L’ouverture d’une procédure collective est source d’inquiétude. Pour le chef d’entreprise, bien entendu, mais aussi pour les salariés qui s’inquiètent notamment pour le paiement de leur rémunération : « Mes salaires vont-ils être payés ? » « Qui va en assurer le paiement si mon employeur n’en a plus les moyens ? » « Ai-je des démarches particulières à effectuer ? »
C’est à ces questions que Côme de Girval, avocat spécialiste en droit du travail au sein du cabinet Capstan propose d’apporter quelques éléments de réponse.
Mayday : Les salariés doivent-ils effectuer des démarches pour informer les organes de la procédure collective que certaines de leurs rémunérations restent impayées ?
Côme de Girval : Après l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde judiciaire, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire) les créanciers de l’entreprise défaillante sont normalement contraints de déclarer leurs créances auprès d’une personne, qui a été désignée par le tribunal de commerce et que l’on appelle le mandataire judiciaire.
Les salariés et les anciens salariés licenciés avant l’ouverture d’une procédure collective ne sont pas contraints par la même démarche. Ils n’ont pas besoin de déclarer leurs créances, le mandataire judiciaire ayant la charge de les déterminer lui-même et d’informer chaque salarié de la nature et du montant des créances qu’il détient sur la société.
Toutefois, par précaution, le salarié peut prendre contact avec le mandataire judiciaire s’il n’a pas été contacté dans les 10 jours qui suivent le jugement d’ouverture.
Mayday : De quelle manière ces créances salariales sont-elles établies ?
CDG : L’entreprise en difficulté et l’administrateur judiciaire vont transmettre au mandataire les informations nécessaires pour connaitre les salaires et indemnités restant dus aux salariés. A partir de ces informations, le mandataire judiciaire va établir des relevés de créances. Deux relevés concernent les créances salariales dues au jour du jugement d’ouverture. Deux autres concernent les créances liées à la poursuite de l’activité.
Mayday :De quels délais le mandataire judiciaire dispose-t-il pour établir ces relevés de créances ?
CDG : Ces délais sont heureusement brefs. Ils sont de 10 jours ou de 3 mois.
Ainsi, le relevé des créances nées antérieurement à l’ouverture de la procédure collective doit être établi dans un délai de :
– 10 jours à compter du jugement d’ouverture pour les créances « superprivilégiées » ;
– et 3 mois à compter du jugement d’ouverture pour les autres créances.
« La contestation du relevé des créances salariales doit, en principe, intervenir dans un délai de deux mois, à compter de la publication de l’avis indiquant que le dépôt du relevé des créances au tribunal de commerce a été effectué »
Mayday : Les relevés des créances salariales font-ils l’objet de vérification ?
CDG : Oui. Les relevés des créances salariales sont d’abord vérifiés par le représentant des salariés. Il s’agit d’un salarié de l’entreprise désigné par les représentants du personnel ou les salariés eux-mêmes. Le mandataire judiciaire doit lui communiquer tous documents et informations utiles pour procéder à ses vérifications.
Les relevés de créances doivent enfin être visés par le juge-commissaire. Compte-tenu du nombre des personnes déjà intervenues pour établir ces relevés, ce dernier visa est plutôt formel. Il est, toutefois, obligatoire.
Mayday : Les relevés des créances salariales font-ils l’objet de publicités particulières ?
CDG : Oui. Ils sont déposés au greffe du tribunal de commerce. Un avis indiquant que le dépôt a été effectué est publié dans un journal d’annonces légales.
Parallèlement, le mandataire judiciaire doit informer chaque salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées.
Ces relevés de créances sont enfin transmis au Centre de Gestion et d’Etude AGS (CGEA) et serviront, le cas échéant, pour déterminer le montant des avances que cet organisme devra effectuer.
Mayday : Vous dites que ces relevés serviront pour déterminer le montant des avances versées par l’AGS. Ils sont donc importants. Peuvent-ils faire l’objet d’une contestation en cas de désaccord avec la mandataire ?
CDG : Oui. Même si les mandataires judiciaires font un travail très précis, un salarié a parfois intérêt à critiquer les relevés de créances, soit parce qu’une créance a été omise, soit en raison d’un désaccord sur son montant ou sa nature.
La contestation du relevé des créances salariales doit, en principe, intervenir dans un délai de deux mois, à compter de la publication de l’avis indiquant que le dépôt du relevé des créances au tribunal de commerce a été effectué. Le salarié « oublié » dont les créances ne sont pas mentionnées pourra, toutefois, saisir le conseil de prud’homme dans un délai de six mois. Le tribunal compétent pour entendre de ces contestations est le conseil de prud’hommes.
Mayday : Vous parliez de l’AGS. Quels sont les mécanismes particuliers qui existent pour permettre le paiement des rémunérations dues aux salariés ?
CDG : Il existe deux principaux mécanismes de protection des créances salariales :
– le premier est appelé le « privilège »,
– le second, que nous avons déjà évoqué, est celui de l’AGS.
Mayday : Avant de parler du mécanisme de l’AGS, pouvez-vous décrire pour nos lecteurs, en quelques mots, ce que vous appelez le « privilège » ?
CDG : Juridiquement, un « privilège » est le droit de faire valoir sa créance par préférence à celle des autres créanciers. Autrement dit c’est le droit d’être payé par priorité.
Lorsqu’une créance ne bénéficie d’aucun privilège on parle de créance chirographaire. Heureusement, en pratique, la grande majorité des créances des salariés bénéficient d’un privilège. Il existe trois types de privilèges dont les salariés peuvent bénéficier.
Le premier est appelé le « privilège général des salariés ». Il est défini par le Code civil. Ce privilège couvre l’essentiel des créances salariales nées avant le jugement d’ouverture. Son efficacité est, en revanche, relative. D’autres créanciers pourront donc être payés par priorité.
Le deuxième est appelé le « superprivilège ». Les créances couvertes par ce « privilège » priment sur toutes les autres. Elles doivent donc être payées par priorité sur toutes les autres. En revanche, ce superprivilège couvre un champ de créances moins important que « le privilège général des salariés ».
Le dernier est parfois appelé le « privilège de procédure ». Il concerne les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture, dont font partie les rémunérations des salariés pour les périodes de travail post jugement d’ouverture. Le Code de commerce prévoit que ces créances sont payées à échéance.
« Ainsi, en l’absence de fonds disponibles dans l’entreprise, le mandataire judiciaire sollicitera l’intervention de l’AGS par la présentation des relevés de créances qu’il a établis »
Mayday : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le « privilège général des salariés » ?
CDG : Le privilège général des salariés englobe la majeure partie des sommes pouvant être dues à un salarié à la date du jugement d’ouverture.
Il s’agit notamment :
– des rémunérations des 6 derniers mois ;
– et des indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail : indemnité de licenciement, indemnité compensatrice due en l’absence d’exécution du préavis, indemnités de congés payés, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse…
Mayday : Quelles sont alors les créances salariales « superprivilégiées » ?
CDG : Il s’agit des rémunérations dues aux salariés pour les 60 derniers jours de travail et jusqu’à concurrence de deux plafonds mensuels de sécurité sociale (soit 6 622 euros pour 2018).
Le superprivilège englobe également certaines indemnités de rupture telles que, l’indemnité compensatrice due en l’absence d’exécution du préavis et « l’indemnité de précarité » des salariés en CDD ou intérimaires.
Il s’applique enfin aux indemnités de congés payés acquises au jour du jugement d’ouverture dans la limite d’un plafond de 30 jours.
Mayday : Parlons maintenant de l’AGS si vous le voulez bien. Qu’est-ce que cet organisme et à quoi sert-il ?
CDG : L’AGS est une assurance financée par une cotisation patronale dont chaque employeur doit s’acquitter et qui intervient lorsque l’entreprise défaillante n’est plus en mesure de procéder au paiement des salaires.
Ainsi, en l’absence de fonds disponibles dans l’entreprise, le mandataire judiciaire sollicitera l’intervention de l’AGS par la présentation des relevés de créances qu’il a établis. L’AGS assurera alors, entre ses mains, le paiement des créances sous certaines conditions et seuils. Il appartient ensuite au mandataire judiciaire de reverser les sommes aux salariés. L’AGS cherchera, par la suite, à se faire rembourser des sommes avancées.
Mayday : Qui peut bénéficier des avances de l’AGS ?
CDG : Toute personne liée par un contrat de travail, quel que soit sa forme, avec un employeur de droit privé pourra bénéficier de la garantie de l’AGS.
Mayday : Le montant des avances de l’AGS est-il limité ?
Oui. La garantie de paiement des salaires par l’AGS ne peut pas être sans limite.
Les avances de l’AGS sont limitées aux montants suivants toutes créances confondues :
– 6 fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des cotisations d’assurance chômage (soit 79 464 euros pour 2018) pour les salariés dont le contrat de travail a été conclu 2 ans au moins avant le jugement d’ouverture ;
– 5 fois ce plafond (soit 66 220 euros pour 2018) pour les salariés dont le contrat de travail a été conclu entre 6 mois et 2 ans avant le jugement d’ouverture ;
– 4 fois ce plafond (soit 52 976 euros pour 2018) pour les salariés dont le contrat de travail a été conclu moins de 6 mois avant le jugement d’ouverture.
Mayday : A quel moment le versement de ces avances peut-il intervenir ?
CDG : L’AGS est tenue de procéder aux avances dans un délai de :
– 5 jours suivant la réception des relevés des créances pour celles qui sont superprivilégiées ;
– 8 jours suivant la réception des relevés pour les autres créances : les créances privilégiées et chirographaires.
Mayday : Toutes les créances dues aux salariés sont-elles garanties par l’AGS ?
CDG : Une grande partie des créances dues aux salariés sont garanties par l’AGS. En synthèse, il s’agit notamment :
– de toutes les sommes dues aux salariés à la date de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Ne sont donc pas couvertes par l’AGS les créances antérieures au jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde judiciaire.
– des créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant après le jugement d’ouverture pendant l’une des périodes suivantes : la période d’observation, le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession et les quinze jours suivant le jugement de liquidation ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré.
Les créances alors garanties sont notamment l’indemnité de licenciement, l’indemnité de préavis ou les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse… En revanche, ne sont pas garantis les salaires impayés pendant la période d’observation ou après l’adoption du plan de sauvegarde ou de redressement.
– en cas de liquidation judiciaire, de toutes les sommes dues au cours de la période d’observation et au cours des quinze jours (ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré) suivant le jugement de liquidation, dans la limite d’un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail.
Propos recueillis par Bastien de Breuvand
Sur l’auteur : Côme de Girval est avocat spécialiste en droit du travail au sein du cabinet Capstan.
Il s’intéresse à toutes les problématiques liées au droit du travail et particulièrement aux entreprises en difficulté.
Pour aller plus loin : https://www.capstan.fr/fr/nos-avocats/nos-avocats/degirval.c/
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