Etienne Feildel, avocat associé au sein du cabinet Bruzzo Dubucq et Mathieu Couvé, collaborateur, reviennent, pour Mayday, sur la question de la confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation à l’aune de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 22 novembre 2023 (n°22-17.798).
Les procédures amiables de traitement des difficultés de l’entreprise ont des avantages qu’il n’est plus nécessaire de présenter : souplesse, célérité, efficacité, mais surtout, confidentialité. L’article L.611-15 du code de commerce dispose ainsi que « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité. » La confidentialité est, en effet, le principal avantage des mesures amiables dans la mesure où elle incite vivement le débiteur à y prendre part pour prévenir ses difficultés.
Toutefois, une telle obligation de confidentialité n’est pas sans poser quelques difficultés pratiques : l’arrêt rendu le 22 novembre 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation nous en propose une illustration intéressante.
Selon l’arrêt visé, la levée de la confidentialité pourrait être ordonnée, dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre de l’examen d’une demande d’ouverture de procédure collective
En l’espèce, à l’occasion de l’examen d’une demande d’ouverture d’un redressement judiciaire, le tribunal avait, à la demande du ministère public, décidé d’ordonner avant-dire droit (c’est-à-dire avant de statuer sur la demande d’ouverture elle-même) la production des éléments relatifs à une procédure de mandat ad hoc, ouverte un an plus tôt.
Après confirmation du jugement en appel, le débiteur formait un pourvoi en estimant que les dispositions de l’article L.621-1 alinéas 4 et 5 du Code de commerce (applicables au redressement judiciaire par renvoi de l’article L.631-7) n’ouvriraient la possibilité d’une levée de la confidentialité qu’après l’ouverture de la procédure, et non avant dans le cadre d’un jugement avant-dire droit.
Il est vrai qu’en se tenant à la lettre de l’article L.621-1 la question pouvait légitimement se poser : en effet, si l’alinéa 3 dudit article vise expressément la possibilité pour le tribunal de commettre « avant de statuer » un juge pour évaluer la situation financière de l’entreprise, on ne retrouve pas une telle précision « chronologique » aux alinéas 4 et 5 s’agissant de la levée de la confidentialité d’un précédent mandat ad hoc ou conciliation.
Ainsi, l’alinéa 4 indique simplement que « l’ouverture d’une procédure de sauvegarde (ou de redressement) à l’égard d’un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d’un mandat ad hoc ou d’une procédure de conciliation dans les dix-huit mois qui précèdent doit être examinée en présence du ministère public », et que « dans ce cas », selon l’alinéa 4, « le tribunal peut, d’office ou à la demande du ministère public, obtenir communication des pièces et actes relatifs au mandat ad hoc ou à la conciliation, nonobstant les dispositions de l’article L. 611-15. »
Au terme de son arrêt, la Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi en estimant, en substance, qu’en application de l’article L.621-1 alinéas 4 et 5 du Code de commerce, la levée de la confidentialité attachée au mandat ad hoc ou la conciliation peut être ordonnée avant l’ouverture effective de la procédure, dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre de l’examen d’une demande d’ouverture de procédure collective faite par un débiteur ayant fait l’objet d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation au cours des 18 derniers mois.
Ce faisant, la Cour de cassation considère donc l’ouverture d’une procédure collective comme un ensemble procédural et non comme un marqueur temporel précis et intraitable. Une telle solution, qui permet d’éclaircir une certaine ambiguïté des textes, mérite sans doute d’être approuvée en pratique dès lors qu’elle est de nature à permettre au tribunal d’être davantage éclairé sur les circonstances ayant conduit à l’ouverture de la procédure, tout en conservant un cadre strict.
Une portée de l’arrêt qui doit être relativisée
Ceci étant, la portée de cet arrêt doit selon nous être relativisée : en effet, il convient de rappeler que la levée de la confidentialité telle que prévue par l’article L.621-1 ne vise que la communication des pièces au seul tribunal, lors de l’ouverture de la procédure, et non aux parties elles-mêmes et notamment pas aux organes de la procédure (notons au passage que le ministère public, qui peut être à l’origine de la demande de levée de confidentialité, n’est même pas visé parmi les destinataires des pièces…).
Quid des hypothèses de demandes production forcée ou de communication de pièces issues de la conciliation en dehors du cadre spécifique de la levée de la confidentialité de l’article L.621-1 du Code de commerce : est-elle possible, et si oui sous quelles conditions ?
La jurisprudence rendue à ce sujet demeure encore incertaine.
Au terme d’un arrêt du 5 octobre 2022, on peut relever que la Cour de cassation avait pu rejeter un pourvoi dirigé contre un arrêt ayant écarté des débats des pièces issues d’une procédure de de conciliation, mais uniquement au motif que le moyen postulant que l’obligation de confidentialité ne s’appliquerait pas aux parties manquerait en droit[1].
Autrement dit, la question était mal posée, étant précisé qu’à notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est jamais expressément prononcée sur la question de savoir si une pièce issue d’une procédure de conciliation pourrait être communiquée, en dehors de la procédure de levée de confidentialité.
De leur côté, la disparité des décisions rendues par les juges du fond témoigne de cette difficulté, et de la nécessité d’une clarification législative ou jurisprudentielle : à titre d’illustration, on relèvera un arrêt de la Cour d’appel de Douai ayant admis une « levée » de confidentialité de pièces issues de la conciliation au profit du dirigeant faisant l’objet d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, en raison du caractère « légitime » de cette demande pour l’exercice de ses droits de la défense[2].
Et de fait, on peut légitimement se demander si l’obligation de confidentialité, fulminée de manière absolue par l’article L.611-15 du Code de commerce, ne devrait pas supporter quelques tempéraments dans certains cas, en dehors de l’hypothèse particulière de levée de confidentialité évoquée ci-avant, notamment pour les besoins de l’exercice des droits de la défense, ou plus largement du droit à la preuve.
Rappelons à cet égard qu’à l’origine, cette obligation de confidentialité avait été introduite par la loi de sauvegarde du 11 juillet 2005 dans le but de « remplace(r) l’obligation de respecter le secret professionnel, sous peine de la sanction pénale prévue par l’articles 226-13 sous les réserves de l’article 226-14 du code pénal (…) par l’obligation civile de confidentialité, dont le non-respect serait susceptible d’actions en responsabilité. »[3]
Dans ce contexte, il serait sans doute de bonne méthode de faire preuve de pragmatisme, et s’inspirer des solutions retenues en matière de violation du secret professionnel de manière à dessiner de manière plus précise les contours de cette obligation de confidentialité, dont on peine décidément encore à percer tous les mystères…
Par Maîtres Etienne Feildel et Mathieu Couvé, avocats au sein du cabinet Bruzzo Dubucq
[1] Com., 5 octobre 2022, n°21-13.108.
[2] CA Douai, 7 juillet 2016, n°15/04411
[3] Rapport X. Roux n°2095 du 24 février 2005 relatif au projet de loi de sauvegarde des entreprises, page 181