Adoptée en conseil des ministres du 15 septembre 2021, promue le lendemain et rentrant en application pour les procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021, l’ordonnance transposant la directive européenne relative à l’insolvabilité est arrivée. Le même jour, une ordonnance sur les sûretés dont certaines dispositions rentreront en vigueur le 1er janvier 2022 a également été révélée. Cette réforme attendue apporte des innovations importantes, mais ne renverse pas la table et soulève de nouvelles problématiques. Eléments de réflexion avec Pierre-Emmanuel Fender, avocat associé chez Gibson Dunn, Antoine Diesbecq, avocat associé chez Racine, Didier Bruère Dawson, avocat associé chez Bryan Cave, Laurent Assaya, avocat associé chez Vivien & Associés et Joanna Rousselet, administrateur judiciaire associée chez Abitbol & Rousselet.
Alors que Sully nous enseigne dans ses mémoires que l’idée d’une paix durable en Europe germait déjà dans le cœur d’Henri IV, c’est en 1713 que le Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe vit jour sous la plume de l’abbé de Saint Pierre. Ce projet allait pour la première fois faire naitre l’idée d’une « Union Européenne ». Quoi de plus naturel dans une époque qui permis à Aliénor d’Aquitaine d’être sacrée Reine de France, puis Reine d’Angleterre, à Philippe de Bourbon, Grand Dauphin de France et petit-fils de Louis XIV, de devenir Philippe V, Roi d’Espagne et où l’on peut dire qu’une « cousinade » des descendants de la Reine Victoria aurait réuni autant de têtes couronnées, que le conseil européen ne réunit de chefs d’Etats. Les utopies de paix en Europe allaient encore être portées par Louis XVI qui au moment même où il permettait la naissance du nouveau monde outre atlantique, comprenait qu’il fallait installer durablement une paix sur le vieux continent. Il échoua et l’Union Européenne ne vit le jour que plusieurs siècles après.
Des innovations importantes, dont certaines ne concerneront un nombre restreint de dossiers
Le 15 septembre dernier, le conseil des ministres a approuvé l’ordonnance n° 2021-1193 transposant la directive européenne sur les procédures d’insolvabilité en droit français. Par une seconde ordonnance n°2021-1192, le droit des sûretés, notamment dans le cadre des procédures collectives a également été modifié. Sans rentrer dans une exégèse précise du texte pour lequel nous invitons le lecteur à faire une lecture attentive, nous pouvons indiquer que ce dernier, qui rentre en application au bénéfice des procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021, apporte des innovations importantes, dont certaines ne seront applicables que dans un nombre restreint de dossiers et ne vont pas manquer de soulever quelques difficultés d’application.
Le champ de la réforme « est très large » comme le rappelle Antoine Diesbecq, avocat associé chez Racine. Concernant le volet « sûreté » sur la partie qui concerne les procédures collectives, le texte qui lui est dédié créé de nouvelles sûretés (gage-espèce, gage sur immeuble), précise le champ d’application d’autres (droit de rétention sur les biens incorporels), modifie le champ des actes soumis à l’autorisation du juge-commissaire en période d’observation, renforce la protection des garants personnes physique du débiteur en redressement judiciaire, confirme la situation de la « caution réelle », étend des nullités automatiques à toutes sûretés consenties en période suspecte pour une dette antérieure et tente de clarifier l’ordre des paiements des créanciers en liquidation judiciaire et supprime des suretés jugées inutiles ou obsolètes. Les droits et la protection des garants personnes sont également renforcés.
Concernant le volet « transposition de la directive européenne », le texte prévoit en synthèse les points suivants. La conciliation est renforcée à la demande du conciliateur pourra suspendre l’exigibilité des créances et les poursuites des créanciers pour le temps de la conciliation en plus des délais qu’il peut déjà accorder. Afin de répondre aux inquiétudes soulevées par l’interprétation de l’article L 611-12 du Code de commerce en jurisprudence, le législateur précise incidemment que la caducité de l’accord ne prive pas d’effet les clauses dont l’objet est d’organiser les conséquences de la caducité. En sauvegarde, la durée d’une période d’observation sera limitée à 12 mois, le privilège de post money est créé pour les apports de fonds postérieurs à l’ouverture (hors associés) et également pour les apports de fonds postérieurs à l’arrêté du plan. Sur le plan, une échéance minimale du plan de 10% à compter de la 6ème année est instaurée. La SFA est supprimée au profit d’une procédure de sauvegarde accélérée unique et les seuils de chiffre d’affaires et de total de bilan sont supprimés pour accéder à la sauvegarde accélérée.
Enfin, dans le cadre du plan de sauvegarde, les comités de créanciers sont remplacés par les classes de parties affectées qui, fait majeur, intègre la notion de valeur de la créance dans l’analyse du vote. Ce faisant, le vote des créanciers réunis par classes de créanciers va être bouleversé. Ces derniers ne voteront pas en fonction de la valeur nominale de leur créance, mais de la valeur réelle de cette dernière en tenant compte des sûretés et accords de subordination qui ont pu être conclus lors du financement. Si certaines conditions sont réunies, les créanciers qui seront dit « dans la money » pourront imposer leur plan à des créanciers récalcitrants. Par ailleurs, si l’entreprise est en en redressement judiciaire, certains créanciers pourront aller plus loin et proposer un plan organisant sa prise le contrôle de leur débiteur au détriment des actionnaires.
Un travail d’harmonisation européenne
« Pour attirer les créanciers, il faut un système stable » nous confie Didier Bruère-Dawson. « La réforme apporte de la stabilité et uniformise les droits européens » ajoute l’avocat. Plus précisément, elle apporte quatre points majeurs pour l’associé de Bryan Cave : « inscrire dans le marbre les procédures préventives, pour lesquelles la France est moteur et les répandre en Europe ; mettre le droit au rebond mais aussi l’incitation à se lancer dans des restructurations organisées avant la cessation de paiements au cœur de notre droit des entreprises en difficulté ; unifier les normes et les rendre exécutables pour unifier la confiance entre les acteurs européens à l’heure ou plus du quart des restructurations sont transfrontalieres ; elle donne plus d’équilibre aux droits des créanciers et introduit en France le cross class cram down » !
Plusieurs évolutions majeures donc, mais pas de révolution. En effet, à partir du moment où les créanciers ne pourront proposer un plan organisant la prise de contrôle de leur débiteur qu’en redressement judiciaire « il n’y a pas de révolution, mais un rééquilibrage des droits, finalement assez technique et qui va concerner peu de dossiers » prévient Laurent Assaya, avocat associé chez Vivien & Associés. « Rééquilibrage surtout entre les créanciers et entre les créanciers et les actionnaires, mais sans faire reculer la place du débiteur, le rôle des organes de la procédure et le pouvoir du Tribunal » précise Joanna Rousselet. Pour Didier Bruère-Dawson « la distinction à cet égard entre sauvegarde et redressement judiciaire est une incitation des dirigeants à faire des restructurations organisées avant la cessation de paiements ».
En synthèse, « la procédure de sauvegarde devient le cadre de restructuration préventif de l’ordonnance » et au-delà « l’objectif est de donner aux créanciers plus de place » ajoute l’associé de Racine. Et pour cause, « les créanciers avaient l’impression que tout se faisait sans eux. Cela rétablit un équilibre » précise Pierre-Emmanuel Fender, associé chez Gibson Dunn. « L’attente du monde anglo-saxon est que ce qui doit commander la solution est la valeur. Le fait que l’actionnaire puisse tirer les ficelles même lorsqu’ n’était plus dans la money et qu’en apparence il ne s’investissait ou ne contribuait pas autrement à la pérennité de l’entreprise, a pu décourager des financiers anglo-saxons, même si parfois cela a été salvateur pour des entreprises ».
Ainsi, si tous considèrent que l’équilibre des forces ne sera pas bouleversé, ils constatent également que la situation sera plus équilibrée. « De bon augure pour l’attractivité de la place de Paris en tant que place de dettes » insiste l’associé de Gibson Dunn.
Mais dès lors, plusieurs questions se posent. Le tribunal est-il dépossédé de ses prérogatives du fait du nouveau rôle des créanciers potentiellement dès la sauvegarde où il est censé approuvé le plan dès lors que certains créanciers l’auront accepté ? « Non car il est tenu par la loi de procéder à des vérifications précises et détaillées qui lui donnent un véritable pouvoir. En théorie le tribunal pourrait refuser d’adopter un plan voté à l’unanimité par toutes les classes de créanciers » rappelle Antoine Diesbecq.
Est-il bon qu’un créancier puisse imposer un plan auquel le débiteur pourrait ne pas adhérer sans prendre le contrôle ? Faux-problème pour Laurent Assaya qui indique quoi qu’il arrive « par cette directive, le créancier qui veut jouer un rôle peut le faire. Et si les banques ne veulent pas jouer elles-mêmes le rôle d’actionnaire, d’autres le feront et la réforme permettra d’élargir le marché du crédit des entreprises en difficulté ».
L’introduction en droit français du Best Interest Test
La réforme introduit la notion de classes de parties affectées en leur permettant de prendre en compte qui est « dans la money » et qui ne l’est pas. Concept anglo-saxon connu outre-manche avec la notion de Best Interest Test et traduit en droit français par la notion de communauté d’intérêts. Ce faisant, « on introduit un débat sur la valorisation des créances en fonction des scenarii qui ne manquera pas de susciter des contentieux » prévient Laurent Assaya. Si la notion « est connue et pratiquée dans le monde anglo-américain, elle est relativement nouvelle chez nous » précise Pierre-Emmanuel Fender.
Didier Bruere-Dawson précise à son tour que « cette notion existait déjà en droit francais et a été expérimentée à travers l’Europe par des créanciers francais et autres en matière de restructurations de banques depuis mai 2014, dans le dossier Banco Popular par exemple. Les anglais l’ont découvert avec la réforme de leur droit des procédures collectives à l’été 2020 et en ont depuis testé toutes les limites, en particulier lors de la restructuration de Virgin Active où je représentais des créanciers. L’expérience dans l’un et l’autre cas démontre que ce recours est une voie étroite pour le créancier récalcitrant et qu’il devra y réfléchir à deux fois avant que de s’y engager ».
Est-il bon d’introduire en droit français un concept anglo-saxon qui fonctionne dans un environnement très différent ? Et pour cause, en droit anglais, l’insolvency practionner est à la fois auditeur et administrateur judiciaire. Les métiers du chiffre ont une place très importante, peut-être plus importante qu’en France et le rôle de l’administrateur judiciaire n’est pas le même.
De ce point de vue, le texte ne dit pas qui sera chargé d’évaluer la valeur d’une créance. « Ce sera très certainement les administrateurs judiciaires appuyés des auditeurs de la place » indique pour sa part Pierre-Emmanuel Fender. Au contraire, pour Laurent Assaya « les mandataires judiciaires vont devoir être plus impliqués, car ils maitrisent les procédures liquidatives ». Joanna Rousselet, administrateur judiciaire associée chez Abitbol & Rousselet estime pour sa part qu’« il va y avoir l’implication de tous, des administrateurs et des mandataires judiciaires avec l’appui des auditeurs indépendants », confiante sur le fait que « les solutions émergeront naturellement, la prise en compte de la valeur réelle des créances étant une nécessité » ! Cette réforme induit-elle un autre changement : « à Paris va-t’on vraiment donner aux chiffres la place qu’ils ont dans le monde anglo-saxon ? » s’interroge Pierre-Emmanuel Fender. Quoi qu’il arrive, l’avocat ne manque pas de rappeler que « les modifications ne sont pas toujours utiles pour s’en servir, mais servent toujours comme arme de dissuasion ». A bon entendeur …
Par Cyprien de Girval