Dans le cadre des mesures exceptionnelles prises en vue de faire face à l’épidémie de covid-19, le Parlement a adopté une Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence autorisant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances dans un certain nombre de domaines pendant un délai de trois mois expirant le 24 juin 2020[1]. Le gouvernement vient de promulguer l’ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020, qui complète la première ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020, afin d’adapter les règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19. Serge Pelletier, avocat associé chez Rescue Avocats, nous livre son éclairage.
L’objectif est d’adapter certains domaines du droit à l’environnement particulier de la crise sanitaire, d’une part, et à ses conséquences sur la vie économique, d’autre part, et, en particulier, de préserver l’activité des entreprises.
Dans ce contexte, le Droit des Entreprises en Difficulté a bien sûr été retraité dans l’intention de prévenir et de limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique par deux ordonnances successives.
La première ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 avait essentiellement pour objet d’aménager (i) le formalisme des procédures ouvertes pendant la période de confinement jusqu’au 23 juin, ainsi que (ii) les différents délais applicables à l’entreprise elle-même, lui permettant notamment d’utiliser des procédures de prévention auxquelles elle n’aurait pas été éligible en temps normal, d’une part, et aux procédures de prévention de traitement des difficultés en cours, d’autre part.
Elle a été complétée par une deuxième ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020 qui aboutit à un corpus juridique tendant à un renforcement significatif de l’efficacité des procédures au bénéfice de l’entreprise et vers leur accélération pour permettre aux tribunaux de faire face au volume de dossiers anticipés.
Après avoir précisé qu’elles ont un caractère exceptionnel et temporaire, on se propose ici de présenter les innovations apportées par l’ordonnance du 20 mai 2020.
Efficacité par l’anticipation
Sans instaurer de pression obligatoire par une formulation qui lui laisse l’initiative, l’article 1 de l’ordonnance du 20 mai institue un pouvoir d’alerte renforcé du commissaire aux comptes jusqu’au 31 décembre 2020. Il peut ainsi informer le Président du Tribunal par tout moyen et sans délai dès la première phase de l’alerte « lorsqu’il lui apparaît que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou propose des mesures que le CAC estime insuffisantes ». Dans ce contexte, il est délié de son secret professionnel à l’égard du Président du Tribunal et des échanges d’informations et documents complémentaires peuvent être échangés entre eux.
Efficacité renforcée des procédures de prévention
En premier lieu, l’ordonnance du 20 mai 2020 précise celle du 27 mars 2020 en prolongeant de plein droit d’une durée de 5 mois les conciliations en cours dont le terme devait survenir le 23 août 2020 (l’ordonnance du 27 mars retenait une prolongation d’une durée égale à la période comprise entre le 27 mars et trois mois après la fin de l’état d’urgence, soit le 24 août – selon la loi du 23 mars – ce qui était peu lisible).
Ensuite, il faut rappeler que le consensualisme est le principe dominant dans les procédures de conciliation mais que l’article L611-7 al 5 du Code de commerce intègre un élément de contrainte en permettant d’imposer, dans le cadre d’un débat contradictoire en référé, des délais au créancier qui mettrait le débiteur en demeure. Non seulement l’ordonnance du 20 mai 2020 assouplit les conditions de mise en œuvre de cette faculté mais encore en introduit une nouvelle.
S’agissant de l’assouplissement, le débiteur peut assigner le créancier qui :
- sur demande du conciliateur et dans le délai imparti par ce dernier,
- n’accepte pas de suspendre l’exigibilité de ses créances ;
et ce (et c’est la nouveauté), avant toute mise en demeure ou poursuite du créancier.
L’ordonnance crée ensuite un dispositif de contrainte à l’égard du créancier qui, interrogé par le conciliateur qui lui impartit un délai pour répondre, n’accepte pas de suspendre l’exigibilité pendant la durée de la procédure. Pour les praticiens, la surprise vient de l’absence de débat contradictoire : le débiteur peut, sur simple requête au Président du Tribunal, demander que, jusqu’au terme de le la mission du conciliateur :
- les actions tendant à obtenir un paiement ou la résolution d’un contrat soient, selon le cas, interrompues ou interdites;
- les procédures d’exécution qui n’ont pas produit un effet attributif avant la demande soient, selon le cas, arrêtées ou interdites ;
- le paiement des sommes dues soit reporté ou échelonné.
Pour atténuer la portée de ces dispositions qui peuvent paraître exorbitantes à certains, il faut préciser que les dispositifs ne sont applicables qu’aux conciliations en cours au 21mai 2020 et ce, jusqu’au 31 décembre 2020.
Par ailleurs, le propre des sauvegardes accélérées (financières ou non) est de permettre d’emporter l’adhésion d’une majorité (des 2/3) de créanciers dans le contexte d’une procédure collective lorsque la conciliation n’a pas abouti à un accord unanime.
Toujours dans l’intention de favoriser des accords, l’article 3 de l’ordonnance du 20 mai généralise l’accès à ces sauvegardes accélérées à toutes les entreprises en disposant que les seuils d’accès à ces procédures (salariés > 20 et CA > 3m€ et Total de Bilan > 1,5m€[2]) ne sont pas applicables à celles procédures ouvertes entre (i) le 21 mai 2020 et (ii) la réforme du droit des entreprises en difficultés – qui aux termes de la Loi PACTE (n°2019-486 du 22 mai 2019) doit être réalisée par voie d’ordonnance – ou, au plus tard, le 17 juillet 2021.
Efficacité des procédures collectives : Facilitation et accélération de l’adoption des plans
Dans le souci de faciliter et d’accélérer l’adoption des plans (de sauvegarde ou du redressement), l’article 4 de l’ordonnance du 20 mai 2020 assouplit les modalités de consultation des créanciers hors comités[3] dans les procédures en cours au 21 mai et jusqu’au 31 décembre 2020 et d’appréciation du passif au stade de la présentation du plan :
- Le juge-commissaire peut réduire le délai général de réponse des créanciers (hors comités) de 30[4] à 15 jours sur demande de l’administrateur ou du mandataire (en l’absence d’administrateur) ;
- Les créanciers hors comités[5] et créanciers obligataires[6] peuvent être consultés et envoyer leurs réponses par tout moyen permettant d’établir avec certitude la date de réception ;
- L’apurement du passif dans le cadre du plan présenté prend en compte les créances (i) reconnues[7] par le débiteur et (ii) les créances identifiables telles que ressortant d’une attestation de l’expert-comptable ou du CAC – étant précisé que l’adoption du plan suppose une appréciation prenant en compte, en principe, l’intégralité du passif déclaré et en cours de vérification.
Manifestement dans l’intention favoriser le financement de la poursuite d’activité et celui du plan, l’ordonnance du 20 mai 2020 institue un privilège de sauvegarde (ou de redressement) qui garantit les apports de trésorerie (hors ceux réalisés par les actionnaires dans le cadre d’une augmentation, de capital) réalisés pendant la période d’observation (sur autorisation du juge-commissaire) ou dans la perspective de l’arrêté du plan (le jugement mentionnant le privilège et les montants garantis).
Comme les créanciers bénéficiant du privilège de conciliation (dit de new money), ceux qui bénéficient du privilège de sauvegarde ou de redressement ne peuvent se voir imposer des remises ou des délais.
En revanche, les créanciers bénéficiant de ce nouveau privilège de sauvegarde ou de redressement ne viennent en rang utile en cas de répartition qu’après (i) les créances superprivilégiées de l’AGS et les titulaires du privilège de new money et (ii) les créances salariales non prises en charge par les AGS mais avant tous les autres créanciers que leur titre soit antérieur ou postérieur au jugement d’ouverture.
Ce nouveau privilège est institué pour les procédures ouvertes entre (i) le 21 mai 2020 et (ii) l’ordonnance de réforme annoncée dans la Loi Pacte ou, au plus tard, le 17 juillet 2021.
Maintien des plans de sauvegarde ou de redressement menacés par le Covid-19 et droit au rebond
Répondant à l’inquiétude spécifiquement suscitée par les conséquences économiques de l’épidémie dont on anticipait qu’elles menaçaient la poursuite des plans en cours d’exécution, l’ordonnance du 27 mars 2020 avait introduit deux possibilités de prolongation :
- sur demande adressée au Président du Tribunal avant le 23 août 2020 :
- par le Commissaire à l’Exécution du Plan pour une durée maximale de 5 mois ;
- par le Ministère Public pour une durée maximale d’un an ;
- sur demande adressée au Tribunal après le 23 juin 2020 et pendant un délai de 6 mois sur requête du Parquet ou du Commissaire à l’Exécution du Plan pour une durée maximale d’un an.
L’ordonnance du 20 mai 2020 a complété le dispositif en permettant au Parquet ou au Commissaire à l’Exécution du Plan de, dans une procédure en cours au 21 mai 2020, présenter avant le 31 décembre 2020 une requête tendant à une prolongation pour une durée maximale de 2 ans s’ajoutant aux prolongations ci-dessus.
Il faut toutefois préciser qu’en cas de modification substantielle, la durée du plan ne peut excéder 12 ans (17 pour les activités agricoles)[8].
La juridiction saisie adapte les délais de paiements à la nouvelle durée, au besoin en dérogeant aux dispositions de l’article L626-28 – qui prévoit notamment des délais uniformes ou impose que les délais relatifs aux créances à échoir n’excèdent pas la durée du plan – ou en reportant ou échelonnant le paiement dans la limite de deux ans le paiement en faisant application de l’article 1343-5 du Code civil[9].
Si l’adaptation implique des modifications substantielles des modalités de l’apurement du passif, – supposant donc que les créanciers soient informés en LRAR et qu’ils fassent valoir leurs observations – le défaut de réponse vaut acceptation, sauf s’il s’agit de remises de dettes ou d’incorporation au capital[10]. Contrairement au sort du défaut de réponse expressément prévu à l’article L626-5 al 2 au stade de l’élaboration du plan, l’acceptation implicite n’était, jusqu’alors, pas expressément prévue au stade de sa modification.
Il faut également signaler que le privilège de sauvegarde ou de redressement peut être consenti par le Tribunal à l’occasion d’une modification du plan et bénéficier à celui qui réalise un apport de trésorerie dans cette perspective.
Etant rappelé que le maintien des mentions de la sauvegarde ou du redressement judiciaire au k-bis de la société est régulièrement identifié comme un frein au rebond, l’ordonnance a ramené le délai de radiation à 1 an (au lieu de 2[11]) pour les procédures en cours au 21 mai et jusqu’à la réforme par ordonnance annoncée par la Loi Pacte ou, au plus tard, le 17 juillet 2021.
Maintien de l’emploi au prix du rachat de l’entreprise par le dirigeant et accélération de l’adoption des plans de cession
En matière de plan de cession, l’article L642-3 fait interdiction aux dirigeants de présenter une offre ou de détenir directement ou indirectement des actifs de l’entreprise cédée pendant une durée de 5 ans à compter de la cession. L’objectif de cette disposition est d’éviter que le dirigeant aux affaires lors de la déclaration de cessation des paiements ne puisse se porter acquéreur de l’entreprise sans en supporter le passif.
L’alinéa 2 du même article prévoit une exception à ce principe, mais sur requête que seul le Parquet peut formuler.
Pour les procédures en cours et jusqu’au 31 décembre 2020, l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 prévoit que, dès lors que la cession permettrait le maintien d’emplois, la requête permettant de déroger à l’interdiction peut être présentée par l’entreprise ou l’administrateur judiciaire.
Par ailleurs, le délai de convocation des cocontractants à l’audience de cession est ramené à 8 jours (contre 15 en temps normal).
Généralisation de la procédure simplifiée aux liquidations sans actif immobilier
Les règles de la liquidation judiciaire simplifiées sont applicables à toute personne physique, sans application des seuils de chiffre d’affaires (CA HT < 750 k€ et salariés < 5[12]), dont le patrimoine ne comprend pas de bien immobilier seront applicables liquidations ouvertes entre le 21 mai 2020 et l’ordonnance de réforme annoncée par la Loi Pacte ou, au plus tard, le 17 juillet 2021. Toutefois, lorsque le nombre de salariés est supérieur à 5, le Tribunal peut décider de ne pas faire application du régime simplifié.
Ainsi qu’il a été évoqué, l’ensemble des dispositifs mis en place dans le contexte exceptionnel du Covid-19 est temporaire. Il faut toutefois relever que la formulation du calendrier d’application de certaines d’entre elles laisse augurer un maintien à plus long terme dans le Droit des Entreprises en Difficulté. C’est en particulier le cas pour celles dont il est prévu qu’elles s’appliquent jusqu’à l’ordonnance portant réforme des procédures collectives annoncée par la Loi Pacte. Dès lors qu’il ne s’agit pas des moindres, certaines méritent d’être particulièrement soulignées en clôture des présentes : généralisation sans condition de seuil des sauvegardes accélérées et institution du privilège de sauvegarde ou de redressement (dont le rang mériterait toutefois d’être amélioré).
Par Serge Pelletier
[1] Art 11 de la Loi n°2020-290 du 23 mars 2020
[2] Art L628-1, L628 et D628-1 du code de commerce
[3] Des principaux fournisseurs et des établissements de crédit
[4] Art L626-5 al 2
[5] Qui relèvent des articles L626-5, R626-7 et R626-8 du code de commerce qui prévoient une consultation par LRAR éventuellement doublée d’une convocation par annonce dans un JAL en cas de réunion physique
[6] Dont la consultation sur le plan adopté par les comités de créanciers est encadrée par l’article L626-32 et l’article R626-60 qui prévoient une convocation par l’administrateur dans un JAL et au BODACC si le débiteur a fait appel public à l’épargne. Si toutes les obligations sont nominatives, les insertions peuvent être remplacées par une LRAR
[7] « (…) déclarées admises ou non contestées (…) »
[8] article 5 II ord. n°2020-596 du 20 mai 2020
[9] article 5 I alinéa 2 ord. n°2020-596 du 20 mai 2020
[10] article 5 III ord. n°2020-596 du 20 mai 2020
[11] art R123-135 4° et 5° du Code de commerce
[12] Art D641-10 al 1 du Code de commerce