La rédaction des textes qui régissent les sanctions en matière de procédures collectives donne lieu à des décisions contraires à l’efficacité économique et incohérentes en termes de procédure et au regard de la tendance politique générale. Elle constitue une entrave aux démarches précoces de prévention des difficultés qui doit être réformée, spécialement avant que les effets de la pandémie n’impactent gravement les entreprises. C’est précisément la raison d’être de la proposition numéro 50 – notamment inspirée par l’ARE qui a été consultée dans ce cadre – du rapport d’information de la mission parlementaire relative aux entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire restitué le 21 juillet dernier. Eclairage de la Commission Juridique du Think Tank de l’ARE par Virginie Verfaillie-Tanguy – Avocate, Présidente de l’ARE et Serge Pelletier – Avocat.
Un arrêt de la Cour de Cassation du 9 décembre 2020² est une nouvelle occasion d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité absolue de modifier en profondeur les règles de responsabilité du chef d’entreprise en cas de liquidation judiciaire.
Le principe qui s’en dégage est que le liquidateur n’a pas la capacité de transiger sur les sanctions personnelles qui concernent l’intérêt général et non pas l’intérêt collectif des créanciers.
Pour en saisir la portée et l’enjeu, rappelons qu’en cas de faute de gestion le dirigeant d’une entreprise en procédure collective peut être condamné à des sanctions patrimoniales (comblement de passif) ou personnelles (faillite personnelle, interdiction de gérer, incapacité d’exercer une fonction publique, etc.). Les règles applicables en la matière sont si floues que le résultat des actions est très différent d’une juridiction à l’autre, ce qui exclut toute sécurité juridique.
Comme dans tout procès, l’alternative au jugement est la transaction et l’insécurité juridique la rend nécessaire.
L’arrêt du 9 décembre 2020 est particulièrement problématique : le principe qui s’en dégage est gravement incohérent sur les plans de l’efficacité économique, de la logique procédurale élémentaire, du développement des alternatives au traitement judiciaire, et de l’incitation au recours anticipé aux procédures de prévention des difficultés.
En matière de sanction patrimoniale, la transaction n’est pas directement remise en cause par l’arrêt du 9 décembre 2020. Toutefois, après avoir rappelé que, le plus souvent, les mêmes faits sont indifféremment invoqués au soutien des demandes en comblement de passif et en faillite personnelle, il va de soi que le dirigeant ne sera enclin à payer une indemnité dans une transaction que si elle met fin à l’ensemble du litige, y compris aux sanctions personnelles, donc. En outre, les transactions avec contribution volontaire au passif permettent de payer rapidement les créanciers, même si ce n’est que partiellement. A l’inverse, une condamnation sera prononcée dans un temps plus long avec un espoir d’exécution – et donc de désintéressement pour les créanciers – le plus souvent limité. L’efficacité économique va donc dans le sens des transactions et c’est précisément pourquoi les liquidateurs y sont favorables.
Ensuite, l’article 1er du CPC dispose que les parties ont la liberté de mettre fin à l’instance. Sur le plan de la logique procédurale, il y a une incohérence à permettre au liquidateur d’initier une procédure en faillite personnelle ou en interdiction de gérer, d’une part, et de lui interdire d’y mettre fin par une transaction, d’autre part. Par ailleurs, il faut rappeler qu’une contribution jugée suffisante au paiement du passif permet à un dirigeant frappé d’une incapacité d’exercer une fonction publique d’être relevé de la sanction. On comprend mal que la contribution volontaire au passif – dont le caractère suffisant est apprécié en amont dans le cadre de la transaction en matière de sanction patrimoniale – ne permette pas d’éviter la condamnation puisqu’elle permet d’en être relevé. Et la différence de traitement entre l’interdiction de gérer une entreprise et celle d’exercer une fonction élective (qui, le plus souvent, suppose le maniement de fonds publics) n’est pas plus compréhensible.
Par ailleurs, depuis 20 ans, les politiques ont cherché à désengorger les tribunaux par la promotion des modes alternatifs de règlement des conflits, imposant même une recherche de solution amiable avant tout procès dans le cadre des dernières réformes de la procédure civile. Ces alternatives existent même en matière pénale pour quantité de délits punissables d’une peine de prison de moins de cinq ans pour des faits socialement et moralement perçus comme bien plus graves que les conséquences d’une liquidation judiciaire même provoquée par fraude.
Ce n’est qu’après de nombreuses années de procédure nécessairement coûteuse que le dirigeant poursuivi peut espérer se tirer de la machine judiciaire non sans avoir tout perdu. On comprend dès lors le peu d’entrain qu’il puisse avoir à demander, pour son entreprise, l’assistance d’un Tribunal qui, à terme, peut potentiellement le broyer personnellement.
L’enjeu est crucial : les chances de survie d’une entreprise sont directement corrélées au stade des difficultés financières et opérationnelles auquel le dirigeant s’adresse au Tribunal. Les procédures de prévention (mandat ad hoc, conciliation, sauvegarde) aboutissent dans une large majorité à des solutions qui assurent la pérennité de l’activité et des emplois. Ces derniers ne sont en revanche préservés que dans une minorité de cas lorsque la situation financière ne laisse pas d’autre choix que le redressement ou la liquidation judiciaire. C’est donc au premier stade des difficultés que le chef d’entreprise doit se tourner vers le Tribunal.
Que l’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas ici de dédouaner les dirigeants malhonnêtes. Mais devant certaines juridictions, les condamnations sont quasiment automatiques et le simple fait que cela soit possible n’est pas acceptable dans une démocratie.
Des condamnations sont prononcées annuellement dans environ 2000 dossiers de sanctions personnelles et 250 dossiers de comblement de passif. Certains pourraient arguer que ces statistiques ne justifient pas que le législateur se saisisse d’une réforme en la matière. Mais dans les années qui ont précédé son abolition, la peine de mort était requise en moyenne 15 fois par an, prononcée 3 ou 4 fois et exécutée 1 fois tous les 2 ans. Et il est heureux que le législateur se soit saisi du sujet !
Par Virginie Verfaillie-Tanguy et Serge Pelletier
1 « Proposition n° 50 : Réformer le régime de la faute de gestion ayant contribué à une insuffisance d’actif. – Instaurer dans le droit positif un principe de proportionnalité entre le préjudice causé et la sanction prononcée. – Prévoir un principe de prescription triennale. – Envisager de définir précisément dans le droit la faute de gestion, pour apporter de la sécurité juridique. »
2 Cass. com. 9 décembre 2020 n°19-17.258