Les acteurs du retournement anticipent une année 2021 très active sur ce front avec un grand nombre de sociétés devant se placer sous la protection des tribunaux de commerce dans le cadre de procédures amiables ou judiciaires. L’une des clés de succès de cette période réside dans la capacité de l’entreprise à conserver un niveau de financement de son BFR nécessaire au maintien de son activité et à la préparation de son rebond. Des outils existent, au premier rang desquels l’affacturage. Si celui-ci est presque toujours utilisé par les sociétés en situation distressed, le financement délivré est souvent sous-performant. Or, travailler sur quelques leviers amélioreront sensiblement le niveau de financement à périmètre constant. Le second, réside dans l’optimisation de la dette fournisseurs par la mise en place d’un outil méconnu et pourtant très efficace : l’assurance-crédit l’initiative de l’acheteur. Laurent Dray et Nicolas Bouët, associés au sein du cabinet BFR Expertise & Solutions, nous apportent leur éclairage.
Un constat s’impose aux sociétés en situation distressed : elles ont bien souvent déjà actionné tous les leviers de financement disponibles, de la mobilisation des créances clients par l’affacturage, à la mobilisation de leurs stocks, en passant par le tirage maximal de leurs lignes de découvert.
La difficulté avérée de l’entreprise marquée par de nombreux signaux (trésorerie sous tension, retards fiscaux et sociaux, retards fournisseurs,…) entraine une situation de défiance généralisée.
A ce tableau déjà sombre, vient s’ajouter la dégradation de la notation de la part des assureurs-crédit avec son corolaire : la perte de confiance des fournisseurs et la réduction du crédit fournisseurs, entrainant par la même, un accroissement du BFR.
Recréer les conditions de la confiance
C’est dans ce contexte délétère que les acteurs du restructuring interviennent.
Dans un premier temps, leur rôle consiste à :
- Établir un diagnostic financier partagé
- Proposer des scénarios de retournement crédibles
- Aller chercher les foyers d’économie et de réduction des coûts immédiats
- Rechercher de nouvelles sources de financement
En parallèle, leur mission définisse les conditions d’un retournement structurel visant au retour de la rentabilité opérationnelle par l’amélioration de :
- La productivité
- La valeur ajoutée
- La meilleure allocation des ressources (haut de bilan et bas de bilan)
La recherche de nouvelles sources de financement du BFR est une priorité et un élément clé du succès de l’opération. Et dans ce contexte particulier, les deux principaux postes du bas de bilan (clients et fournisseurs) pourront être actionnés avec un impact immédiat sur le BFR.
Du côté du poste clients, l’affacturage est le seul levier activable rapidement et susceptible de répondre aux besoins immédiats en liquidité nécessaire au maintien de l’activité de l’entreprise.
Si un contrat d’affacturage est déjà en place, ce qui est bien souvent le cas, il est très rarement performant en termes de niveau de financement du fait de :
- L’interférences des banques de l’entreprise avec leur filiale factor qui parasitent le bon fonctionnement du contrat
- Conditions négociées en des temps plus cléments, rendues caduques dans un contexte dégradé
- La hausse des litiges et retards que l’on constate fréquemment dans les phases distressed, éléments statistiques essentiels au bon fonctionnement d’un contrat d’affacturage,
- La relation dégradée avec les interlocuteurs habituels.
Ceci entraîne une réduction significative du financement disponible pour l’entreprise et une intervention insistante du factor dans la relation vis-à-vis de ses clients, allant jusqu’à la notification des créances pour les programmes confidentiels ou des relances en courrier recommandé pour les contrats classiques.
Cette immixtion tatillonne crée de la confusion et accentuent la défiance au moment même où l’entreprise a besoin de rassurer ses clients.
L’objectif premier de l’entreprise et de ses conseils devra donc être de remettre à plat l’architecture du programme d’affacturage pour répondre à la donne nouvelle. Et cela afin d’optimiser le niveau de financement disponible.
Compte tenu de la dégradation de la confiance de la part des financiers en place, cela ne sera possible qu’auprès d’un nouveau partenaire financier, pour sortir du tête-à-tête banques/factor.
Il faudra alors identifier tous les points d’amélioration, de :
- L’analyse du fonctionnement de la solution en place
- L’étude de l’organisation de la comptabilité / crédit management de l’entreprise
- L’analyse des risques tels que les factors les appréhendent
Diagnostic des fondamentaux
Il nous parait important, à ce stade, de rappeler les fondamentaux de l’affacturage et de nous placer quelques instants du point de vue du factor pour bien appréhender les enjeux.
Un contrat d’affacturage permet à une entreprise de transférer ses créances commerciales à un établissement spécialisé, que l’on appelle factor, qui en contrepartie va financer l’entreprise du montant des créances transférées. Il permet ainsi à une entreprise qui commerce en BtoB, quel que soit son secteur d’activité de mobiliser jusqu’à 100% de ses créances clients et d’en obtenir le financement correspondant. Basé sur un vieux principe du code civil, la subrogation conventionnelle, le factor devient donc le créancier. Ainsi le financement délivré à l’entreprise est remboursé par les règlements de ses clients.
Mais, ce n’est pas parce que le mécanisme de l’affacturage est auto liquidatif qu’il n’est pas sans risque. En effet, le financement du factor étant garanti par les paiements à venir des clients, il est essentiel pour le factor d’avoir une vision précise de leur santé financière afin de de s’assurer qu’ils sont solvables. Le Factor se prémunit contre ce risque via une assurance-crédit. Que cette assurance soit mise en place à l’initiative du Factor (Full Factoring) ou souscrite directement par l’entreprise et déléguée au bénéfice du Factor, elle est essentielle au bon fonctionnement du contrat d’affacturage. Car un poste clients bien couvert est la garantie d’un bon niveau de financement.
Il faudra donc apporter une attention spéciale au niveau de garantie du contrat en place. Ce qui rend souvent préférable une assurance-crédit déléguée. En effet, elle offre bien plus de souplesse par rapport aux garanties délivrées par les factors, grâce à :
- Une externalisation de la décision de crédit auprès d’un assureur. (Le factor ne pourra pas piloter le niveau de garantie s’il souhaite réduire son financement)
- Un accès à l’arbitrage de l’assureur pour optimiser les limites de crédit
- Les dispositifs de couverture des petits encours, dit non-dénommés,
- La couverture des ordres à livrer (carnet de commandes),
- Les dispositifs de complément de garanties étatiques CAP et CAP+, etc…
Autre point d’attention pour le Factor : tout ce qui peut empêcher le paiement des factures qu’il aura financées. On pense naturellement aux avoirs qu’une entreprise est amenée à émettre dans le cadre de son activité commerciale qui sont de vraies non-valeurs. Mais il y en a bien d’autres que l’on peut évoquer sans être exhaustif et sont autant de risques pour le factor :
- Les litiges,
- Les marges arrières (RFA, PP),
- Le recours en paiement direct de la part des sous-traitants,
- La loi Gayssot spécifique au transport
- La clause de réserve de propriété,
- La facturation à l’avancement qui subordonne son paiement à la bonne exécution des phases suivantes,
- La facturation terme à échoir,
- La loi Sapin spécifique aux activités de régie, …
Certes, pour couvrir l’ensemble de ces risques, le factor constitue un fonds de garantie et dans certains cas des réserves complémentaires affectées à des risques spécifiques. Ce qui a pour effet de minorer d’autant l’encours finançable.
C’est pourquoi il est important d’identifier l’ensemble de ces risques (de crédit et de non-paiement potentiel) pour travailler tous les leviers d’optimisation du niveau de financement.
La recherche de la meilleure solution
Une fois cet audit réalisé et les leviers d’optimisation identifiés (paramètres contractuels, externalisation de l‘assurance-crédit,…), nous pouvons passer à la phase appel d’offre.
Le bon diagnostic va bien entendu jouer un rôle décisif dans le succès de l’appel d’offre qui devra être le plus large possible pour créer les conditions d’une saine compétition entre les factors. En effet, ceux-ci seront d’autant plus sereins et donc enclins à financer qu’ils auront une vision exhaustive des risques qu’ils auront à supporter.
Dans cette phase de négociation, il est nécessaire de bien définir :
- Les objectifs recherchés pour que la solution envisagée soit en adéquation avec l’organisation de l’entreprise et la nature de sa clientèle
- Connaître les différents acteurs du marché et leurs spécificités pour orienter son choix vers le mieux adapté aux spécificités de l’entreprise
- Maîtriser les différents leviers de négociation en se plaçant dans l’optique du factor pour optimiser la capacité de financement
- Les conditions tarifaires.
En parallèle, si l’option d’une assurance-crédit déléguée est privilégiée, il conviendra de challenger les assureurs sur les points suivants :
- Les garanties délivrées
- Le taux d’indemnisation des créances
- Le niveau de non dénommé
- Les dispositifs de compléments de garanties
- Et évidemment les conditions tarifaires ainsi que les dispositifs de bonus
A ce stade naturellement, il est primordial d’être totalement transparent, que ce soit sur l’origine des difficultés de l’entreprise, le montant de sa dette, les discussions avec ses créanciers ou les pistes de sorties des difficultés.
En effet, le nouvel entrant interviendra à un moment décisif du retournement de l’entreprise, interprété comme un signe favorable de nature à rétablir la confiance par l’ensemble de son écosystème, sans pour autant pouvoir se prévaloir du bénéfice de « new money ».
Et côté fournisseurs
Les situations distressed sont naturellement suivies de près par les assureurs-crédit. Leur analyse conduit bien souvent à la réduction, voire l’annulation totale des garanties qu’ils pouvaient avoir délivrées préalablement.
Ces décisions conduisent bien souvent les fournisseurs à revoir leurs conditions de règlement vis-à-vis des entreprises décotées, ce qui augmente le BFR et donc les besoins de financement de ces entreprises.
Dans ces conditions, l’amélioration de la position de trésorerie ne peut malheureusement pas passer par des solutions de financement de type reverse factoring, impossible à envisager dans un contexte distressed.
En effet, dans ce type d’opérations, les financeurs s’adossent sur les garanties délivrées par les assureurs-crédit ce qui rend donc ces options inopérantes.
En revanche, il existe un dispositif spécifique d’assurance-crédit qui recrée un environnement de confiance.
Le principe est de substituer l’absence de lignes d’assurance-crédit traditionnelles par une ligne globale d’assurance-crédit que l’entreprise va « acheter » et allouer à des fournisseurs sélectionnés (stratégiques, importants,…) qui jusque-là demandaient un paiement d’avance ou comptant.
Les fournisseurs obtiennent une couverture de leur encours avec une indemnisation à 90% en contrepartie d’un délai de paiement négocié, idéalement, le plus long possible.
L’obtention d’une ligne d’assurance-crédit de cette nature est conditionnée à plusieurs prérequis :
- Une sortie de la procédure
- Une bonne visibilité sur le retournement annoncé avec un bon niveau de communication avec l’assureur, régulier et précis avec un focus sur l’évolution de la consommation de cash
- Un accompagnement fait par l’actionnaire sous forme d’apport de cash (capital, OC, compte-courant,…)
Une entreprise dont l’actionnaire à apporter 2 millions de cash pourra, potentiellement, se voir accorder une enveloppe de garantie d’un montant équivalent, soit 2 millions d’€ de crédit fournisseurs récupérés.
Ces deux leviers, assez faciles à actionner (repositionnement du contrat d’affacturage et achat de garantie fournisseurs), permettent aux entreprises en situation de retournement d’améliorer sensiblement leur position cash, de créer les conditions d’un regain de confiance de la part de leur écosystème, tout en préservant les apports en new money au repositionnement de leur appareil productif, conditions durables de leur rebond.
Par Nicolas Bouët et Laurent Dray