Alors qu’en cas de difficultés rencontrées par un réseau de franchise on se tourne généralement vers celles rencontrées par le franchisé, on met souvent de côté l’analyse juridique des difficultés du franchiseur. Cette analyse soulève pourtant de nombreuses questions : quid de la poursuite du contrat de franchise ? des créances que le franchisé détiendrait sur son franchiseur ? ou encore comment s’organise la cession du principal actif du franchiseur ? C’est sur ces questions que reviennent ici, pour Mayday, Tristan Girard-Gaymard et Etienne Feildel, respectivement associés des pôles Franchise et Entreprises en difficulté du cabinet Bruzzo Dubucq.
La réflexion juridique relative aux difficultés rencontrées par un réseau de franchise est classiquement tournée vers celles rencontrées par le franchisé. Cela s’explique bien sûr par le fait que le franchisé est, pour ainsi dire, en première position face aux aléas du marché et qu’une baisse d’activité compromettra en tout premier lieu son équilibre financier. Par ailleurs, il arrive qu’un franchisé soit primo-accédant à la vie des affaires : son inexpérience ajoute alors à ses difficultés économiques. Par opportunisme ou nécessité, le franchisé en difficulté critiquera la validité du réseau de franchise, soit que le savoir-faire transmis ne fut finalement pas aussi pertinent qu’il ne l’espérait, soit que son information précontractuelle n’eut pas été convenablement communiquée, causant ainsi une erreur sur la rentabilité économique du contrat de franchise.
Dans ce paysage juridique presque saturé par les difficultés du franchisé, que représentent celles subies par le franchiseur dans la réflexion juridique ? Un point de vigilance, à n’en pas douter, et ce pour plusieurs raisons.
En premier lieu, négliger l’étude des difficultés du franchiseur serait oublier que le sort de l’entier réseau dépend en grande partie de lui et de la conservation de ses actifs stratégiques.
En second lieu, les difficultés du franchiseur suscitant bien souvent l’ouverture d’une procédure collective, se pose la question de l’appréhension, par cette procédure, du réseau de franchise dans sa globalité : contrats et actifs immatériels en particulier. L’on s’étonnera, dans ces conditions, de la rareté des études consacrées à cette question, au demeurant relatives à la seule cession du contrat de franchise (voy. seulement F. de Saint-Pol, « Procédure collective – Procédure collective du franchiseur et cession forcée du réseau : que fait la jurisprudence ? », JCP E, n° 45, 6 novembre 2014, 1561). Quid, en effet, de la continuation du contrat de franchise ? Des créances que le franchisé détiendrait sur son franchiseur ? Comment s’organise enfin la cession du principal actif du franchiseur ?
Pour tenter de répondre à ces questions, il nous faut distinguer selon qu’est acquise la survie du franchiseur (1) ou qu’est en jeu la survie du réseau de franchise (2).
1. La survie du franchiseur
Le contrat de franchise étant un contrat synallagmatique, il est la source d’obligations à la charge du franchiseur au profit du franchisé. Ces obligations sont des plus diverses : exclusivité territoriale ; licence de marque ; utilisation d’un savoir-faire ; promotion du réseau ou encore approvisionnement exclusif. C’est principalement cette créance qui mérite réflexion. En effet, si l’approvisionnement exclusif est principalement une contrainte pesant sur le franchisé, il postule aussi l’obligation, pour le franchiseur, de fournir le franchisé qui lui passe commande. Or, les difficultés que le franchiseur rencontre peuvent l’empêcher, temporairement ou non, de livrer les commandes passées.
Toutes les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture doivent être déclarées au passif de la procédure (art. L. 621-43 du Code de commerce). Cette déclaration n’a cependant de sens qu’à l’égard des créances de sommes d’argent, car, dans ce cas, la déclaration tend à faire participer le créancier aux opérations de distribution sur le patrimoine du débiteur. Certes, l’obligation d’approvisionner ne consiste pas dans le paiement d’une somme d’argent, mais elle peut se résoudre en paiement d’une somme d’argent (art. 1228 du Code civil).
Dès lors, si une commande a été passée et qu’un prix a été payé à cette occasion, l’inexécution du franchiseur doit conduire le franchisé à déclarer sa créance pour un montant équivalent au montant du prix à restituer, auquel peuvent s’ajouter d’éventuels dommages et intérêts.
Mais dire cela n’épuise pas la réflexion. Car est ici en jeu l’intérêt du franchisé de continuer à s’approvisionner et, derrière lui, l’intérêt du réseau dans son ensemble de continuer à fournir ses clients. Or, l’inaptitude, même temporaire, du franchiseur à fournir ses distributeurs compromet sérieusement la survie du réseau et celle des fonds de commerce des franchisés (sur lesquels voy. l’arrêt de principe Com., 27 mars 2002, n° 00-20.732).
La déclaration de créance des franchisés dans le passif de la procédure du franchiseur n’a à cet égard que peu d’utilité. En effet, dans certains réseaux de distribution, particulièrement alimentaires, le franchisé doit s’approvisionner sur une base quotidienne ou hebdomadaire auprès du franchiseur. Cette nécessité est incompatible avec le temps de la procédure collective. Un administrateur, même réactif, peut ne pas répondre en temps utile à une demande de poursuite du contrat, et peut même choisir de ne pas répondre aux sollicitations des franchisés.
Afin que la procédure collective du franchiseur ne diffuse dans l’ensemble du réseau, il peut être de première importance de permettre aux distributeurs de continuer à fournir les clients tout en s’approvisionnant auprès d’autrui, à tout le moins jusqu’à ce que leur sort soit fixé par l’administrateur (art. L. 622-13 du Code de commerce, cf. infra).
Ce d’autant qu’un contrat de franchise stipule bien souvent des clauses renforçant les obligations du franchisé – clause pénale et clause résolutoire au premier chef – ce qui pourrait dissuader le franchisé de sortir, même temporairement et partiellement, des liens contractuels qui l’unissent au franchiseur, en s’approvisionnant chez un tiers. Même en l’absence de telles stipulations, le franchisé est pris dans une sorte d’étau, car sa violation du contrat pourrait fonder le prononcé d’une sanction contractuelle à la demande de l’administrateur. Le dilemme est alors le suivant : respecter un contrat temporairement inexécutable par le franchiseur et risquer de se mettre en difficultés ; ou bien violer le contrat en s’approvisionnant auprès d’un tiers.
La résolution de ce dilemme est-elle possible sur le fondement de l’article 1219 du Code civil, relatif à l’exception d’inexécution, voire même de l’article 1220, applicable en cas de simple risque d’inexécution ?
L’intérêt de cette sanction est double : suspendre le contrat (et non le résoudre), d’une part ; limiter dans le temps une telle sanction, d’autre part, faisant de l’exception de l’inexécution une sanction particulière adaptée à la période précédant le rétablissement du franchiseur en difficultés. Ainsi, et à raison de l’inexécution, par le franchiseur, de son obligation de fournir le franchisé, celui-ci pourrait invoquer la suspension de son obligation d’approvisionnement exclusif et s’approvisionner auprès d’un tiers dans son intérêt personnel, mais aussi dans l’intérêt du réseau.
La jurisprudence semble être favorable à un tel raisonnement. La chambre commerciale a par exemple jugé que l’exception d’inexécution permet au fournisseur « non pas de rompre le contrat conclu avec {le distributeur}, mais seulement d’en suspendre l’exécution en distribuant provisoirement en Belgique, par elle-même ou par un tiers, les produits concédés » (Com., 1er décembre 1992, n° 91-10.930). De façon encore plus évidente, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt certes assez ancien, que l’exception d’inexécution invoquée par un fournisseur l’autorisait seulement « à ne pas exécuter son obligation de respect de l’exclusivité et donc à vendre elle-même dans le secteur concédé » jusqu’à ce que son distributeur défaillant respecte sa propre obligation (Com., 15 janvier 1973, n° 71-14.279).
Ces solutions prévalent cependant lorsque le fournisseur, bien que défaillant, est in bonis. En effet, lorsqu’un débiteur fait l’objet d’une procédure collective, la jurisprudence fait prévaloir l’impérativité du Livre VI du Code de commerce et notamment l’article L. 622-13 du Code de commerce : « Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture ». La solution de principe rendue au visa de cet article semble résider dans un arrêt du 28 juin 2011, dans lequel la Cour de cassation a considéré qu’un distributeur ne pouvait invoquer l’exception d’inexécution à l’encontre d’un fournisseur en procédure collective (Com., 28 juin 2011, n° 10-19.463). D’autres juridictions du fond ont statué dans le même sens (CA Pau, 3 juin 2015, n° 15/02255).
Plus récemment, la Cour de cassation a même introduit une distinction selon que l’exception d’inexécution est invoquée avant ou après l’ouverture de la procédure collective.
Dans un arrêt rendu le 10 octobre 2018, un maitre de l’ouvrage avait confié des travaux de restructuration immobilière à divers entrepreneurs. Ce maitre de l’ouvrage n’avait pas honoré certains paiements partiels et ne fournissait par ailleurs pas de garantie de paiement conforme aux dispositions de l’article 1799-1 du Code civil. Certains entrepreneurs avaient alors suspendu l’exécution de leurs obligations et assigné le maître de l’ouvrage en paiement des sommes dues et en résiliation du contrat aux torts de ce dernier. Quelques semaines après la délivrance de cette assignation, une procédure collective est ouverte à l’encontre du maitre de l’ouvrage. Les juges du fond firent droit à la demande de résiliation du contrat aux torts exclusifs du maître de l’ouvrage et rejetèrent les demandes indemnitaires formulées par cette dernière à l’encontre des deux entreprises. Le pourvoi reprochait aux juges d’appel de ne pas avoir tenu compte des règles du droit des procédures collectives, notamment l’article L. 622-13 du Code de commerce selon lequel le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. La Cour de cassation approuve néanmoins les juges d’appel d’avoir relevé que les entreprises avaient mis en œuvre l’exception d’inexécution de l’article 1799-1 antérieurement à l’ouverture de la procédure, et retenu que si cette ouverture interdisait au débiteur de payer les créances antérieures des entreprises, aucune disposition propre aux procédures collectives n’empêchait l’administrateur et le débiteur, s’ils voulaient que les travaux reprennent, d’effectuer les diligences nécessaires à l’obtention de la garantie financière manquante qui demeurait, quant à elle, exigible et en avoir déduit que la suspension des travaux, régulièrement acquise avant l’ouverture du redressement judiciaire, demeurait licite et exempte de tout abus de la part de l’entreprise. L’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du maître d’ouvrage est donc sans effet sur la suspension des travaux régulièrement acquise avant le jugement d’ouverture (Com., 10 oct. 2018, n° 17-18.547).
Mais est-ce à dire qu’il est impossible pour un franchisé de court-circuiter temporairement son franchiseur en procédure collective pour s’approvisionner auprès d’un tiers ? La réponse nous semble négative dans au moins deux hypothèses.
Première hypothèse, l’administrateur souhaite opter pour la poursuite du contrat de franchise, car il est une source de revenus pour le franchiseur. Cependant, conscient des difficultés temporaires d’exécution de certaines obligations par ce dernier, il consent un avenant autorisant temporairement le franchisé à ne pas respecter son obligation d’approvisionnement exclusif. Cette faculté nous semble résulter des pouvoirs de gestion qu’il tire de l’article L. 622-9 du Code de commerce.
Seconde hypothèse, les rédacteurs du contrat de franchise ont mené une stratégie permettant de ne contredire ouvertement ni le Livre VI du Code de commerce, ni la jurisprudence rendue en matière d’exception d’inexécution, et ont stipulé une clause de remplacement ou de substitution.
La physionomie de cette clause est de permettre, en cas d’empêchement temporaire du franchiseur dans l’exécution de tout ou partie du contrat, d’autoriser le franchisé, pour la durée de cet empêchement, à lui substituer un tiers. Cette clause ne nous semble pas heurter l’article L. 622-13 du Code de commerce, car, précisément, le fait pour le franchisé de solliciter la substitution d’un tiers n’est qu’exécuter le contrat. Invoquer une stipulation du contrat consiste bien à « remplir ses obligations » au sens de ce texte.
En outre, une telle clause de remplacement ou de substitution ne tombe pas, à strictement parler, sous le coup l’article L. 622-13 du Code de commerce, qui prohibe seulement l’« indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ».
Encore que la discussion soit possible au regard d’un arrêt du 14 janvier 2014, dans lequel la Cour de cassation a considéré « qu’est interdite toute clause qui modifie les conditions de poursuite d’un contrat en cours en diminuant les droits ou en aggravant les obligations du débiteur du seul fait de sa mise en redressement judiciaire » (Com., 14 janvier 2014, n° 12-22.909). Les faits de l’espèce justifient probablement une telle solution : un assureur avait excipé une clause d’exclusion de garantie relative à la perte de valeur vénale du fonds de commerce après la cessation de l’exploitation ou l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. D’une part, cette clause visait expressément l’ouverture d’une procédure collective ; d’autre part, sa mise en œuvre révélait la volonté de l’assureur de faire prévaloir son intérêt particulier.
Or, in fine, au travers de l’intérêt du franchisé, c’est l’intérêt du réseau qui est en jeu dans la situation que nous envisageons et, au-delà, l’intérêt du franchiseur de voir la clientèle de chacun préservée d’une rupture d’approvisionnement. L’intérêt du réseau est, bien sûr, innommé en droit. Il a pourtant été théorisé par Laurence Amiel-Cosme (Les réseaux de distribution (préf. Y. Guyon, LGDJ, 1995). Tel l’intérêt du groupe de sociétés, dénué de personnalité morale, mais pourtant appréhendé par le droit pénal, notamment par la théorie de l’abus de biens sociaux, l’intérêt du réseau postule une certaine agilité du franchisé qui, délié temporairement de certaines obligations, assure le maintien de son activité le temps qu’évolue la situation du franchiseur.
2. La survie du réseau
Lorsque la survie du franchiseur n’est pas possible ou a échoué, se pose la question de la pérennité du réseau de franchise, constitué par la multitude de contrats que le franchiseur a conclus avec ses distributeurs. L’entreprise du franchiseur, comme toute entreprise, est bien un « nœud de contrats » (M. CABRILLAC, « Remarques sur la théorie générale du contrat et les créations récentes de la pratique commerciale », Mélanges Gabriel Marty, Université de Toulouse, 1978, p. 235). Comment en assurer la survie malgré les difficultés irrémédiables de leur contractant fondateur ? En organisant leur cession, dans le cadre de la procédure collective.
Pour être pensable, cette cession est-elle possible ? Deux obstacles se dressent devant elle.
Le premier relève de l’article L. 642-7 du Code de commerce : le contrat de franchise est-il un contrat « de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l’activité » et dont le jugement arrêtant le plan emporte la cession ?
Le second est lié au caractère intuitu personae, virtuel ou textuel, du contrat de franchise : un tel contrat peut-il être transmis judiciairement au repreneur dans le cadre d’un plan de cession ?
L’article L. 642-7 réserve au seul tribunal la faculté de déterminer les contrats nécessaires à la poursuite de l’activité et qui seront cédés, sans que l’agrément des cocontractants ne soit requis. Seules leurs observations sont admises à la procédure de cession. Les cocontractants ne peuvent donc ni invoquer le droit commun de la cession de contrat (art. 1216 et s. du Code civil), ni une stipulation du contrat qui limiterait la cessibilité du contrat (Civ. 3ème, 7 décembre 2011, n° 10-30.695).
Le caractère nécessaire du contrat doit être apprécié relativement à l’activité du débiteur, ce qui implique l’exclusion des contrats à finalité personnelle. Toutefois, la simple corrélation du contrat avec l’activité professionnelle du débiteur ne suffit pas ; il doit également être intrinsèquement lié à son activité principale, et non accessoire. S’agissant d’une personne morale, le contrat doit revêtir un caractère indispensable à la réalisation de l’objet social.
Le contrat de franchise remplit toutes ces exigences. Certes, dans un arrêt ancien du 15 décembre 1992, la cour d’appel de Paris avait refusé de voir dans le contrat de franchise un contrat de fourniture nécessaire au maintien de l’activité. En l’espèce, l’entreprise cédée exploitait une chaîne d’hôtels en franchise. Le jugement adoptant le plan de cession avait décidé le transfert au repreneur de tous les contrats de franchise figurant dans l’offre. Sur appel de plusieurs franchisés s’opposant au transfert, la cour de Paris infirma ce jugement au motif que les contrats de fournitures de biens et services visés par l’article L. 642-7 seraient ceux par lesquels l’entreprise en redressement judiciaire se procure des biens ou services, et non ceux par lesquels elle fournit à autrui des biens ou services et que le contrat de franchise ne se réduirait pas à une fourniture de biens ou de services (CA Paris, 15 décembre 1992, JCP E 1993, I, 275).
La Cour d’appel d’Orléans avait fait de même, considérant que le contrat de franchise « est, en effet, incessible par nature, sauf à méconnaître son objet ; que celui-ci étant la mise à disposition du franchisé d’un savoir-faire original, substantiel et secret du franchiseur, qu’il est, par hypothèse, seul en mesure de transmettre, il est impossible, alors que les franchisés se sont engagés en considération de la personne du franchiseur, seul créateur et détenteur du savoir-faire, qu’il leur transmet […] qu’ils puissent être liés à un nouveau franchiseur sans un nouvel accord de volonté de leur part » (CA Orléans, 14 septembre 2000, D. 2001. 1017, note Marot).
Cette analyse ne correspondait cependant pas à la réalité du contrat de franchise, qui fournit au franchiseur les moyens de son existence économique (droit d’entrée, redevances au titre de la licence de marque ou au titre du chiffre d’affaires et approvisionnement en marchandises). Par ailleurs, ne pas admettre la reprise du contrat de franchise signifie la mise à mort du réseau dans son ensemble, et risquerait d’entraîner des procédures collectives en cascade. C’est la raison pour laquelle d’autres juridictions ont, plus récemment, statué dans un sens favorable à la cession du contrat de franchise.
Ainsi, dans un arrêt du 9 décembre 2014, la Cour d’appel de Lyon a estimé que le franchisé ne peut s’opposer au transfert, car le contrat ne contient pas de clause d’agrément en sa faveur, c’est-à-dire de clause soumettant à son accord le transfert de contrat. Autrement dit, la cour a paru considérer qu’une telle clause pourrait faire obstacle au transfert judiciaire dans le cadre d’un plan de cession d’entreprise, mais qu’en l’absence de clause, le contrat de franchise peut être cédé (CA Lyon, 9 décembre 2014, n° 13/09690).
Plus récemment encore, la Cour d’appel de Limoges a ordonné la cession forcée des contrats de franchise au repreneur de l’entreprise du master franchisé et dont le franchiseur était en procédure collective (CA Limoges, 28 janvier 2019, n° 17/01340).
Ces décisions signifient, avec d’autres, l’indifférence du caractère intuitu personae du contrat de franchise, que l’on rencontre ailleurs en droit de la distribution (voy. en ce domaine l’étude de M. Malaurie-Vignal, « Intuitu personae et liberté de la concurrence dans les contrats de distribution », JCP E, 1998, p. 260) et qui pourrait constituer un second obstacle à la cession judiciaire. La jurisprudence reconnaît au juge le pouvoir d’ordonner la cession forcée du contrat à un repreneur même si le contrat a été conclu intuitu personae. Ainsi, il a été jugé que le contrat de concession automobile est soumis à l’article L. 642-7 du Code de commerce (CA Versailles, 23 mars 2000, n° 4018/97), de même qu’un contrat de licence d’exploitation de brevets (CA Colmar, 13 juin 1990, JurisData n° 1990-050788).
Dans son arrêt du 28 janvier 2019 précité, la Cour d’appel de Limoges considère par ailleurs que si le caractère intuitu personae du contrat de franchise « découle de son objet même, à savoir, la mise à disposition de l’expérience du franchiseur, seul créateur et détenteur du dit savoir-faire, au profit du franchisé, qui doit avoir la capacité de mettre en œuvre ce savoir-faire, le franchiseur et le franchisé s’engageant respectivement en considération de la personne de l’un et de l’autre, pour autant ce caractère intuitu personae ne fait pas obstacle par nature à une substitution de co-contractant dans le cadre de la procédure collective du franchiseur par l’effet d’un plan de cession des actifs aux termes duquel les contrats de franchise sont inclus dans le périmètre de la cession. En effet, dès lors que le contrat est nécessaire au maintien de l’activité, seule condition fixée par l’article L642-7 du code de commerce, cette substitution peut intervenir sans l’accord préalable du franchisé, a fortiori lorsque le contrat ne prévoit aucune clause de réciprocité au caractère intuitu personae contractuellement imposé au seul franchisé et lorsque le débiteur lui fournit une garantie de la réalité ou de la qualité de l’exécution du contrat ».
La Cour d’appel lui a emboité le pas en considérant que « l’intuitu personae n’interdit la cession d’un contrat que lorsque celle-ci est incompatible avec le maintien des éléments essentiels du contrat », incompatibilité absente en l’espèce, le cocontractant du débiteur ne rapporte pas la preuve de l’impossibilité de continuer le contrat d’enseigne avec le cessionnaire (CA Paris, pôle 5, ch. 9, 23 janvier 2020, n° 19/17892).
En somme, la procédure collective du franchiseur doit être conduite avec l’intérêt du réseau comme boussole judiciaire.
Par Tristan Girard-Gaymard et Etienne Feildel, avocats associés au sein du cabinet Bruzzo Dubucq