Mayday a rencontré Véronique Pernin, fondatrice de VP Strat, agence de communication qui intervient en communication de crise ou lors de situations spéciales.
Mayday : Partagez-vous l’idée que les entreprises françaises ont un culte du secret qui, en période de crise, peut être néfaste à la gestion d’une bonne communication et que ne rien dire c’est laisser dire ?
Véronique Pernin : Je ne sais pas si l’on peut parler de culte. Je pense surtout que l’erreur vient de la méconnaissance des apports de la communication en période de crise. Ne sachant pas la maîtriser, certaines entreprises s’abstiennent, ne la considèrent pas, pensant que la poussière ne sortira pas de sous le tapis. Or, c’est la pire attitude à adopter. A une époque où l’information circule à une vitesse hallucinante, il faut au contraire prendre la maîtrise de sa réputation ou d’autres se chargeront de véhiculer des messages à votre place. Et lors de ces situations anxiogènes, c’est la porte ouverte aux peurs, aux rumeurs, à une détérioration de l’image qui vont desservir les intérêts de l’entreprise.
« La réactivité et la maîtrise des messages sont des éléments essentiels à une sortie de crise par le haut en termes de communication »
Dans tous les cas, la communication, qui est un ensemble de méthodes et de techniques pour maîtriser son image, doit être envisagée. Attention, la communication ne signifie pas forcément « communiquer » ! On communique de façon offensive, lorsque les signes de la crise apparaissent et nécessitent une réponse. On porte alors des messages bien cadrés et réfléchis afin de préempter et ne pas laisser la parole première à un autre pour expliquer la situation et répondre aux questions.
A l’inverse, si la crise est potentielle mais non déclarée, on peut appliquer une stratégie « défensive » (anticiper et se tenir prêt). Les outils de veille sur les réseaux sociaux et les médias sont essentiels pour détecter les signaux faibles d’apparition d’une crise, et on anticipe des scénarios de crise et des messages en amont. Ces éléments de langage ne serviront que si la crise se matérialise (qu’elle génère une émotion et nécessite de prendre la parole) mais dans tous les cas ils permettent de se tenir prêt à communiquer et de rassurer l’interne par anticipation.
Dans les deux cas, la réactivité et la maîtrise des messages sont des éléments essentiels à une sortie de crise par le haut en termes de communication (rassurer, aller de l’avant, reconstruire de façon positive). Des éléments qui permettent de se prémunir contre le culte du secret !
Mayday : VP Strat intervient sur de nombreux dossiers en communication de crise, aussi bien au soutien d’un plan de continuation, un projet de reprise d’entreprise, que d’une liquidation judiciaire. Nous imaginons que le contexte est toujours complexe et que les relations entre les parties prenantes du dossier peuvent être tendues. Il est parfois difficile de se représenter le travail d’un communicant : concrètement quels sont vos objectifs et quelle est votre méthode ?
VP : La communication ce n’est pas du blabla théorique et conceptuel ou avoir un carnet d’adresses. La communication est un ensemble de techniques et de méthodes qui viennent servir deux objectifs très opérationnels : tout d’abord prendre la maîtrise de sa réputation car sinon d’autres communiqueront à votre place (nous venons de l’évoquer), et puis sauvegarder et promouvoir le fonds de commerce. Cet objectif clé passe par le fait de préserver la mobilisation du personnel, conserver l’intérêt et la confiance de l’externe (éviter les phénomènes de sauve-qui-peut de la part des clients, partenaires, fournisseurs, parties prenantes)…. La communication est essentielle aussi pour promouvoir les atouts et les perspectives du groupe. Tout cela est nécessaire pour envisager des solutions de sortie pérennes : plan de continuation, new money ou plan de reprise.
Notre méthode est quant à elle très structurée. A chaque situation sa communication mais on peut identifier quelques fondamentaux en termes de méthode (voir plus bas, ndlr) pour cadrer au maximum les actions et le discours qui sera porté. Il est important pour les parties prenantes et acteurs du dossier (AJ/MJ, conseils financiers et juridiques, managers….) de pouvoir comprendre chaque étape de notre travail et d’assister à son rôle capital lors de ces situations spéciales tout en validant de concert les éléments de communication. Rien ne part sans leur validation. Nous voulons démontrer que la communication n’est pas du verbiage sans visée, mais bien un outil opérationnel de sortie de crise qui s’appuie sur un ensemble de méthodes et de techniques.
Mayday : Pourriez-vous illustrer votre intervention par des cas concrets ?
VP : Deux cas peuvent illustrer notre action récente. Dans le premier, un groupe hôtelier a sollicité récemment un redressement judiciaire (pour épurer une situation passée) sans anticiper la communication.
Le personnel non informé de la situation a pris peur, appelé les médias. Résultat, des articles catastrophiques provoquent de nombreuses annulations de commandes des Tour Opérators. Evidemment, ce contexte met à mal les prévisions du business plan, et les possibilités d’un plan de continuation.
Avec les équipes, nous rejoignons la cellule de crise et construisons ensemble une nouvelle approche des messages pour répondre aux inquiétudes et valoriser les atouts d’un groupe dont l’exploitation actuelle s’avère complètement positive. Le plan de communication part auprès de l’interne pour leur expliquer la situation et la presse est contactée dans la foulée avec un communiqué et un dossier de presse mis en ligne sur notre « press room » (dédiée au client et partageable avec les bons messages sur les réseaux sociaux), ainsi qu’un jeu de questions réponses prérédigées du dirigeant venant répondre aux inquiétudes de façon précise.
48h après, la presse titre : « pour le Groupe X, tous les voyants sont au vert ». Ce nouveau regard sur la situation inverse totalement la balance : le personnel est remobilisé (car quand la presse dit quelque chose c’est un « tiers » qui valide cette réalité), les commandes reprennent et la situation est à nouveau sous contrôle et positivée. Surtout, la possibilité d’un plan de continuation peut être sereinement envisagée.
« Nous ne communiquons pas pour communiquer, mais pour servir les objectifs business et favoriser les solutions de sortie de crise pérennes »
Dans le second cas, un groupe côté et spécialisé dans la menuiserie industrielle cherche un repreneur mais n’arrive pas à se vendre. L’image était notamment brouillée par des fantasmes négatifs liés à l’assassinat de son dirigeant fondateur.
Avec les équipes en cellule stratégique, notre but a été de reconcevoir les messages et reconstruire l’image autour des atouts factuels et réels du groupe et de ses perspectives, et d’écarter ce spectre morbide et peu vendeur. De nombreux articles sont parus dans des médias de référence repositionnant l’image : Les Echos, Figaro, Usine Nouvelle, mais aussi des lettres permettant de toucher les milieux bancaires et d’investisseurs.
Cela a permis de générer un nouvel intérêt pour le dossier, avec des nouveaux repreneurs se positionnant seulement 3 mois après le début de notre action.
Mayday : On imagine que chaque situation est différente. Pour autant, y a-t-il des points communs, des grands drivers/fondamentaux dans la mise en place d’une stratégie de communication ?
VP : Bien évidemment, chaque crise a ses particularités. Notre travail est structuré pour prendre en compte les différents éléments d’un dossier et intégrer les points de vue des différentes parties prenantes. L’écoute est très importante dans notre métier. Les objectifs stratégiques sont au cœur de notre intervention : nous ne communiquons pas pour communiquer, mais pour servir les objectifs business et favoriser les solutions de sortie de crise pérennes. Dès lors, notre méthode se décline en sept points :
- Intégrer la cellule stratégique ou de crise le plus tôt possible pour une réflexion commune sur la stratégie, avec l’ensemble des parties prenantes, avocats, financiers, dirigeants. C’est un élément capital pour agir de concert à la meilleure sortie de crise possible, et parler d’une seule voix. Mais aussi favoriser les process de validation des éléments de communication : rien ne part sans l’accord de la cellule stratégique ou de crise mise en place.
- Mettre en place immédiatement une veille réseaux sociaux et médias très pointue pour pouvoir réagir en temps réel et détecter les signaux faibles, identifier ses ambassadeurs ou détracteurs.
- Définir des objectifs stratégiques clairs de communication : on ne communiquera pas de la même manière selon que l’on envisage un plan de continuation, un apport de new money, un plan de reprise…
- Identifier les cibles clés puisqu’il existe des cibles relais en interne comme en externe, et des cibles comparses également qui peuvent aider à relayer positivement les bons messages (ambassadeurs vs. détracteurs),
- Rédiger des éléments de langage cohérent et désigner un porte-parole (préparation aux questions réponses via un Q&A pour ne pas être pris au dépourvu y compris sur les questions les plus sensibles ; des messages « tronc commun » pour renforcer la cohérence et qui vont nourrir des éléments comme les discours vers le personnel ou le communiqué de presse)
- Mettre en œuvre la communication de manière structurée et selon un timing rapide (réunions du personnel ; échanges préparés avec les journalistes ; communication rassurante auprès des clients ; explication au cas par cas auprès des fournisseurs et créanciers ; management réactif des réseaux sociaux, etc.)
- Accompagner la sortie de crise. Dans cette dernière phase, il est important de ne pas perdre le fil de la communication mais surtout de communiquer sur des « faits » / « preuves » démontrant que le plan de redressement ou de sortie de crise est en marche,
Au-delà de ces méthodes, de nombreux conseils et astuces peuvent être appliqués à chaque situation de par notre connaissance des médias et des réseaux sociaux. Il nous arrive aussi de juste apporter notre vision et conseil de communicant sur un dossier sans pour autant intervenir de façon opérationnelle, tout cela dans un respect absolu de confidentialité. Chaque dossier a son histoire.
Propos recueillis par Cyprien de Girval
Véronique Pernin, experte en communication financière à Wall Street de 1999 à 2003, a fondé l’agence VP Strat en 2005 à Paris.
Composée de 10 professionnels, anciens directeurs de la communication, journalistes, et directeurs marketing, ayant l’expérience des situations spéciales et complexes, pour un accompagnement stratégique particulièrement réactif, VP Strat accompagne les entreprises, les dirigeants et leurs conseils (Avocats, Experts Financiers,…), les AJ/MJ, les experts-comptables et commissaires et comptes et leurs institutions.
Considérée comme une experte par l’ensemble des classements professionnels, Véronique Pernin est diplômée du CELSA-La Sorbonne et d’une Maîtrise de gestion, après avoir suivi un cursus Hypokhâgne-IEP.
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