Mayday a noué un partenariat avec le master ALED de l’Université Jean Moulin Lyon 3 qui forme, sous la direction du professeur Nicolas Borga, les futurs professionnels du retournement, afin que ses étudiants nous proposent chaque mois un éclairage sur les jurisprudences qui impactent la pratique. Plus qu’un éclairage, il s’agit d’un lien privilégié que Mayday entretient avec les étudiants du Master ALED, afin qu’ils participent à décrypter le droit des entreprises en difficulté et que cela soit pour eux l’occasion de présenter cette formation de haut niveau. Cette semaine, Antoine Chevallier et Nicolas Rosain, étudiants en deuxième année du Master ALED, nous livrent leur éclairage sur l’arrêt de chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 juillet 2020, n°18-26140.
Le fait que la cessation d’activité de l’entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d’invoquer l’existence d’une faute de l’employeur à l’origine de la cessation d’activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Cour de cassation, chambre sociale, 8 juillet 2020, n°18-26140
C’est souvent aux arrêts de cassation que revient le mérite d’une mise en lumière. Pourtant, la décision de rejet rendue par les magistrats du quai l’Horloge, le 8 juillet 2020, apporte un éclairage certain sur l’article L1233-3 du Code du travail.
En effet, cet article prévoit les motifs justifiant un licenciement économique et notamment, en son 4e, le cas précis de la cessation d’activité qui intéresse cette affaire. Erigé en motif autonome par la Cour de cassation, cette dernière n’a pas manqué de rappeler de manière constante que « la cessation d’activité de l’entreprise constitue en soi un motif économique de licenciement, dès lors qu’elle n’est pas due à une faute ou à la légèreté blâmable de l’employeur »[1]. Mais qu’en est-il lorsque qu’une faute de gestion du dirigeant est caractérisée de manière postérieure à la cessation d’activité ?
En l’espèce, une salariée avait été licenciée pour motif économique dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire. Postérieurement à l’ouverture de la procédure, la responsabilité du dirigeant a été engagée pour insuffisance d’actif du fait d’une faute de gestion. La salariée souhaitait donc se prévaloir de la faute de gestion du dirigeant comme motif d’ouverture de la liquidation et ainsi priver de cause réelle et sérieuse son licenciement économique. Il faut comprendre que la salariée ne contestait pas la cessation d’activité elle-même mais son origine, à savoir une faute ou une légèreté blâmable de l’employeur.
Néanmoins, les juges du fond déboutent la salariée de ses demandes aux motifs que l’ouverture de la liquidation judiciaire ne résultait pas des fautes de son dirigeant mais du non-paiement répété des charges et salaires, de sorte que le licenciement de la salariée était pleinement justifié. La Chambre sociale confirme cette position et nous apporte deux enseignements d’importance.
D’une part, elle confirme la position jurisprudentielle selon laquelle un salarié licencié consécutivement à une cessation d’activité de l’entreprise – en l’espèce en raison d’une liquidation judiciaire – peut invoquer une faute du dirigeant pour priver son licenciement de cause réelle et sérieuse[2]
D’autre part – et c’est là le véritable apport de cet arrêt – la cour énonce que la faute du dirigeant ne peut priver le licenciement de cause réelle et sérieuse que si elle est « à l’origine » de la cessation d’activité – en l’espèce à l’origine de l’ouverture de la liquidation judiciaire.
Dans la mesure où les fautes imputables au dirigeant ont été relevées après l’ouverture de la liquidation judiciaire, la Haute juridiction réitère le bien-fondé du licenciement du salarié.
Cette nouvelle jurisprudence vient limiter la portée de la cessation d’activité comme motif autonome légal de licenciement économique. Elle souffre désormais d’une exception – une faute imputable à l’employeur – qui laisse la porte ouverte aux juges du fond d’apporter leur analyse sur les faits générateurs de la liquidation judiciaire puisque la faute ne privera le licenciement de cause réelle et sérieuse que si elle est « à l’origine » de l’ouverture de ladite procédure.
De plus, en pratique, si la faute du dirigeant était caractérisée, la réparation du préjudice subi par le salarié reposerait alors sur l’AGS – conséquence que les praticiens ne voient pas d’un très bon œil.
La portée de cette nouvelle jurisprudence reste toutefois à délimiter dans la mesure où un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 10 septembre 2020, RG n°14/07840) a semblé redonner pleine autonomie à la cessation d’activité, comme motif de licenciement, les juges du fond refusant que la faute de l’employeur prive celui-ci de cause réelle et sérieuse s’il est consécutif à une liquidation judiciaire.
Par Antoine Chevallier et Nicolas Rosain
Sur les auteurs :
[1] Cass. soc., 16 janv. 2001, n° 98-44647 : Bull. civ. V, n° 10
[2] Ibid.