Avec deux arrêts du 21 mars 2023 (n°450012 et n°460660), le Conseil d’Etat se prononce sur l’étendue des obligations de l’administration en ce qu’elle est notamment chargée de contrôler, en vue d’une décision de validation ou d’homologation du PSE, la régularité de la procédure d’information – consultation du comité social et économique (ci-après « CSE ») et la conformité du document unilatéral ou de l’accord portant plan de sauvegarde de l’emploi (ci-après « PSE »). Cette jurisprudence est tout autant applicable aux entreprises in bonis qu’aux entreprises en difficulté. L’éclairage de Cécile Terrenoire, avocate associée au département droit social chez FIDAL.
A l’origine de chacune des deux affaires soumises à l’examen du Conseil d’Etat, se trouve une action en nullité d’une décision d’homologation d’un document unilatéral (ci-après « DU ») portant PSE. Son fondement : l’absence de contrôle administratif du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Dans les deux cas, la cour administrative d’appel de Versailles, annulant le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une part et confirmant le jugement du tribunal administratif de Montreuil d’autre part, annule la décision d’homologation. Pour la juridiction du fond, le contrôle préalable à cette décision, en ce qu’il concerne la régularité de la procédure d’information – consultation du CSE et la conformité du DU portant PSE aux dispositions applicables, aurait dû s’étendre au respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Le Conseil d’Etat approuve l’annulation des décisions d’homologation pour ce motif.
Fondement et principe posé par les arrêts du Conseil d’Etat du 21 mars 2023
Les arrêts du 21 mars 2023 sont rendus sur le fondement de quatre articles principaux, tous issus du code du travail :
- L’article L. 1233-57-3 relatif à l’obligation de contrôle, par l’administration saisie d’une demande d’homologation d’un DU, de la conformité de ce dernier aux dispositions applicables et de la régularité de la procédure d’information – consultation du CSE ;
- L’article L. 1233-30 posant le principe de l’information – consultation du CSE sur, d’une part le projet de l’opération projetée, et d’autre part le projet de licenciement collectif ;
- L’article L. 1233-31 énumérant les informations à remettre au CSE en vue de sa consultation, au nombre desquelles « les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail» ;
- Et l’article L. 4121-1 posant le principe que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la santé et protéger la santé physique et mentale des travailleurs», et énumérant les typologies des mesures ainsi attendues (actions de prévention des risques professionnels, actions d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés).
Pour le Conseil d’Etat, « Il résulte de l’ensemble de ces dispositions qu’il incombe à l’autorité administrative, saisie d’une demande d’homologation d’un [DU] portant [PSE], de vérifier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, le respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »
En conséquence, il revient à l’administration « de contrôler tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de l’article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d’application de l’opération projetée ». Le Conseil d’Etat précise que ce contrôle n’est « pas séparable » du contrôle auquel l’administration est tenue en application de l’article L. 1233-57-3 précité, ainsi que des articles L. 1233-61 et L. 1233-24-4 auxquels ce dernier renvoie.
Contrôle du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs
Le Conseil d’Etat précise les modalités du contrôle administratif, en vue d’une décision d’homologation d’un DU portant PSE, du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques. Ainsi, il s’agira de s’assurer :
- Au titre de la vérification de la régularité de la procédure d’information – consultation du CSE :
- « que l’employeur a adressé au [CSE], avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité ou à des observations ou des injonctions formulées par l’administration, parmi tous les éléments utiles qu’il doit lui transmettre pour qu’il formule ses deux avis en toute connaissance de cause» :
- « des éléments relatifs à l’identification et à l’évaluation des conséquences de la réorganisation de l’entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs» ;
- « ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale» ;
- « que l’employeur a adressé au [CSE], avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité ou à des observations ou des injonctions formulées par l’administration, parmi tous les éléments utiles qu’il doit lui transmettre pour qu’il formule ses deux avis en toute connaissance de cause» :
- Et, au titre du contrôle du contenu du DU, dès lors que conduisent à retenir que la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs les « éléments d’identification et d’évaluation des risques », les « débats qui se sont déroulés au sein du… [CSE] », les « échanges d’informations et des observations et injonctions éventuelles formulées lors de l’élaboration du [PSE]» :
- Que l’employeur a arrêté des actions pour remédier à ces risques ;
- Que ces mesures correspondent à des mesures précises et concrètes ;
- Et que ces mesures « prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs».
Conséquences pratiques des arrêts du Conseil d’Etat du 21 mars 2023
Les arrêts du 21 mars 2023, en se prononçant sur le champ et les modalités du contrôle de l’administration saisie d’une demande d’homologation d’un DU portant PSE, définissent implicitement les obligations de l’employeur au titre de ses obligations de prévention des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs.
Ainsi, l’employeur devra remettre au CSE, avec la convocation et l’ordre du jour de la première réunion en vue de sa consultation sur les projets de réorganisation et de licenciement économique :
- Des éléments de contexte et d’analyse, qui devront permettre l’identification et l’évaluation des risques pour la santé ou la sécurité du projet de réorganisation ;
- Une identification et une évaluation de ces risques ;
- Et des mesures préventives précises et concrètes :
- Relevant des typologies de mesures énumérées à l’article L. 4121-1 du code du travail (v. ci-dessus : actions de prévention des risques professionnels, actions d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés).
- Fidèles aux principes énumérés à l’article L. 4121-2 du code du travail – en particulier les suivants : évaluation des risques qui ne peuvent pas être évités, planification de la prévention (en y intégrant, notamment, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales), prise de mesures de protection collective (en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle).
Notons que les informations remises au CSE en vue de la première réunion d’information – consultation sont en principe susceptibles d’être complétées, éventuellement à la suite d’une observation ou d’une injonction administrative, sans report de l’ouverture du délai de consultation. Le caractère précis et concret des mesures préventives pourrait notamment être assuré par une évaluation de leur coût, un calendrier de mise en œuvre et des indicateurs de suivi et de résultat.
Rappelons qu’il appartiendra à l’administration de vérifier si ces mesures « prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs ».
Portée des arrêts du Conseil d’Etat du 21 mars 2023
Au cœur des deux arrêts rendus le 21 mars 2023 se trouvait débattu le champ des opérations de contrôle administratif en vue d’une décision d’homologation d’un DU portant PSE. Il convient de souligner que ces arrêts sont également applicables à la procédure de validation d’un accord portant PSE. En effet, dans un cas comme dans l’autre, l’administration est tenue d’examiner la régularité de la procédure d’information – consultation du CSE, ainsi que la conformité du contenu de l’accord portant PSE aux dispositions légales et, le cas échéant, conventionnelles (c. trav., art. L. 1222-57-3 et L. 1233-57-4). Par ailleurs, les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail sont applicables sans distinction selon que le projet de réorganisation implique, ou non, un licenciement collectif ou, a fortiori un PSE négocié ou unilatéral.
En tout état de cause, le Conseil d’Etat a pris le soin de souligner que le contrôle opéré par l’administration est placé « sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, seul compétent ». Autrement dit, l’appréciation administrative du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, pourrait être remise en cause par le juge administratif – lequel peut être saisi dans un délai de deux mois à compter de la décision de validation ou d’homologation (c. trav., art. L. 1235-7-1).
Enfin, le Conseil d’Etat l’explicite sans ambiguïté : cette jurisprudence est applicable « y compris pour les sociétés en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire ». Ainsi, même si l’entreprise est en grave, voire très grave, difficulté, une décision de validation ou d’homologation du PSE peut faire l’objet d’une annulation contentieuse en raison d’un manquement de l’employeur à ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Par Cécile Terrenoire, Avocate associée
Département Droit social, Cabinet Fidal