temps de la pandémie COVID 19, pour ne pas avoir réussi à contenir le virus suffisamment rapidement, Graham Lane fait remarquer qu’il s’est battu « pour trouver un équilibre entre les risques médicaux et les risques économiques ». En effet, comme l’indiquent Simon Baskerville et Yen Sum, la réponse du gouvernement « pour protéger l’économie, les entreprises et la vie des britanniques a été rapide, décisive et efficace dans son ensemble. » Comme tous les autres gouvernements européens “il s’est efforcé d’aider les entreprises à survivre au confinement en mettant en œuvre un certain nombre de mesures, dont le programme d’activité partielle, qui a permis de payer 80 % des salaires des employés (sous réserve d’un plafond numérique), et un soutien financier aux entreprises sous la forme de prêts garantis par l’État et de reports de la TVA. En outre, il a temporairement suspendu la capacité d’un créancier à entamer la liquidation d’un débiteur défaillant et la capacité d’un propriétaire à récupérer ses biens d’un locataire défaillant. Il est actuellement prévu que ces mesures temporaires restent en place jusqu’à l’été 2021 au plus tôt » rappelle Graham Lane. Les restrictions temporaires sur les demandes d’ouverture de liquidation ont récemment été prolongées au moins jusqu’à fin septembre.
A ces mesures financières et juridiques très importantes, Simon Baskerville et Yen Sum soulignent qu’a été accéléré « l’adoption par le Parlement des réformes de l’insolvabilité sur lesquelles il avait mené des consultations pendant près de cinq ans ». L’intention était d’introduire un régime semblable au chapitre 11 aux États-Unis et similaire aux réformes envisagées par la directive européenne sur les cadres de restructuration préventive. “Le plus gros changement a été l’introduction d’un plan de redressement, qui suit de près le plan amiable britannique (Scheme), mais qui permet l’application focée inter créanciers et à l’encontre des actionnaires (ce plan a été utilisé efficacement dans les restructurations qui ont sauvé des entreprises telles que Pizza Express, Virgin Atlantic, Virgin Active et Smile Telecomms au plus fort de la crise). Un autre changement permanent a été l’introduction d’un moratoire « pré-insolvabilité ». Toutefois, le champ d’application limité et les nombreuses exceptions au moratoire pré-insolvabilité (très éloigné du processus du chapitre 11) en limitent l’utilité pratique pour les sociétés de moyenne et grande capitalisation², et il n’a pas été largement utilisé depuis son introduction. Enfin, le législateur britannique a restreint de manière permanente l’utilisation par les fournisseurs de biens et de services des clauses contractuelles de résiliation pour cause d’insolvabilité. Cette restriction sera un outil utile pour aider davantage d’entreprises à survivre à travers les processus d’insolvabilité britanniques tels que l’administration« .
Également au chevet de son économie, « le gouvernement italien est intervenu avec des décrets d’urgence continus pour contraster l’effet de la pandémie, également au niveau économique, conformément au cadre temporaire sur les aides d’État et en accord avec ceux adoptés par d’autres pays, sur la base de financements aux entreprises et de la suspension de diverses institutions de droit civil et d’insolvabilité » soulignent les avocats de Legance. Parmi les interventions les plus impactantes, « on peut citer l’introduction de plusieurs régimes d’aide financière, la possibilité pour les employeurs d’utiliser les fonds sociaux (régimes de subventions salariales) en cas de suspension ou d’interruption des activités de l’entreprise, l’interdiction des licenciements, le report du paiement de certains impôts et des cotisations de sécurité sociale et la suspension de certaines procédures civiles et d’exécution. Le législateur est également intervenu dans le secteur de l’insolvabilité, avec des dispositions susceptibles d’avoir un impact à la fois à court et à long terme. L’intervention la plus radicale concerne probablement l’irrecevabilité des demandes de faillite et d’insolvabilité des grandes entreprises déposées entre le 9 mars 2020 et le 30 juin 2020, la possibilité de prolonger les conditions d’exécution de certain outils de restructuration (si ils ont déjà été approuvés) et la possibilité d’obtenir des reports exceptionnels des conditions de dépôt de ces outils de restructuration (s’ils sont en cours de négociation)« .
Il convient de noter que l’urgence Covid-19 a bouleversé la réforme de l’insolvabilité que l’Italie était prête à mettre en œuvre après de nombreuses années d’élaboration. En effet, l’une des premières décisions du législateur a été de reporter l’entrée en vigueur du nouveau Code de la crise et de l’insolvabilité au 1er septembre 2021, au lieu du 14 août 2020. Ce nouveau code abrogera et remplacera dans son intégralité l’actuelle loi italienne sur la faillite (décret royal n° 267/1942, tel que modifié par la suite).
Sur la base de ce qui précède, considérant que la situation n’est pas encore stabilisée, « il est possible d’imaginer d’autres reports, avec un impact clair sur le secteur de l’insolvabilité » pour Avvti Stefano Parlatore, Daniele Geronzi, Marialuisa Garavelli et Sara Colombora. « Il est également possible que le législateur décide de revoir les indicateurs de crise contenus dans le code qui obligent les entreprises à utiliser l’un des instruments qui y sont prévus ou qu’il veuille intervenir sur les aspects procéduraux du code, en fournissant des outils plus flexibles et plus rapides, pour aider les tribunaux à faire face au nombre élevé de requêtes qui est attendu » ajoutent-ils.
De l’autre côté du Rhin, Frank Grell met en avant la réaction rapide et forte de son gouvernement « en mettant à disposition des financements d’urgence (principalement sous forme de prêts d’État ou de prêts garantis par l’État) pour les entreprises touchées par les fermetures et autres impacts liés à COVID-19« . En outre, le gouvernement allemand a « suspendu l’obligation légale de déposer le bilan, une suspension qui a pris fin pour les cas d’illiquidité à partir du 30 avril 2021 » dans le but d’anticiper et prévenir un accroissement des faillites « et a permis à de nombreuses entreprises de survivre à la crise« . À long terme, la pandémie a incité le gouvernement allemand à accélérer la mise en œuvre de la directive de l’UE sur les mesures préventives de restructuration « en adoptant le StaRUG, qui établit un régime de restructuration extrajudiciaire et constitue un équivalent du régime britannique éprouvé du Scheme (en plus et en alternative aux procédures de restructuration judiciaire déjà établies) » ajoute l’avocat allemand.
L’économie espagnole a été la plus impactée de la zone euro en raison de sa dépendance à l’égard de certains des secteurs les plus touchés dans le domaine des services, en particulier le tourisme, le PIB a diminué de 11 % l’année dernière, ce qui représente la plus forte contraction depuis la guerre civile de 1936-1939. Dans ce contexte, « le gouvernement a réagi rapidement pour contrer les retombées économiques par diverses mesures, dont de nombreux prêts garantis par l’État qui ont été efficaces » précise Ignacio Gomez-Sancha. « Le gouvernement a également approuvé un plan de soutien à la solvabilité prévoyant des aides financières pour les entreprises sous la forme de capitaux propres ou de dettes convertibles, mais ce soutien a été perçu comme lent et difficile à obtenir, et les entreprises attendent toujours que cette recapitalisation se concrétise« . D’un point de vue juridique, la réponse du gouvernement à la crise a été assez efficace. Quatre différents amendements directs ou indirects à la loi espagnole sur l’insolvabilité ont donné aux débiteurs plus de flexibilité et de temps pour restructurer leur bilan. « En particulier, ces amendements : prolongent la période à l’issue de laquelle le dépôt de bilan est obligatoire, de deux mois à la fin de 2021 ; établissent que les pertes comptables pendant la pandémie ne seront pas prises en compte aux fins du « test des capitaux propres négatifs« ; permettent aux débiteurs de renégocier les CVA existants de manière favorable ; et permettent aux actionnaires d’apporter de nouveaux fonds sous forme de dette à une société sans être soumis au principe de subordination équitable. D’autres mesures comprennent une restriction sur les propriétaires qui résilient les baux ou exercent d’autres droits de recouvrement pour non-paiement de loyer, et la capacité d’imposer des congés temporaires« .
Si la majorité des mesures prises pour gérer la crise sont temporaires, les praticiens s’accordent dans l’ensemble à dire qu’un certain nombre feront durablement évoluer la loi. En France, « l’essor des audiences dématérialisées qui ne nécessitent pas forcément la présence « formelle » des protagonistes, les durées des plans qui sont déjà ajustées grâce aux dispositions dites « Covid-19 » mais qui devront l’être au-delà et dans un cadre légal plus stabilisé, la simplification des mécanismes de debt to equity swap pour assainir la situation bilancielle des entreprises fragilisées » sont des points qui devront être introduit durablement pour Guilhem Bremond.
Si pour Graham Lane « la boîte à outils du droit de l’insolvabilité britannique était déjà relativement sophistiquée avant la pandémie« , cette dernière a accéléré la mise en œuvre par le gouvernement britannique de nouvelles lois sur la restructuration notamment le plan de restructuration (ou « super-scheme ») et les procédures de moratoire autonome « qui avaient fait l’objet de consultations au cours des années précédentes. Le nouveau plan de restructuration permet à une entreprise en difficulté financière de proposer un accord sur sa dette financière d’une manière similaire au plan amiable, mais avec l’avantage supplémentaire d’un » cram down » inter-classes. Bien qu’il soit toujours possible d’apporter des améliorations (par exemple, le nouveau moratoire autonome contient des restrictions qui limitent son efficacité pour la plupart des restructurations financières importantes) et que le Brexit ait entraîné des complications supplémentaires (par exemple, la reconnaissance par l’UE des insolvabilités et des plans d’arrangement (scheme)/de restructuration britanniques), je pense que la boîte à outils actuelle du Royaume-Uni en matière d’insolvabilité et de pré-insolvabilité reste compétitive. Il sera intéressant de voir quel levier le gouvernement britannique pourra exercer dans les restructurations futures en sa qualité de créancier dans le cadre des prêts de soutien COVID. La principale évolution que nous sommes susceptibles de voir est dans le contexte de la reconnaissance transfrontalière, qui est devenue plus urgente en raison de la pandémie et du Brexit« .
Une reprise de l’économie aussi brutale que la décélération
Très endettées, les entreprises se réveillent convalescentes d’une mise en sommeil forcée. Certes, « il y a beaucoup de fragilité dans les entreprises, mais on a évité une catastrophe économique » souligne Guillaume Cornu, et « je ne vois pas comment il aurait été possible de faire autrement ». Réveillant des économies qui avaient été mises en hibernation, Guilhem Bremond estime que « l’Etat devra veiller à poursuivre ses efforts sur le long terme et surtout comprendre les situations au cas par cas. Les enjeux se situeront dans le tri à faire entre les entreprises qui peuvent sérieusement se redresser, et celles qui n’ont été que maintenues artificiellement en vie ». A ce titre, la gestion du cash restera essentielle surtout au moment de la reprise économique, qui devrait être, « comme dans tout retournement, particulièrement consommatrice de trésorerie » insistent Alexandra Bigot et Thomas Doyen. Si cet enjeu n’est pas nouveau, il est décuplé par l’effet de la crise sanitaire : d’une part les « entreprises sont riches en trésorerie car elles ont dans un premier temps bénéficié de toutes les aides d’Etat et autres rééchelonnements de dettes diverses, mais elles ont aussi réduit leur BFR en écoulant leurs stocks et encaissant leur compte clients Il va falloir reconstituer ce BFR et surtout le financer » rappelle Guillaume Cornu, et d’autre part, elles ont en France une « insuffisance structurelle des fonds propres » soulignent les avocats parisiens de Latham & Watkins. Une fois les effets du dispositif Covid estompés, il va falloir consolider le bilan de nombreuses sociétés fragiles. Et si, compte tenu de l’importance des liquidités à placer sur le marché, notamment pour les fonds anglo-saxons, « des solutions devraient être trouvées pour les ETI et les grandes entreprises, via notamment la conversion de dette au capital » la situation parait plus complexe pour les petites entreprises. Globalement, il est possible de s’attendre à ce qu’on observe « moins d’amend and extend et plus de stress ou distress M&A ou de prise de contrôle du capital par les créanciers » estime Guillaume Cornu qui observe d’ailleurs que les banques demandent de plus en plus d’avoir une vision stratégique de l’entreprise au-delà de l’audit des chiffres. Et au-delà du phénomène de rattrapage dû à un taux d’épargne élevé et d’importantes liquidités sur le marché, « beaucoup s’accordent à dire que la croissance pourrait durablement rester faible après une reprise soutenue à court terme de sortie de crise sanitaire » rappelle l’associé d’EY. Face à ces incertitudes, « il ne faut pas se limiter aux chiffres et à la finance, mais il faut y intégrer une analyse stratégique et opérationnelle solide du plan de retournement pour avoir une idée de ce que peut être la topline demain et les leviers d’optimisation de la rentabilité. De fait, nous sommes amenés de plus en plus souvent à étudier tous les scenarios envisageables en même temps » insiste l’expert financier.
Bien que Grahame Lane rappelle qu’il est également encore « trop tôt pour mesurer le véritable impact de la pandémie sur l’économie britannique« , Simon Baskerville et Yen Sum estiment que « la reprise économique du Royaume-Uni devrait être relativement forte à moyen terme, tout en offrant des opportunités à court terme aux investisseurs ». Outre-Manche, comme en France et partout en Europe, « les niveaux élevés d’épargne des ménages accumulés au cours des 12 derniers mois laissent présager un fort rebond de la consommation dans certains secteurs concernés, et les importants plans de relance publics au Royaume-Uni, dans l’UE et aux États-Unis, associés à l’appétit des investisseurs pour le rendement, conduisent déjà les marchés à intervenir pour financer et sauver des entreprises et des sociétés qui auraient autrement été confrontées à des déficits de financement et à une insolvabilité potentielle ». Il y a en effet « énormément de liquidités tant sur le marché de la dette que du private equity » confirme Guillaume Cornu qui observe un marché de la transaction euphorique. Cela étant, il est aussi possible que les redressements rapides s’essoufflent rapidement et, compte tenu des arriérés d’impôts, de loyers et des prêts garantis par le gouvernement britannique, il pourrait y avoir une augmentation significative des restructurations et des faillites. De ce point de vue, « à moyen et long terme, les entreprises de toutes tailles devront faire face à un effet de levier excessif et à des coûts d’intérêt encourus pendant la crise » confient les avocats londoniens de Latham & Watkins qui ajoutent par ailleurs que « le gouvernement consulte sur la manière de traiter la relation entre ces propriétaires qui n’ont pas reçu de loyer pendant plusieurs mois pendant la crise et les locataires qui ont accumulé une facture importante pour ces loyers impayés mais ont besoin d’un peu de temps pour redémarrer leur activité et reconstituer leurs bénéfices. La solution n’est pas encore finalisé, mais la législation qui entrera prochainement en vigueur pourrait inclure une forme de de moratoire« .
La question se pose de la même manière en Allemagne où beaucoup des entreprises qui ont accepté des prêts de l’État ou garantis par l’État dans le cadre des mesures de financement d’urgence auront des difficultés à les rembourser. « Cette difficulté est susceptible de donner lieu à la nécessité d’une restructuration même dans les cas qui bénéficient de la reprise prévue » insistent les avocats de Latham Allemagne.
En Italie, les mesures adoptées par le gouvernement italien ont également été « en mesure d’atténuer – au moins temporairement – les conséquences économiques de la pandémie« . Mais l’économie italienne, « déjà accablée par de faibles niveaux de croissance, devra faire face à la suppression progressive des mesures de soutien d’urgence adoptées jusqu’à présent » rappellent les avocats du cabinet Legance. Dans ce contexte, la mise en place d’outils de gestion de crise adéquats est donc nécessaire et apparaît comme le plus grand défi. A cet égard, une révision appropriée du nouveau Code de la crise et de l’insolvabilité et la mise en œuvre de la directive (UE) 2019/1023 « relative à des cadres de restructuration préventive, à l’apurement des dettes et aux déchéances de droits, ainsi qu’à des mesures visant à accroître l’efficacité des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement des dettes », constitueront deux moments essentiels sur la voie du redressement.
En Espagne, la rapidité de la reprise dépendra en partie de l’ouverture du secteur du tourisme et du moment où il se rétablira complètement. Par ailleurs, comme le fait remarquer Ignacio Gomez-Sancha « l’Espagne est le deuxième plus grand bénéficiaire après l’Italie du fonds de relance de l’Union européenne, et a déjà commencé à allouer des ressources à des projets. Mais il y a eu des retards dans la distribution des fonds, que l’Espagne espère maintenant voir arriver à la fin de l’année. Ce retard repoussera l’essentiel de l’impact économique à 2022. Les banques espagnoles sont parmi les moins bien capitalisées d’Europe, et il pourrait y avoir une résurgence des prêts non performants dans un avenir imminent, en particulier lorsque le soutien du gouvernement commencera à se résorber« .
Des systèmes de traitement des difficultés qui ont montré leurs forces et leurs faiblesses
« La confidentialité des procédures amiables, leur souplesse et les passerelles existantes avec des procédures collectives accélérées s’avèrent des outils efficaces » en droit français indiquent Alexandra Bigot et Thomas Doyen. Par ailleurs, « l’existence de la profession réglementée des administrateurs judiciaires, garante de leur indépendance, est également une spécificité française et un réel atout » ajoutent les avocats de Latham & Watkins tout comme « l’existence et le fonctionnement des juridictions consulaires » complète Guilhem Bremond.
En revanche, Alexandra Bigot et Thomas Doyen pointent « l’absence d’une véritable culture de la transparence et de la négociation avec l’ensemble des acteurs impliqués dans les dossiers de procédure collectives » comme le principal point faible. Un point qui pourrait être corrigé par « la réforme attendue pour juillet [qui] va changer la donne » souligne Guilhem Bremond.
A Londres, première place financière mondiale, « la boîte à outils en matière de restructuration et d’insolvabilité est relativement bien équipée et je m’attends à ce qu’elle soit suffisamment flexible et adaptée pour aider à la reprise économique » assure Grahame Lane. « Le plan d’arrangement (scheme) et maintenant le plan de restructuration offrent un outil très souple, adaptable et créatif pour restructurer les grandes entreprises en dehors de l’insolvabilité formelle, ce qui s’est révélé très intéressant » confirment David Ereira et Mei Lian. A celà s’ajoute « un système judiciaire centralisé et fort qui fournit des jugements rapides basés sur un large corpus de lois fondées sur des précédents, fournit la flexibilité nécessaire pour traiter les restructurations de bilan d’une manière rapide, ciblée et prévisible, avec un impact négatif limité sur l’activité et les opérations d’une société » relèvent Simon Baskerville et Yen Sum.
Cela étant, un chaînon manquant essentiel dans cet environnement post-Brexit est l’incertitude concernant la reconnaissance des procédures de restructuration et d’insolvabilité britanniques en Europe. A ce titre, le Brexit, couplé à un manque de coopération sur la reconnaissance future, comme l’opposition de la Commission européenne à la demande du Royaume-Uni de réintégrer la Convention de Lugano, « pourrait faire du Royaume-Uni un forum moins attractif pour les restructurations cross-border d’entreprises européennes. Toutefois, le principe de droit anglais selon lequel les dettes régies par le droit anglais ne peuvent être renégociées que par un processus de droit anglais (connu sous le nom de règle dans Gibbs du nom de l’affaire éponyme) est susceptible de garder les avocats et les tribunaux anglais occupés dans les restructurations impliquant des dettes de droit anglais. D’une manière ou d’une autre, il semble que l’on s’achemine vers des procédures parallèles potentiellement coûteuses, requises pour les restructurations au Royaume-Uni et dans l’UE » expliquent les associés de Londres de Latham & Watkins.
En Allemagne, certes, il faut noter que « le nouveau régime allemand (StaRUG) présente un nouvel instrument pour traiter les questions de restructurations financièrse importantes et complexes à venir » fait remarquer Frank Grell. Cependant, « dans la mesure où il existe un besoin de restructuration opérationnelle, notamment en raison d’effets perturbateurs, la procédure dite d’autogestion (l’équivalent du chapitre 11 du code américain des faillites dans la législation allemande sur l’insolvabilité) constitue un outil bien établi qui pourrait bien connaître une renaissance parallèlement à l’utilisation accrue des instruments extrajudiciaires« .
En Italie, le chaînon manquant réside dans l’absence d’un mécanisme d’alerte précoce pour anticiper l’insolvabilité et dans la lourdeur, la longueur et la rigidité excessives des instruments de restructuration disponibles pour les entreprises sous-performante ou en état d’insolvabilité. « La législation actuelle prévoit effectivement des instruments pour redresser une entreprise en crise ou insolvable, mais ne prévoit aucun instrument pour prévenir l’émergence de la crise ou de l’insolvabilité » font remarquer les avocats de Legance. Bien qu’un premier pas en avant dans ce sens ait été fait avec le nouvel article 2086 du Code civil, en vigueur depuis mars 2019, qui a introduit un système de prévention des crises au sein de l’entreprise, basé sur les obligations de surveillance et d’intervention des administrateurs, qui est complété dans les cas graves d’inaction de ces derniers, avec la plainte à la Cour par les auditeurs. « Cette lacune dans le système réglementaire devrait être comblée avec l’entrée en vigueur du nouveau Code de la crise et de l’insolvabilité, cependant, comme indiqué ci-dessus, il existe des doutes sur l’efficacité réelle et l’adéquation du mécanisme qui y est prévu pour faire face correctement à la crise d’aujourd’hui » précisent les avocats italiens. Quant au maillon fort du système juridique italien en matière d’insolvabilité, « semble être la variété des instruments et des solutions de restructuration à la disposition des entreprises. En effet, les entreprises en difficulté peuvent accéder à différents schémas et solutions, avec des degrés variables d’intervention et d’interférence des tribunaux et des créanciers et avec différents résultats possibles« .
Du côté de la péninsule ibérique, « le point le plus fort est la réglementation de l’Homologación (l’équivalent du plan amiable espagnol), qui s’est avérée efficace » indique Ignacio Gomez-Sancha. « Le chaînon manquant réside dans le fait que si l’homologation est contestée par des créanciers récalcitrants, il peut s’écouler jusqu’à un an avant que la contestation ne soit résolue, ce qui crée une grande incertitude. En outre, les tribunaux espagnols sont engorgés, ce qui rend les processus de pré-insolvabilité et d’insolvabilité beaucoup plus lents que souhaité« .
Le Brexit, une menace ou une opportunité pour gérer la crise ?
Il n’y a pas de réponse simple à cette question, la réponse est « ça dépend« , selon Graham Lane. « Il est trop tôt pour que des facteurs invalidants majeurs se soient manifestés, mais je peux citer quelques exemples où le Brexit semble n’avoir fait soit aucune différence perceptible. Prenons les aides d’État comme exemple de la première catégorie : alors que le Royaume-Uni était encore soumis à l’accord de transition en 2020 et donc lié par les règles de l’UE sur les aides d’État, l’UE a suspendu ou modifié ses règles en réponse à la pandémie pour permettre aux États membres de soutenir financièrement les entreprises clés. En raison de l’accord de commerce et de coopération (ACC) entre l’UE et le Royaume-Uni, les règles relatives aux aides d’État au Royaume-Uni resteront probablement globalement les mêmes après le Brexit, du moins à court terme« .
Une transposition de la directive attendue
En France, les praticiens attendent avec impatience cette réforme. « Les systèmes de classes permettront de répondre à un objectif essentiel et trop absent dans notre droit actuel : la prise en compte de la vraie valeur de l’entreprise. Avec le futur système, et pour simplifier, seuls les créanciers dans la monnaie auront leurs voix au chapitre. Il réparera certaines incongruités que nous, praticiens, avons pu voir passer ces dernières années » souligne à ce titre Guilhem Bremond. En effet, la valeur de l’entreprise sera au cœur du débat, confirment Alexandra Bigot et Thomas Doyen qui rappellent que « Les principales modifications sont bien connues et ont été largement commentées dans l’attente de la transposition finale de la directive : il s’agit bien entendu de (i) l’introduction de classes de créanciers constituées en fonction de la nature de la créance (notamment au regard des sûretés qui y sont attachées et de son rang de remboursement) et d’une communauté d’intérêts suffisante, et et (ii) du mécanisme d’application forcée interclasses (cross-class cram down) », les avocats de Latham & Watkins précisant que « ces dispositifs, couplés à d’autres nouveautés issues de la directive, sont plus respectueux des droits financiers et juridiques des créanciers et devraient permettre de renforcer outre la transparence, l’efficacité économique des plans de restructurations ». « On se rapproche du modèle anglo-saxon qui prend plus en considération le créancier, avec une analyse des dossiers beaucoup plus par la valeur de l’entreprise que seulement par sa capacité de cash-flow prévisionnelle permettant de servir sa dette » souligne Guillaume Cornu.
Il convient de noter que l’Italie a demandé à la Commission européenne un report d’un an du délai de mise en œuvre de la directive européenne. Ce n’est que le 20 avril 2021 que le Parlement italien a approuvé une loi déléguant au gouvernement italien la mise en œuvre d’une série de directives européennes, dont la directive européenne sur les restructurations. Pour les avocats de Legance, « ceci, combiné au fait que le nouveau Code de la crise et de l’insolvabilité est encore en cours de réalisation, il est difficile d’envisager comment la directive européenne sera mise en œuvre et comment notre cadre juridique actuel changera« .
Toutefois, le code de la crise et de l’insolvabilité – qui devrait bientôt remplacer la loi italienne sur la faillite – a déjà adopté certains des principes de la directive et il ne faut pas s’attendre à des changements spectaculaires.
Sur la base du contenu de la directive européenne en question, par opposition à la loi italienne sur la faillite actuellement en vigueur et au nouveau code de la crise et de l’insolvabilité qui devrait entrer en vigueur au cours de l’année prochaine, les évolutions porteront sur les points suivants :
– l’amélioration du système d’alerte précoce, notamment en prévoyant la participation des parties prenantes au processus, et en particulier des représentants des travailleurs, ce que la directive européenne exige et que notre législateur n’a pas encore envisagé ;
– l’amélioration de l’efficacité et de la flexibilité des systèmes de restructuration, en particulier de ceux qui doivent être mis en œuvre à l’amiable, qui, à l’heure actuelle, ne sont pas particulièrement considérés », rappellent les avocats.
En Allemagne, la transposition de la directive communautaire en droit allemand permet la restructuration extrajudiciaire par le biais d’une modification des contrats de crédit i.e. avec une majorité de 75% dans le groupe de créanciers concernés (ou dans le cas d’une application forcée i inter-classes par une majorité de classes de créanciers approuvant le plan chacune à la majorité de 75%). « Cela offre une option viable pour des restructurations financières peu invasives, alors que les restructurations opérationnelles sont susceptibles de nécessiter une procédure judiciaire » a déclaré Frank Grell.
Par ailleurs, la transposition de la directive européenne introduira des changements fondamentaux dans la réglementation espagnole en matière d’insolvabilité. A ce titre, Ignacio Gomez-Sancha fait remarquer en particulier que « la règle de la « priorité absolue » dans l’homologation des accords de refinancement, selon laquelle aucune valeur ne peut être attribuée à un créancier junior tant que tous les créanciers plus seniors n’ont pas été intégralement remplis de leurs droits, et la possibilité de voter par classes (pas seulement les créanciers garantis et non garantis) nous rapprocheront de certaines autres juridictions de l’UE« .
Alors que le Royaume-Uni de son côté a quitté l’Union Européenne, les avocats anglais de Latham & Watkins anticipent « peut-être y aura-t-il une lente « ré-évolution » vers la conclusion d’un accord sur la reconnaissance mutuelle des procédures d’insolvabilité entre le Royaume-Uni et l’UE (partenaires commerciaux importants et voisins) semblable à ce qui a été perdu par le processus de retrait« . Ce qui est sûr c’est que « le Royaume-Uni devra faire appel au talent de la communauté juridique au Royaume-Uni et dans les États membres de l’UE pour trouver des solutions viables pour la reconnaissance des procédures d’insolvabilité impliquant des entreprises ayant des opérations et des intérêts importants au Royaume-Uni et dans les États membres de l’UE » soulignent-ils. Un appel lancé à leurs homologues européens pour que les ponts demeurent solides entre nos pays si proches.
Par Cyprien de Girval