Avec un PIB planétaire qui s’est contracté de 4 % en 2020 selon la banque mondiale et une récession en France annoncée autour des 10 %, l’augmentation des défaillances à laquelle il était raisonnable de s’attendre n’a pas eu lieu. Bien au contraire, cette récession s’accompagne d’une forte baisse des procédures collectives, dont l’impact sur 2021 reste encore à déterminer. Presque un an après la déclaration de guerre faite à la Covid 19 par le président Emmanuel Macron, Mayday a souhaité mener une enquête auprès de professionnels du retournement afin de dresser un premier bilan d’une année qui ne ressemble à aucune autre et qui ne nous a pas encore livré tous ses enseignements.
Nous sommes mi-mars 2020, la France est sous le choc et apprend par une allocution présidentielle qu’elle va vivre confinée. Après les écoles et de nombreuses entreprises, les juridictions ne font pas exception à la règle et ont, dans un premier temps, été contraintes de ralentir, voire de stopper toute activité.
Une réponse à l’urgence par les ordonnances « Covid »
Face à l’urgence, la justice se digitalise et tient, pour la première fois de son histoire sans doute, des audiences en visio-conférence. Dominique-Paul Vallée, juge consulaire au Tribunal de commerce de Paris et délégué général à la prévention-traitement, rappelle qu’après un certain flottement, ils ont finalement pu « tenir [leurs] entretiens d’ouverture et de suivi des procédures en visio, échanger et signer des documents en mode numérique ». Un point très important pour le magistrat consulaire, confirmé par son collègue, Patrick Coupeaud, délégué général au Traitement des Difficultés des Entreprises (TDE), qui précise que 70 audiences en visio se sont tenues du 1er avril au 10 août 2020 permettant de traiter « en particulier toutes les déclarations de cessation des paiements, pour la plupart déposées au greffe de façon dématérialisée, et de poursuivre ainsi [leur] mission ».
Dès lors, gagner du temps et traiter les urgences deviennent les priorités des décideurs publics et plusieurs ordonnances aménageant le droit des entreprises en difficulté sont venues compléter le dispositif d’aides déjà en place. Il devient alors possible :
- d’imposer un standstill pendant la durée de la conciliation, qui a elle-même été étendue à 10 mois. Une mesure qui aura permis « de faire preuve d’une meilleure compréhension de la situation » estiment Laurent Assaya et Grégoire Charlet, avocats chez Vivien & Associés ;
- de proroger le plan sur une durée de deux ans à la demande du parquet ou du commissaire à l’exécution du plan. S’il « aurait été opportun que le législateur prévoit une possibilité de prorogation automatique du plan sur cette même durée de deux ans, afin d’éviter un engorgement des tribunaux de ce type de demandes » soulignent Hélène Bourbouloux, Charlotte Fort et Théophile Fornacciari, administrateurs judiciaires associés chez FHB, il s’agit d’une mesure importante pour laquelle Patrick Coupeaud confirme avoir « dû organiser des audiences spéciales “Modification de plan” depuis le mois de septembre 2020 et [avoir] depuis lors traité près de deux cents requêtes » ;
- de présenter un plan de redressement sur la base du passif « vraisemblable » ou « passif comptable » et non plus seulement du passif déclaré rappelle Eric Etienne-Martin, administrateur judiciaire associé chez AJUP. Ce qui apportera « une véritable flexibilité au débiteur» saluent François Kopf et Mathieu Della Vittoria, avocats associés chez Darrois, même s’ils regrettent l’absence de définition du passif « vraisemblable ». Faut-il, dès lors, mettre en place « une prise en compte du passif évalué sur la base d’une déclaration de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes pour la démonstration de la capacité de l’entreprise à honorer son plan afin d’éviter qu’une déclaration fantaisiste ne vienne bloquer l’arrêté d’un plan » comme le préconisent les associés d’FHB ?
Aussi, il y a lieu de souligner que ces mesures font la part belle à la procédure de conciliation qui offre « une grande efficacité en ce qu’elle permet la négociation avec l’ensemble des créanciers sans l’épée de Damoclès de l’exigibilité d’une dette ou de la clause résolutoire pour un bail » relève le magistrat parisien et cela plutôt au détriment du mandat ad hoc
Une tendance à la hausse des traitements amiables des dossiers ou une judiciarisation de ceux-ci ?
Si les avocats de Darrois, tout comme les administrateurs judiciaires d’FHB, ont constaté une hausse des recours à la conciliation avec des profils nouveaux de sociétés très peu endettées ou peu bancarisées, ou des sociétés de tailles significatives qui n’étaient jusqu’à présent que rarement concernées par ce type de procédures, pour Dominique-Paul Vallée, c’est la publicité faite autour de l’efficacité de l’article 2 de l’ordonnance du 20 mai 2020[1] qui a fait venir à la conciliation des entreprises qui, en temps normal, auraient essayé de négocier seules leur « pacte d’atermoiement » avec leurs créanciers. « En effet, ces dernières réalisent la possibilité de demander sur requête au juge qui a ouvert la conciliation de suspendre les mesures d’exécution et d’interdire ou d’interrompre les actions en justice, force indéniable de la conciliation ».
C’est ainsi qu’au Tribunal de commerce de Paris a été enregistré depuis plusieurs semaines « un regain d’intérêt pour la conciliation avec une très forte focalisation de la conciliation sur les créanciers récalcitrants avec utilisation de l’article 2, en menace ou en réalité, pour les amener à la table de négociation ».
Cela étant, ces données doivent être mises en perspective avec « la baisse significative des procédures collectives qui mécaniquement mettent en avant les procédures amiables » rappellent les avocats de Vivien & Associés.
Au-delà des chiffres des premiers trimestres 2020, la tendance pour 2021 est encore difficile à percevoir. Néanmoins, « l’afflux de cash injecté par le biais de plan de soutien et des PGE a diminué de façon importante le nombre de procédures préventives » pour Eric Etienne-Martin et « la prise de conscience du poids de la dette a commencé d’émerger fin 2020 et la sauvegarde sous toutes ses formes (financière, accélérée…) sera sans doute un outil utilisé ».
Ce mouvement s’accompagne également d’une judiciarisation du traitement des difficultés qui obéit à une tendance plus structurelle et qui pourrait concerner les entreprises qui se sont vues refuser le PGE ou celles qui ne disposaient pas du temps suffisant pour mettre en œuvre une solution amiable au vu des besoins de cash immédiat.
L’assouplissement de la reprise de sociétés en plan de cession par leurs dirigeants
Désireux de ne pas sanctionner davantage le dirigeant d’une entreprise subissant des mesures administratives, le législateur a également mis en place une autre mesure phare qui fera couler beaucoup d’encre : il facilite la reprise d’une entreprise par ses dirigeants. Cette faculté, qui existait déjà mais dans des conditions bien plus restreintes, fut notamment utilisée dans les dossiers Alinéa, Phildar ou encore Orchestra-Premaman.
Si le dispositif a été salué par beaucoup, il n’est pas sans garde-fou. Patrick Coupeaud rappelle qu’il « est particulièrement clair pour notre tribunal que les juges doivent alors veiller à ce que le plan de cession proposé ne soit pas seulement l’occasion, pour le débiteur, d’effacer les dettes de son entreprise et de réduire ses effectifs en présentant lui-même, ou par personne interposée, une offre de reprise. Les juges doivent notamment apporter une attention spéciale à la préservation des emplois, seule condition posée par le texte ». Il faut donc compter sur la sagesse des tribunaux pour que les décisions rendues soient les bonnes.
Si son application a pu parfois être critiquée, elle a une « véritable cohérence quand il s’agit de sauver le tissu industriel français » souligne Nicolas Morelli, avocat associé chez Bird & Bird, comme ce fut le cas dans le dossier Phildar où elle a permis à ses clients composant le management de l’entreprise qui venaient d’arriver aux postes, de reprendre et faire perdurer l’activité de la société.
Le dossier Orchestra-Premaman qui a opposé Pierre Mestre, dirigeant actionnaire et candidat repreneur au groupe saoudien Al Othaim, fut l’objet d’intenses discussions juridiques. Faut-il limiter cette possibilité de reprise au cas où « la cession envisagée est en mesure d’assurer un nombre supérieur d’emplois par rapport aux offres concurrentes ou bien en l’absence de tout repreneur conduisant à la liquidation judiciaire de l’entreprise» comme le préconisent François Kopf et Mathieu Della Vittoria, conseils d’Al Othaim ?
Quoi qu’il en soit, les administrateurs judiciaire d’FHB estiment qu’il faudrait « pérenniser ce dispositif qui n’évite pas un contrôle de tribunal mais facilite simplement l’accès au tribunal pour présenter cette alternative », quand Eric Etienne-Martin de son côté plaide pour que « le dispositif puisse continuer à s’appliquer, mais en le limitant aux entreprises dont l’endettement est lié à la crise Covid par exemple dont le fait générateur est sur l’exercice 2020 (c’est-à-dire celles dont le fait générateur est né en 2020) ».
Les statistiques de 2020 concernant les entreprises en difficulté
A cette crise qui ne ressemble à aucune autre, s’ajoute une donnée contre-intuitive qu’il convient d’analyser. En effet, si l’on constate une baisse importante du nombre de faillites sur le deuxième trimestre 2020, il est relevé en parallèle une augmentation du nombre d’emplois menacés sur la même période laissant entendre que le large cap a été plus concerné par les difficultés.
Et même si Dominique-Paul Vallée relève pour le dernier trimestre 2020 un accroissement des demandes d’ouvertures de procédures, essentiellement de conciliation (plus de 80%), on observe que « le “tsunami” de dépôts de bilan annoncé par de nombreux médias pour l’automne 2020 ne s’est pas produit ! » rappelle Patrick Coupeaud. Ce qui nous invite à ne pas sombrer dans le « catastrophisme ».
Au-delà des chiffres, il y a lieu de noter que la crise a provoqué une accélération des dossiers. Les entreprises qui étaient déjà en difficulté lorsque la crise est survenue et qui n’ont pas obtenu de PGE ou dont l’octroi était trop lent par rapport au besoin de cash immédiat, n’ont pas pu faire face. Cela a été le cas de Courtepaille par exemple. D’autres entreprises qui étaient déjà en procédure lorsque le confinement a été mis en place, telles que Technicolor, Celio ou encore La Halle, avaient des chances de s’en sortir dans un cadre amiable avant la crise mais leurs besoins de cash trop urgents les ont poussés à la cessation des paiements et les ont donc contraints à solliciter l’ouverture de procédures collectives. « La solution judiciaire a donc largement permis d’accélérer le déploiement de la solution comme ce fut le cas pour Europcar » rappelle les associés d’FHB.
Ainsi, si la première phase de la crise a été contenue avec « l’octroi par les banques des PGE » pour certaines entreprises et l’ouverture de procédures collectives suivies de plan de cession pour d’autres, il faut se préparer à une deuxième étape qui pourrait être plus violente, celle « de la restructuration des PGE dont certains ne pourront pas être honorés si la reprise n’est pas suffisamment rapide » indique Nicolas Morelli.
2020, une année folle et des dossiers marquants
Pour faire face à ce contexte inédit, les praticiens du retournement n’ont manqué ni d’énergie, ni de créativité. Quand à Lyon, AJUP gérait la cession de Famar, dernier fabricant français de chloroquine, en pleine explosion de la demande, le Tribunal de commerce de Paris devait statuer sur la cession de Bio C Bon à Carrefour et d’Ymagis à son dirigeant avec une structure de groupe particulièrement difficile à appréhender.
Au palmarès des dossiers les plus marquants de cette année, le dossier Novares figure dans le peloton de tête en ce qu’il a permis l’adoption d’un plan de redressement en 4 semaines au bénéfice de l’équipementier, « une entreprise qui allait bien avant le Covid, mais qui a été tellement impactée qu’elle s’est retrouvée avec un besoin de financement immédiat et extrêmement important » rappelle Hélène Bourbouloux.
La restructuration d’Europacorp SA où, par la mise en œuvre d’une procédure de sauvegarde au bénéfice d’une société américaine, il a été fait « l’application inversé du mécanisme habituel d’une procédure de chapter 11 sur une société française » fait remarquer Jean-Pierre Farges, avocat associé chez Gibson Dunn, fut également remarquable.
A côté, d’autres dossiers comme celui de Technicolor où « le plan de sauvegarde financière accélérée a été finalisé et approuvé par le Tribunal dans un délai record de trois semaines avec une refonte complète des documents de financement, en ce compris la modification de la documentation existante et la production de documents de financement additionnels en droit français, anglais et de New-York » rappellent les avocats du cabinet Gibson Dunn conseils des prêteurs, est également « un bon exemple de restructuration financière dans un délai record » souligne Hélène Bourbouloux. Un dossier qui fut « un très bel ouvrage avec une articulation au cordeau des procédures françaises et américaines » rappelle Laurent Assaya, et qui mérite donc d’être mis en avant.
Et ce, sans oublier la restructuration d’Europcar, qui est peut-être « l’opération la plus importante et emblématique de l’année car ses enjeux politiques et sociaux étaient majeurs et sa technicité d’une singulière complexité » estime François Kopf, même si, bien entendu, la liste des dossiers de l’année 2020 ne serait se limiter à ceux-là, tant il nous est impossible d’en faire une présentation exhaustive.
2021, l’année de toutes les inconnues
Si gouverner c’est prévoir, il semble difficile d’être le capitaine en 2021. Alors que la crise de 2008 « était une crise financière, celle-ci est sanitaire et économique » rappelle Eric Etienne-Martin. Elle « touche à l’exploitation » insistent les associés d’FHB.
« D’une vision d’amend and extend sur la dette qui a conduit les restructurations à partir de 2008 » Guillaume Cornu, en charge de la pratique restructuring chez EY se « prépare à une restructuration qui passera par un renforcement des fonds propres et souvent par un changement d’actionnaires ». En effet, si « les créanciers ne sont plus les mêmes, ces derniers vont davantage aujourd’hui regarder les dossiers avec l’angle de la valeur de l’entreprise, n’hésitant pas à en prendre le contrôle » prévient-il.
Y compris dans les sociétés dont les titres ont été admis sur un marché financier ? La question se pose pour Laurent Assaya qui estime que la protection offerte pour protéger les « petits-porteurs semble encore trop favorable par rapport aux créanciers, alors qu’il n’y a pas de raison que les petits actionnaires soient mieux traités que les mezzaneurs » plaide l’avocat.
Un élément qui devra également être appréhendé à la lumière de « la transposition de la directive Insolvabilité pourra également avoir un impact important, à travers le mécanisme de cross class cram down, qui permet aux créanciers dans la monnaie d’imposer une solution » rappellent Hélène Bourbouloux, Charlotte Fort et Théophile Fornacciari.
S’il est possible d’anticiper une « hausse des défaillances traitées en amiable, particulièrement dans les secteurs les plus touchés comme la restauration, la crise est globale, toutes les entreprises peuvent être visées, bien que certains secteurs soient plus affectés que d’autres » comme le soulignent les associés d’FHB. Même si, comme le rappellent les avocats de Vivien & Associés, « la vague des dépôts de bilan pourrait être limitée compte-tenu de la masse de liquidités disponible sur le marché ».
Ainsi, s’il est probable donc que « les sociétés qui auront la capacité de se refinancer ou de céder des actifs pour faire face à leurs obligations s’en sortiront, leurs actionnaires en subiront directement les conséquences » nous confient François Kopf et Mathieu Della Vittoria. Cette situation peut conduire au développement « d’entreprises « zombies », qui auront trop de dettes. Car toutes les entreprises pourraient néanmoins devoir face à une crise de liquidité pour financer le BFR post-reprise dans un contexte de liquidités exsangues » préviennent les administrateurs judiciaires d’FHB.
Quoi qu’il en soit, non seulement « le Tribunal de commerce de Paris s’organise pour faire face à une grosse augmentation des demandes d’ouverture et de suivi, en partie grâce à la visio et à l’échange dématérialisé des pièces » prévient Dominique-Paul Vallée, mais, en outre, l’ensemble de l’écosystème du restructuring se tient prêt à répondre présent pour accompagner les entreprises qui en auront besoin.
Par Agathe Caquineau et Cyprien de Girval
[1] Article 2 de l’ordonnance du 20 mai 2020 (n°2020-596) : « (…) II. – Lorsqu’un créancier appelé à la conciliation n’accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure, le débiteur peut demander au président du tribunal ayant ouvert cette procédure, qui statue par ordonnance sur requête :
1° D’interrompre ou d’interdire toute action en justice de la part de ce créancier et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ;
2° D’arrêter ou d’interdire toute procédure d’exécution de la part de ce créancier tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant la demande ;
3° De reporter ou d’échelonner le paiement des sommes dues.(…) ».