Romain Lantourne, avocat chez FTPA, revient pour Mayday sur l’intérêt de la fiducie dans le financement des entreprises en difficulté.
Inspiré du trust anglo-saxon, la fiducie est fréquemment utilisée pour sécuriser efficacement l’octroi de nouveaux financements. Son utilisation s’avère particulièrement pertinente lorsque le constituant de la fiducie est en proie à des difficultés.
- Bref rappel du mécanisme fiduciaire
Introduite par une loi du 19 février 2007, la fiducie permet à une ou plusieurs personnes, dénommées constituants, de transférer, à titre temporaire, la propriété d’actifs (biens ou droits, corporels ou incorporels, présents ou futurs, meubles ou immeubles) à un ou plusieurs tiers de confiance, les fiduciaires, avec mission d’en faire l’usage prévu au contrat fiduciaire au profit d’une ou plusieurs personnes, les bénéficiaires, qui peuvent être soit des tiers, soit le constituant ou le fiduciaire lui-même.
La spécificité essentielle de l’instrument fiduciaire réside dans ce véritable transfert de propriété du bien affecté en fiducie au profit du fiduciaire, ce qui lui vaut le surnom évocateur, mais non usurpé, de « reine des sûretés ».
Certes il s’agit d’une propriété transitoire et finalisée, le fiduciaire ne pouvant exercer ses pouvoirs que dans les limites fixées par la convention fiduciaire, mais les actifs fiduciaires sont bien juridiquement transférés dans un patrimoine dit « d’affectation », isolé avec une totale étanchéité du patrimoine du constituant, mais également de celui du fiduciaire.
Le patrimoine fiduciaire, propre à chaque fiducie, demeure ainsi à l’abri, pendant toute la durée de la fiducie, de toute aliénation du fait du constituant ou de ses créanciers.
- Fiducie-sûreté et fiducie-gestion, une distinction superflue
Une distinction est souvent opérée entre (i) la fiducie-sûreté, lorsque l’actif fiduciaire est remis au fiduciaire pour garantir une obligation du constituant et (ii) la fiducie-gestion, lorsque le bien est remis au fiduciaire avec une mission de gestion de l’actif fiduciaire.
Cette distinction se révèle non-pertinente en pratique car la plupart des contrats de fiducies-sûretés imposent au fiduciaire des missions de gestion.
“C’est le seul mécanisme de sûreté en droit français véritablement bankruptcy remote”
Ces fiducies mixtes constituées à fins de gestion et de sûreté témoignent de l’autre atout majeur de la fiducie par rapport aux sûretés classiques.
Au-delà de la recherche d’une propriété-sûreté inviolable, les parties profitent de la mise en place du mécanisme pour confier des missions précises et variées à un tiers de confiance et professionnel indépendant, le fiduciaire.
- Un outil incitatif du financement des entreprises en difficulté
La fiducie est depuis l’origine très majoritairement utilisée en tant que sûreté du financement d’entreprises en proie à des difficultés, afin de remédier à l’imperfection des sûretés habituelles.
La fiducie peut être utilement constituée à tous les stades des procédures amiables et collectives :
(i) La constitution d’une fiducie antérieurement à l’ouverture d’une procédure collective
Contrairement à certains préjugés, la fiducie, comme toute sûreté, peut être valablement constituée en période suspecte (i.e. période qui précède la demande d’ouverture d’une procédure collective et qui concerne les entreprises qui sont en état de cessation des paiements supposé ou avéré) à condition qu’elle ait été consentie en garantie d’une dette apparue concomitamment et à des conditions conformes aux conditions de marché.
Bien entendu, il est néanmoins conseillé de constituer la fiducie dans le cadre d’une procédure préventive, voire, idéalement, qu’elle soit intégrée à un accord de conciliation homologué qui empêchera, en cas d’ouverture procédure collective, le report à une date antérieure de la date de cessation des paiements et donc supprimera tout risque au titre des nullités de la période suspecte.
(ii) La constitution d’une fiducie postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective
Une fiducie peut être utilement constituée à tous les stades de la procédure collective :
– pendant la période d’observation, au profit d’un apporteur de fonds et/ou de produits nouveaux participant au financement de la poursuite de l’exploitation, sous réserve de l’autorisation du juge-commissaire ;
– dans le cadre de l’exécution de plans de sauvegarde et de redressement, par exemple au bénéfice du Commissaire à l’exécution du plan pour sécuriser le remboursement de tout ou partie du passif admis ou encore au bénéfice d’un client du débiteur qui accepte de financer l’activité de l’entreprise en procédant à l’acquisition, payée d’avance, d’une importante production future de marchandises, gage de respect du business plan présenté au Tribunal ;
– dans le cadre de l’exécution d’un plan de cession, pour venir garantir le financement d’un plan de sauvegarde de l’emploi afin de restaurer la paix sociale ou encore sécuriser le tiers qui aurait financé les besoins en fonds de roulement de l’activité reprise et demeurant convalescente.
La réalisation de la fiducie, contrairement à d’autres sûretés, s’avère très souple et rapide, car elle est entièrement à la main du fiduciaire, propriétaire exclusif des actifs affectés en fiducie.
C’est le seul mécanisme de sûreté en droit français véritablement « bankruptcy remote ».
Ainsi, l’ouverture d’une procédure collective du constituant n’affecte pas le droit exclusif du bénéficiaire désigné sur les actifs fiduciaires à concurrence de la dette garantie.
“Il est par exemple possible de prévoir une prise de contrôle progressive par le bénéficiaire de l’actif fiduciaire, en cas de non-respect de certains milestones prévus au contrat de fiducie”
La position du bénéficiaire est en outre particulièrement privilégiée puisqu’il ne peut se voir imposer une réduction de sa créance dans le cadre des comités de créanciers, à l’inverse des titulaires de toutes les autres sûretés existantes, qui peuvent subir la loi de majorité desdits comités.
Deux hypothèses peuvent se présenter quant à l’issue finale de la fiducie :
– soit le débiteur, constituant de la fiducie, rembourse intégralement la dette garantie et les actifs fiduciaires lui sont restitués par le fiduciaire ;
– soit le débiteur ne rembourse pas la dette garantie, et la propriété des actifs ou, plus couramment, le prix de cession des actifs fiduciaires, est alors définitivement transféré, par le fiduciaire au bénéficiaire, dans la limite du montant de la dette garantie, après évaluation des actifs fiduciaires par le biais d’une expertise, et ce afin d’éviter tout enrichissement indu du bénéficiaire du seul fait de la fiducie.
L’outil est également vanté pour son extrême souplesse, parfaitement adaptée à l’inventivité juridique et financière que requiert toute restructuration complexe.
Il est par exemple possible de prévoir une prise de contrôle progressive par le bénéficiaire de l’actif fiduciaire, en cas de non-respect de certains milestones prévus au contrat de fiducie.
Ce type de dispositif s’avère très apprécié des acteurs de la restructuration, en ce qu’il permet de mettre en place une gradation dans la réalisation de la fiducie, avec des étapes préalables au processus d’attribution des actifs (ou du prix de cession desdits actifs) au profit du bénéficiaire.
On peut notamment citer la très répandue fiducie-sûreté sur titres où le propriétaire fiduciaire exerce les droits de vote sur instructions du constituant jusqu’à la survenance d’un cas de défaut (par exemple en cas de non-respect d’un ratio financier), date à partir de laquelle c’est le bénéficiaire qui instruira le fiduciaire.
L’essentiel est ici de contraindre le débiteur-constituant à mettre en œuvre au plus vite les mesures identifiées comme propices au redressement de l’entreprise afin de conserver la valeur de la société cible plutôt que de réaliser coûte que coûte la fiducie à des conditions potentiellement défavorables.
On pense également à la fiducie-sûreté portant sur des créances futures dans laquelle certains cas de défaut, au lieu de déclencher la déchéance du terme du prêt, entraînent simplement l’obligation pour le fiduciaire de rediriger certains flux, jusque-là perçus par le débiteur pour financer son activité, vers le pool bancaire, en remboursement du prêt, selon le waterfall prévu à la convention de crédit.
Grâce au niveau de sécurité qu’elle offre et à sa polyvalence, la fiducie a d’ores et déjà démontré ses capacités à débloquer des situations critiques et à inciter des investisseurs à apporter des fonds à l’entreprise lorsque toutes les voies de financement classique se fermaient devant elle.
Cet outil ne nécessite aucune mobilisation d’actif, susceptible de paralyser l’activité du débiteur-constituant, tout en offrant au créancier-bénéficiaire le confort nécessaire face à un risque de défaut généralement significatif.
Elle est donc avantageuse tant pour le créancier que pour le débiteur en difficulté, qui peut ainsi se voir octroyer des financements qu’il n’aurait pas pu espérer sans offrir à son créancier le bénéfice de cette sûreté solide.
Le candidat apporteur de fonds, ainsi prémuni contre les aléas futurs de l’entreprise, peut continuer à financer et accompagner l’entreprise dans son redressement, dans une logique gagnant-gagnant.
- Focus sur le dispositif clé du contrat fiduciaire : la convention de mise à disposition
Le transfert juridique de propriété n’empêche aucunement le débiteur-constituant de conserver contractuellement, au moyen d’une clause de mise à disposition insérée dans le contrat fiduciaire ou d’une convention ad’ hoc, l’usage et la jouissance des actifs ou biens affectés en fiducie et donc, en quelque sorte, leur « propriété économique ».
Cette mise à disposition se traduit le plus souvent par un contrat sui generis afin d’éviter d’être soumis au régime contraignant de contrats spéciaux, tels que le bail ou la location-gérance.
La fiducie-sûreté, ainsi adossée à une convention de mise à disposition, concilie parfaitement les intérêts des créanciers, qui souhaitent se voir conférer une sûreté efficace sans assumer l’ensemble des risques inhérents au droit de propriété, avec ceux du débiteur, qui doit conserver la possibilité de se mettre à l’abri d’une exécution de la fiducie en procédure collective, dans la perspective de la présentation d’un plan.
Dans un tel cas, la réalisation de la garantie fiduciaire, dite sans dépossession, sera paralysée pendant la période d’observation de la procédure collective et, en cas d’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement, pendant l’exécution dudit plan, soit une durée pouvant aller, en principe, jusqu’à dix ans.
Le créancier retrouvera néanmoins l’intégralité de ses droits en cas de conversion de la procédure en liquidation judiciaire du débiteur et/ou en cas d’adoption d’un plan de cession.
En l’absence de mise à disposition (fiducie avec dépossession), le bénéficiaire pourra en revanche réaliser sa sûreté dès la survenance d’un cas de défaut, indépendamment de l’ouverture d’une procédure collective.
Les conséquences attachées à la présence d’une mise à disposition sont donc loin d’être sans incidence sur la situation du bénéficiaire.
Les parties au contrat et leurs conseils se doivent donc d’être particulièrement vigilants sur ce point, une rédaction maladroite pouvant, en cas de litige, conduire le juge à considérer que les parties ont tacitement voulu mettre en place une convention de mise à disposition.
C’est ainsi que, par sa polyvalence, sa souplesse et son efficacité éprouvée, la fiducie permet de créer un cadre sécurisant pour le créancier et, par conséquent, propice au financement des entreprises en difficulté.
Sur l’auteur : Romain Lantourne est Avocat au barreau de Paris depuis 2015. Il intervient principalement en matière de traitement des entreprises en difficulté, de fiducie et de fusions-acquisitions.
Il participe à l’élaboration de solutions juridiques innovantes au service de la prévention et sauvegarde des entreprises en difficulté, notamment à travers le financement des périodes critiques grâce aux fiducie-sûretés.
Pour aller plus loin : http://ftpa.com/lequipe/romain-lantourne/