Dans un arrêt du 27 janvier 2023 (n°20/02125), la Cour d’Appel de Douai rappelle le principe selon lequel la conclusion d’un contrat de travail en redressement judiciaire n’est pas un acte de gestion courante et nécessite la co-signature de l’administrateur judiciaire. Etienne Masson et Laurent Grisoni, avocats chez GM Associés nous apportent leur éclairage sur cette question à la lumière de cette décision.
La conclusion d’un contrat de travail – ou la notification de sa rupture – dans une société en redressement ou liquidation judiciaire, comme la signature d’un avenant, n’est pas un acte de gestion courante.
La Cour d’Appel de Douai, dans un arrêt du 27 janvier 2023 (n° 20/02125) rappelle ce principe pour la conclusion d’un contrat de travail. Cette position n’est pas nouvelle, elle suit une tendance jurisprudentielle dégagée de longue date par la Cour de Cassation (Cour de cassation chambre sociale 30 mai 2001 n° 99-42.769, 17 octobre 2006 n° 04-45.827, 29 mai 2013 n° 11’22.834, 5 novembre 2014 n° 13-19.662, 26 novembre 2015 n° 14-19.680).
La particularité de cet arrêt tient en ce que le contrat de travail conclu était d’abord un CDD transformé par la suite en CDI par voie d’avenant pendant la période d’observation, aucun des deux contrats n’ayant été signé par l’administrateur judiciaire.
La conclusion du contrat de travail, quelle que soit sa forme ou sa durée, n’est pas un acte de gestion courante
En l’espèce, l’appelant faisait valoir que les actes de gestion qu’accomplit seul le débiteur sont réputés valables à l’égard des tiers de bonne foi, que les contrats de travail à durée déterminée avaient été signés au motif d’un accroissement temporaire d’activité, et devaient être considérés comme des actes de gestion courante ne nécessitant pas l’assistance du juge commissaire.
Cette argumentation est rejetée par la Cour en considérant que la conclusion d’un contrat de travail, à durée déterminée et a fortiori à durée indéterminée, ne constitue pas, en principe, un acte de gestion courante : « Contrairement à ce que soutient l’appelant, compte-tenu de la mission d’assistance confiée à l’administrateur, l’employeur ne pouvait engager seul, et pour une durée indéterminée, M. [Z], sans autorisation de surcroît du juge commissaire ».
La sanction de l’absence de co-signature de l’administrateur judiciaire ? Nullité ou inopposabilité ?
La sanction d’un contrat de travail conclu pendant la période d’observation (ou la période de poursuite d’activité en liquidation judiciaire) et qui n’est pas co-signé par l’administrateur judiciaire (ou le mandataire judiciaire/liquidateur) n’est pas la nullité de l’acte mais l’inopposabilité du contrat à la procédure. En pratique, aucune créance salariale résultant de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail ne sera prise en charge par l’AGS ce qui peut s’avérer très préjudiciable pour le salarié notamment en cas de liquidation judiciaire.
Et la notification du licenciement pour un autre motif que le licenciement pour motif économique ?
La notification d’un licenciement, pour un motif autre que le motif économique, obéit aux mêmes règles et aux mêmes sanctions comme le rappelle la Cour de cassation dans un arrêt en date du 8 décembre 2016, n°15-19172 : « Et attendu ensuite que la cour d’appel a retenu, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que le licenciement disciplinaire prononcé sans l’assistance de l’administrateur judiciaire chargé d’assister la société pour tous les actes de gestion, n’avait pas été ratifié par ce dernier ; qu’elle en exactement déduit qu’il était inopposable à la procédure collective » ;
Des tempéraments sont admis dans l’hypothèse d’une ratification expresse ou tacite de l’administrateur judiciaire et ce même a postériori
Compte tenu des conséquences importantes de l’inopposabilité de la conclusion et/ou de la rupture du contrat de travail en redressement judiciaire sans co-signature, la jurisprudence admet un tempérament à ce principe en considérant qu’une ratification expresse ou tacite et à tout le moins non équivoque de l’administrateur judiciaire régularise la situation.
Toutefois, ce tempérament est apprécié de façon stricte par les juges du fond : le seul fait de verser des salaires pendant la période d’observation ne démontre pas l’approbation non équivoque de l’administrateur judiciaire (CA Versailles – 2 septembre 2021 – n°19/02845).
De la même façon, la seule réception de documents mentionnant la procédure de licenciement et la réception de la copie de la lettre de licenciement par l’administrateur judiciaire ne vaut pas ratification tacite du licenciement (CA Paris 16 octobre 2018 – n°14/00594).
Est-ce qu’en revanche, la co-signature de l’attestation employeur et du certificat de travail par l’administrateur judiciaire est susceptible de caractériser une approbation /ratification rendant dès lors la rupture du contrat de travail opposable à la procédure ? Aucun cas similaire n’a à ce stade été tranché par les juges du fond mais il est probable que ce soit le cas.
Par Laurent Grisoni et Etienne Masson, Avocats Associés – cabinet GM Associés