Le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui s’était donnée pour ambition « d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l’industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l’industrie et notamment celle du médicament, » a récemment été publié sur le site de l’Assemblée nationale. Il contient 76 propositions dont, curieusement, aucune ne concerne les cas d’entreprises industrielles en activité qui, dans la tourmente d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, peuvent disparaître définitivement faute de repreneur. La reprise des entreprises industrielles en difficulté, est-elle un sujet ignoré du rapport parlementaire du 19 janvier 2022 sur la ré-industrialisation de la France ? Eclairage d’Emmanuel Laverrière, avocat associé chez Racine.
La commission aurait pourtant dû s’emparer de ce sujet sur la base de deux constats très simples: – lorsqu’une entreprise industrielle est en dépôt de bilan et que son endettement et ses besoins sont trop lourds pour continuer, le plan de cession à un tiers est la seule solution qui puisse sauver l’outil et l’activité industriels ; de plus et contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, cette solution permet de préserver bon nombre d’emplois. Une étude statistique[1], a ainsi montré qu’en 2017 et 2018 les plans de cession d’entreprise ordonnés par les Tribunaux de commerce ont sauvé 76 % des emplois menacés, ce taux passant même à 83 % pour les entreprises de plus de 500 salariés. Ces chiffres sont d’autant plus encourageants que cette même étude révélait un manque de concurrence dans les procédures d’appel d’offres puisque dans la grande majorité des cas et faute de publicité efficace, le repreneur désigné était le seul candidat, en général français et localisé dans la même région que la cible. Depuis lors, la création de plateformes numériques (Actify, Mayday) permet une diffusion modernisée et étendue des appels à candidature sur le territoire, ce qui devrait les dynamiser.
Lorsqu’elle est possible, la cession d’entreprise doit donc être favorisée et son régime amélioré. Fiscalement, il existe déjà un dispositif d’exonération propre aux activités industrielles. Il permet à la société spécialement créée pour la reprise, d’être exonérée d’impôt sur les sociétés les deux années suivant celle-ci. Mais l’exonération joue rarement en pratique, peu d’entreprises dégageant des bénéfices dans ce court délai. Un doublement de la période d’exonération serait sans doute plus attractif. De plus, l’exonération pourrait être étendue à des activités industrielles qui en sont actuellement exclues comme la sidérurgie ou l’énergie, ainsi qu’aux activités financières et commerciales nécessaires à la filière industrielle. Le régime des droits d’enregistrements pourrait également être reconsidéré. La cession d’entreprise qui intervient en exécution du plan ordonné par le Tribunal comprend en effet le prix de cession des actifs, mais également les charges augmentatives de prix que le repreneur accepte d’assumer (reprise de congés payés, charge de certaines dettes financières par exemple). Ceci peut conduire les candidats à limiter leurs efforts au moment d’améliorer les conditions sociales et financières de leur offre. Une exonération ou à tout le moins une réduction de l’assiette d’imposition pourrait être un axe de discussion.
L’allègement de la fiscalité n’est certes pas la seule mesure pour favoriser la reprise d’entreprises industrielles à la barre du Tribunal et les praticiens sont en capacité d’en proposer d’autres sur les plans juridique et financier. A cet égard, il est surprenant de constater que dans la liste de la centaine de personnes consultées par la commission parlementaire, il n’y ait aucune représentation des professions et institutions qui travaillent quotidiennement aux côtés d’industries en défaillance, au premier rang desquels les juges consulaires, les mandataires de justice ou les conseils spécialisés. Précédemment, le rapport de la commission GRAU « relative aux entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire » paru le 21 juillet 2021, avait largement relayé les réflexions et propositions des professionnels. Il est regrettable que la commission sur la ré-industrialisation ne s’en soit pas fait l’écho à certains égards.
Par Emmanuel Laverrière
Avocat associé – Racine
[1] Etude KPMG Juin 2019 : Les reprises à la barre du tribunal – Analyse statistique des pratiques en plan de cession 2017-2018.