Adoptée définitivement le 11 avril 2019 par l’Assemblée Nationale en application de l’article 45 alinéa 4ème de la Constitution, la loi PACTE (Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises) a été promulguée le 22 mai 2019 (JORF n° 0119 du 23 mai 2019), après que le Conseil Constitutionnel se soit prononcé sur son contenu ( Const. 16 mai 2019, n° 2019-781 DC). Fidèle à la tradition gouvernementale depuis de nombreuses années, la loi est longue et tentaculaire puisqu’elle compte 221 articles touchant de nombreuses matières du droit. Bien que les principales modifications du droit des entreprises en difficulté sont à venir, sous l’impulsion notamment de la directive européenne « insolvabilité », la loi PACTE comporte dans l’immédiat des dispositions d’allègement et d’ajustement dignes d’intérêt. Eclairage de Stéphane Zinty, Maître de Conférences à l’Université Grenoble-Alpes et membre du Centre de Recherches Juridiques (EA 1965).
Seuils de désignation des commissaires aux comptes
Faisant partie des dispositions les plus sensibles, l’article 20 de la loi PACTE valide le relèvement des seuils de désignation des commissaires aux comptes au sein des sociétés commerciales, autre qu’anonyme et en commandite par actions. En effet, ces sociétés ont actuellement l’obligation de désigner un commissaire aux comptes dès lors qu’elles dépassent deux des trois seuils suivants : 1 550 000 € de total de bilan, 3 100 000 € de chiffre d’affaires HT et 50 salariés. Avec la loi PACTE et son décret d’application du 24 mai 2019 (JORF n° 0122 du 26 mai 2019), ces seuils sont relevés à 4 000 000 € de bilan, 8 000 000 € de chiffre d’affaires HT et 50 salariés, conformément aux seuils européens de l’audit légal. La disposition va cependant plus loin puisqu’elle prévoit à des fins d’harmonisation l’application de ces seuils aux sociétés anonymes et aux sociétés en commandite par actions, pour lesquelles la désignation d’un commissaire aux comptes était jusqu’à présent obligatoire, quel que soit le montant du chiffre d’affaires, du bilan et du nombre de salariés. Si la mesure n’a pas de quoi ravir les commissaires aux comptes, dont le nombre des mandats risque ainsi de diminuer sensiblement, elle affaiblit aussi de façon regrettable la détection des difficultés des entreprises, dont l’alerte du commissaire aux comptes constitue un élément cardinal. A la demande d’un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le 10 % du capital social, la nomination par décision judiciaire d’un commissaire aux comptes pourra toutefois intervenir, quel que soit le type de société et même si les seuils ne sont pas atteints.
Publicité du privilège du Trésor
Destinée à informer les tiers, la publicité du privilège du Trésor constitue également la condition de l’opposabilité des créances fiscales concernées lors de l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du débiteur (CGI, art. 1929, quater). Relative aux dettes des commerçants et des personnes morales de droit privé dépassant le montant de 15 000 €, cette publicité est obligatoire lorsque le redevable a encouru une majoration pour défaut de paiement d’impôts directs ou lorsqu’un titre exécutoire a été émis pour les taxes sur le chiffre d’affaires, les contributions indirectes, ainsi que les impôts directs et taxes assimilées recouvrés par les comptables de la direction générale des impôts. Sauf exception, l’inscription est alors prise par l’administration chargée du recouvrement à l’issue d’un délai de 9 mois après le constat de l’un des événements qui précèdent. L’article 61 de la loi PACTE met un terme à cette publicité par périodes glissantes et prévoit pour les créances exigibles à compter d’une date fixée par décret (au plus tard à compter du 1erjanvier 2020) que la publicité est obligatoire lorsque le montant des sommes dues dépasse, au terme d’un semestre civil, un seuil fixé par décret. Par ailleurs, il ne sera plus procédé à l’inscription lorsque le débiteur a notamment déposé une contestation d’un avis de mise en recouvrement assortie d’une demande expresse de sursis à paiement à laquelle il a été fait droit. En attendant le décret annoncé, il convient de noter que l’étude d’impact de la loi PACTE évoque un relèvement par voie de décret du seuil de publicité obligatoire de 15 000 à 200 000 € afin de protéger les entreprises des effets négatifs attachés à la publicité. Lorsque l’on sait que les premières créances impayées par un débiteur en difficulté sont souvent fiscales et sociales, cette évolution haussière du seuil, si elle est confirmée, est de nature à retarder la détection des difficultés des entreprises.
Information du Président du tribunal en conciliation
L’affaiblissement de la détection des difficultés des entreprises, en raison des mesures qui précèdent, n’est que très partiellement compensé par l’ajustement du périmètre des informations dont le président du tribunal peut obtenir la communication en conciliation. En effet, l’article 68 de la loi PACTE ajoute les assureurs crédit à la liste des personnes devant communiquer sur demande les informations permettant d’apprécier la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur ( Com. art. L. 611-6). La mesure est opportune tant elle permet au tribunal de disposer d’un canal d’information supplémentaire sur une éventuelle dégradation de la trésorerie de l’entreprise en présence de sinistres fréquents.
Compte bancaire professionnel des micro entrepreneurs
Afin de réduire les coûts pesant sur les activités les plus modestes, l’article 39 de la loi PACTE allège l’obligation pour les micro entrepreneurs de dédier systématiquement un compte bancaire à « l’ensemble des transactions financières liées à leurs activités professionnelles » (CSS, art. L. 613-10). Destinée à prévenir les difficultés des micro entrepreneurs, cette mesure ne concernera dorénavant que ceux réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 10 000 € pendant deux années civiles consécutives. Cette mesure d’allègement est heureuse tant il est vrai que l’obligation d’un compte bancaire dédié à l’activité professionnelle n’est actuellement assortie d’aucune sanction et est, en conséquence, peu respectée en pratique. En deçà du montant du seuil de chiffre d’affaires énoncé par la loi PACTE, il faut aussi dire qu’une stricte démarcation des flux de trésorerie professionnels et personnels à travers des comptes distincts ne se justifie pas compte tenu de la faiblesse des sommes en jeu, y compris au cours d’une procédure collective.
Notion d’agriculteur
La Cour de cassation avait refusé d’étendre aux sociétés agricoles le bénéfice du plan en quinze ans que l’article L. 626-12 du code de commerce réserve aux agriculteurs ( Com. 29 novembre 2017, n° 16-21032), c’est-à-dire aux personnes physiques exerçant une activité agricole (C. rural, art. L. 351-8). Afin de remédier à cette situation, l’article 67 de la loi PACTE supprime toute référence à l’agriculteur personne physique au sein des articles L. 626-12 du code de commerce et de l’article L. 351-8 du code rural. Il est désormais fait référence aux « personnes exerçant une activité agricole définie à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime », ce qui permet d’inclure les sociétés agricoles. Afin d’éviter toute difficulté, la même modification est corrélativement effectuée au sein des articles L. 611-5, L. 620-2, L. 631-2 et L. 640-2 visant les justiciables des procédures de conciliation, sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire.
Proposition par le débiteur d’un administrateur judiciaire en redressement judiciaire
Première disposition intéressant directement les procédures collectives, l’article 58 de la loi PACTE autorise le débiteur à proposer le nom d’un ou plusieurs administrateurs judiciaires lors de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. Jusqu’à présent, cette mesure, applicable à la procédure de sauvegarde, était exclue en redressement judiciaire ( com., art. L. 631-9). Le débiteur pourra ainsi dorénavant proposer l’administrateur judiciaire qui l’a précédemment accompagné pendant la sauvegarde qui a été convertie en redressement judiciaire, ou même le mandataire ad hoc ou le conciliateur intervenu en phase amiable sauf avis contraire du ministère public (C. Com., art. L. 621-4 al. 5ème, sur renvoi de l’article L. 631-9). Bien sûr, il ne s’agit que d’une proposition, le tribunal restant libre de l’administrateur judiciaire qu’il désigne dans sa décision.
Rémunération du débiteur en redressement judiciaire
L’article 56 de la loi PACTE assouplit, quant à lui, les règles relatives à la rémunération en redressement judiciaire du débiteur personne physique ou, s’il est une personne morale, de ses dirigeants. Alors que cette rémunération ne fait l’objet d’aucun contrôle en procédure de sauvegarde, il est désormais prévu un assouplissement en redressement judiciaire à travers le maintien de la rémunération du débiteur lors du jugement d’ouverture, sauf décision contraire du juge-commissaire saisi sur demande de l’administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire ou du ministère public ( com., art. L. 631-11). La mesure se veut moins stigmatisante pour le chef d’entreprise, tout en faisant gagner du temps aux juridictions qui n’auront en principe pas à se prononcer systématiquement sur la rémunération du débiteur.
Délai d’établissement définitif des créances déclarées à titre provisionnel
Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, les créances du Trésor public et des organismes de sécurité sociale déclarées à titre provisionnel doivent par principe être établies à titre définitif dans le délai imparti au mandataire judiciaire par le tribunal pour l’établissement de la liste des créances ( Com., art. L. 624-1, sur renvoi de l’art. L. 622-24). Cependant, si une « procédure administrative d’établissement de l’impôt » a été mise en œuvre, les créanciers publics peuvent établir les créances qui en font l’objet jusqu’au dépôt au greffe du compte rendu de fin de mission du mandataire judiciaire (C. Com., art. L. 622-24 al. 4ème). Réservé par la jurisprudence aux procédures de « contrôle ou de rectification de l’impôt » (Cass. Com. 25 octobre 2017, n° 16-18938, n° 16-18939, n° 16-18940 et n° 16-18942), ce délai rallongé ne bénéficie pas aux simples procédures de liquidation en cours d’imposition courante. C’est pourquoi, l’article 63 de la loi PACTE, applicable aux procédures ouvertes à compter du 1er janvier 2020, corrige opportunément cette situation en modifiant l’article L. 624-24 alinéa 4ème du code de commerce. Il est ainsi prévu un délai maximum de 12 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire pour déclarer à titre définitif une créance provisionnelle provenant d’une simple procédure d’établissement de l’impôt. En revanche, la date butoir du dépôt par le mandataire judiciaire de son compte rendu de fin de mission s’applique à l’établissement définitif des créances issues de procédures de contrôle ou de rectification de l’impôt, tel qu’un contrôle fiscal. Enfin, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le délai de principe de l’article L. 624-1 reste applicable aux créances provisionnelles issues de procédures d’établissement de l’impôt (C. Com. art. L. 641-3).
Clauses de solidarité en cas de cession du bail commercial
L’article 64 de loi PACTE prévoit une modification de l’article L. 642-7 alinéa 3ème du Code de commerce afin de réputer non écrite toute clause d’un contrat de bail imposant au cessionnaire des dispositions solidaires avec le cédant, lorsque le bail est cédé dans le cadre d’un plan de cession d’entreprise. Cette mesure est la bienvenue puisque la perspective d’une solidarité du cessionnaire vis à vis du cédant peut constituer un frein important à la reprise d’entreprises, alors que le bail constitue souvent l’un des rares actifs des petites et moyennes entreprises. Elle complète ainsi utilement le dispositif en la matière puisqu’en cas de cession du bail au cours de la période d’observation, l’article L. 622-15 du Code de commerce ne neutralise que les clauses « imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire ».
Liquidation judiciaire simplifiée
Jusqu’à présent, deux régimes de liquidation judiciaire simplifiée coexistaient en présence d’une entreprise de petite taille n’ayant pas de bien immobilier : l’un obligatoire lorsque l’entreprise n’emploie pas plus d’un salarié et affiche un chiffre d’affaires hors taxes inférieur ou égal à 300 000 € ( com., art. L. 641-2 et R. 641-10, al. 1er) ; l’autre facultatif lorsque l’entreprise n’emploie pas plus de 5 salariés et enregistre un chiffre d’affaires hors taxes compris entre 300 000 € et 750 000 € (C. com., art. L. 641-2-1 et R. 641-10, al. 2). L’article 57 de la loi PACTE met fin à ce système dual. Afin d’accroitre le recours à cette procédure, il prévoit de rendre obligatoire la liquidation judiciaire simplifiée en deçà de certains seuils lesquels, devant être fixés par décret, devraient viser les entreprises employant cinq salariés au maximum et réalisant moins de 750 000 € de chiffres d’affaires. Corrélativement, l’article L. 641-2-1 fixant les seuils d’application de la liquidation simplifiée facultative est abrogé. Par ailleurs, la loi PACTE accélère le déroulement de la liquidation judiciaire simplifiée afin de favoriser notamment le rebond du débiteur. Alors que le texte dispose aujourd’hui que la liquidation simplifiée est clôturée au terme d’un délai de six mois lorsqu’elle est obligatoire et d’un an lorsqu’elle est facultative (C. com., art. L. 644-5), elle devra à l’avenir être prononcée dans un délai de six mois, porté à un an si le nombre de salariés ainsi que le chiffre d’affaires sont supérieurs à des seuils fixés par décret. En revanche, l’alinéa 2 de l’article L. 644-5 n’étant pas modifié, le tribunal peut toujours, par une décision spécialement motivée, proroger la procédure pour une durée de trois mois, comme il peut aussi mettre fin au régime simplifié pour rejoindre le régime général de la liquidation judiciaire (C. com., art. L. 644-6).
Rétablissement professionnel
Afin de dynamiser cette procédure peu utilisée et destinée à favoriser le rebond du débiteur, l’article 57 de la loi PACTE fait du rétablissement professionnel la procédure par défaut proposée par le tribunal pour tout débiteur personne physique exploitant une très petite entreprise ( Com. art. L. 645-1 et s.), sous réserve de son accord. Pour cela, il n’appartient plus au débiteur, qui demande l’ouverture d’une liquidation judiciaire, d’en solliciter le bénéfice à titre subsidiaire. C’est au tribunal de procéder d’office à l’examen de la situation du débiteur en cas de demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-1) mais aussi en cas de résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire (C. com., art. L. 626-27 et L. 631-20-1). En revanche, cet examen par le tribunal n’a pas été prévu dans l’hypothèse du prononcé d’une liquidation judiciaire au cours de la période d’observation d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire (C. com., art. L. 622-10 et L. 631-15).
Casier judiciaire du débiteur personne physique
Enfin, l’article 59 de la loi PACTE modifie l’article 768 5° du code de procédure pénale et supprime toute mention relative à la liquidation judiciaire du casier judiciaire d’une personne physique. La mention demeure, en revanche, pour les jugements prononçant la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer. Il n’en demeure pas moins que la loi PACTE consacre une mesure supplémentaire opportune en faveur du rebond du débiteur, en attendant le train de réformes à venir…
Par Stéphane Zinty
Sur l’auteur :
Stéphane Zinty est Maître de Conférences à l’Université Grenoble-Alpes et membre du Centre de Recherches Juridiques (EA 1965)
Du même auteur : Présentation des mesures du projet de loi « Pacte » concernant le droit des entreprises en difficulté