Dans un contexte d’inflation, de pénurie et de revendications sociales, les relations inter et intra entreprises se tendent, affectant leur rentabilité et parfois même leur pérennité . Ces conflits, nés ou en gestation, peuvent alors être à l’origine des difficultés de l’entreprise et le risque comme la durée d’une action en justice sont souvent peu compatibles avec le calendrier d’une procédure, amiable ou collective. Le recours à la médiation peut alors être une solution judicieuse pour régler le litige « par le haut » et sortir rapidement du conflit.
Hayette Khellas, avocat associé chez Fidal, médiateur agréé CMAP et Alexandre Lercher, docteur en droit et Juriste MARD auprès du CMAP nous apportent leur éclairage sur l’intérêt de recourir à ces modes alternatifs de règlement des conflits et plus particulièrement sur les avantages de la médiation pour les praticiens du restructuring.
Que ce soit pour le dirigeant ou les organes de la procédure collective, prendre le risque d’un procès, le financer et in fine réussir à obtenir l’exécution d’une décision dans des temps acceptables et compatibles avec le calendrier de la procédure, qu’elle soit amiable ou collective, n’est pas chose aisée.
Le garde des Sceaux l’a d’ailleurs bien compris en annonçant le lancement, lors d’une conférence de presse, le 5 janvier dernier, d’une véritable « politique de l’amiable » avec notamment la création de deux nouvelles procédures intégrées dans le code de procédure civile, pour permettre aux parties de trouver un accord : la césure et l’audience de règlement amiable.
Le recours aux modes amiables et plus particulièrement à la médiation en présence d’un différend susceptible de mettre en péril l’entreprise ou dans un contexte dégradé, fait sens et présente bien des avantages.
Qu’est-ce que la médiation commerciale ?
- Ce qu’elle est :
Quelle soit prévue dans une convention (contrat commercial, pacte d’actionnaires), proposée par les avocats ou un juge, la médiation est un mode amiable qui peut se définir comme un processus volontaire et structuré, par lequel deux ou plusieurs parties recherchent un accord, pour résoudre amiablement le différend qui les oppose, avec l’aide d’un tiers choisi par elles, impartial, neutre, indépendant et maîtrisant des compétences et techniques spécifiques (cf. art. 1530 CPC).
Elle peut être judiciaire (art. 131-1 et s. CPC), conventionnelle (art. 1530 et s. CPC) et permet, en application de l’article 2238 du code civil, de suspendre la prescription.
Du côté de la médiation conventionnelle, certaines grandes sociétés ont prévu et organisé un processus de médiation, en interne, afin d’anticiper et gérer l’escalade du conflit. Par un arrêt du 11 mai 2022 (Cass. com., 11 mai 2022, n° 20-23.298), la Cour de cassation est venue sécuriser cette pratique en clarifiant l’incidence d’une telle médiation sur la prescription. Le simple courrier de saisine du médiateur interne suffit désormais à suspendre la prescription, sauf existence d’une disposition conventionnelle contraire, exigeant des modalités particulières.
La médiation judiciaire est quant à elle une mesure ordonnée par le juge civil, commercial ou administratif avec l’accord préalable des parties. En matière civile et commerciale, la décision qui ordonne la médiation interrompt les délais impartis pour conclure jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur (Cass. 2e civ., 12 janvier 2023, n° 20-20.941).
La différence entre médiation conventionnelle et médiation judiciaire résulte donc dans les conditions de mise en œuvre du processus, leur déroulement étant ensuite identique.
- Ce qu’elle n’est pas :
La médiation se distingue d’abord de la conciliation judiciaire, au sens des modes alternatifs de règlement des conflits des articles 1536 et suivants du code de procédure civile, qui fait également intervenir un tiers, pour aider des parties à parvenir à un accord. Cette conciliation judiciaire est mise en œuvre par le juge lui-même ou par un conciliateur de justice auquel il aura délégué sa mission de concilier, en application de l’article 21 du code civil, qui prévoit expressément « qu’il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».
Cette conciliation, mode amiable, n’est également pas à confondre avec les dispositions du livre VI du code de commerce qui instaurent, par l’article L. 611-4 du code de commerce, une conciliation pour les débiteurs « qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours ».
La médiation se distingue enfin de l’arbitrage, qu’il soit interne ou international, en ce qu’elle a pour objet de parvenir à un accord amiable entre les parties, grâce à l’intervention d’un tiers qualifié dont le rôle se limite à organiser les débats en laissant aux parties toute liberté pour former un accord mutuellement acceptable sur le fond (sauf en médiation de la consommation où le médiateur peut rendre un avis). Au contraire, l’arbitre tranche le litige par une sentence qui, comme un jugement, s’impose aux parties.
Cependant, tout comme l’arbitrage, la médiation peut s’organiser avec le soutien d’une institution de médiation, elle est alors institutionnelle ou de façon plus informelle elle est alors ad hoc.
Comment se déroule le processus de médiation ?
Avec la médiation, les parties vont essayer de construire elles-mêmes leur propre solution grâce au médiateur. Facilitateur de dialogue, celui-ci va installer les conditions pour que les parties s’écoutent, comprennent le point de vue de l’autre et expriment le leur.
Aussi à chaque fois que l’une des parties s’exprimera en termes de jugement, d’interprétation ou de mise en cause personnelle, le médiateur va reformuler ses propos en l’invitant à revenir à ses besoins, ses sentiments et ses demandes.
Cette approche peut, il est vrai, apparaître surprenante au premier abord, mais elle explique l’efficacité de ce mécanisme de résolution de litige. Si l’on se réfère aux dernières statistiques annuelles du Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP), 70 % des médiations organisées par ce centre débouchent sur un accord. Ajoutons que ces accords sont exécutés volontairement dans plus de 95 % des cas.
Les querelles juridiques et financières sont bien souvent les symptômes d’un mal plus profond. Qu’il s’agisse de conflits entre actionnaires, salariés/employeurs, partenaires commerciaux, l’histoire de l’entreprise, de la famille, de la relation, mais aussi la rivalité, la jalousie, les intérêts divergents, les non-dits, les pressions extérieures, nourrissent et alimentent le conflit. La médiation permet, contrairement à la voie judiciaire de purger les réelles sources du problème.
Un cadre confidentiel et l’aide du médiateur expérimenté sont alors d’excellents outils pour permettre aux acteurs de se (re)parler et de s’écouter, d’identifier ce qui les oppose vraiment et ensuite d’imaginer et de construire ensemble un accord adapté, répondant à leurs besoins respectifs et assurant la pérennité de l’entreprise.
Enfin, la médiation étant basé sur la volonté des parties, ces dernières restent maîtresses du processus du début à la fin. En effet, contrairement à d’autres mécanismes de règlement des litiges, si l’une des parties souhaite mettre fin à la médiation, alors cette dernière s’arrête.
Quel est l’intérêt de la médiation pour les praticiens du restructruring ?
La médiation présente de nombreux avantages. Elle est peu coûteuse, confidentielle et elle permet aux parties de garder le contrôle de la résolution de leur litige. Pourtant, ce mécanisme est peu utilisé en restructuring alors qu’elle y a toute sa place.
Bien souvent des a priori existent sur l’utilité du recours à la médiation :
- nous savons négocier : pas besoin de l’aide d’un tiers ;
- nous avons la procédure de mandat ad hoc et la conciliation qui préservent la confidentialité,
- grâce à la conciliation, nous pouvons opposer un stand still, imposer des délais de grâce et bénéficier d’un privilège de new money précieux (art. L. 611-1 et suivants c. com.) ;
- nous pouvons contraindre le créancier à des abandons de créances ou des moratoires pouvant aller jusqu’à 10 ans dans le cadre de l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de continuation (art. L. 626-1 et s. et L. 631-19 et s. c. com).
Ces dernières mesures coercitives tranchent avec la souplesse du processus de médiation qui permet de manière efficace de traiter les conflits lorsque les parties ont intérêt à préserver la relation. En effet, une fois que le créancier (partenaire bancaire, commercial, associé) aura été contraint par les règles redoutables du livre VI du code de commerce, le lien de confiance et les perspectives de collaboration seront bien souvent réduites à néant.
Quel que soit le stade, la médiation est particulièrement adaptée aux entreprises en difficulté car elle permet de :
- gagner du temps et d’économiser de l’argent ;
- perturber le moins possible la bonne marche de l’entreprise ;
- préserver la relation entre les parties ;
- d’inventer une solution sur mesure ;
- d’obtenir un accord effectif et durable.
Les praticiens, médiateurs et avocats, connaissent l’efficacité de la médiation en termes d’apaisement social, qu’il s’agisse de retrouver un équilibre rompu, de renouer une relation, ou d’accélérer le traitement d’un contentieux, pour permettre aux entreprises en difficultés de régler leur litige « par le haut » et de retrouver un climat propice à sa restructuration et au développement de ses activités.
Nul doute que ces avantages feront échos auprès des chefs d’entreprises et des professionnels du restructuring.
Par Hayette Khellas, Fidal – avocat associé, Médiateur agréé CMAP et Alexandre Lercher, CMAP – juriste MARD , docteur en droit.