Mayday a rencontré Anne-Sophie Noury, qui a récemment rejoint l’équipe restructuring de Weil Gotshal & Manges en qualité d’associée, aux côtés de Jean-Dominique Daudier de Cassini. Diplômée d’HEC, Anne-Sophie Noury fait partie de cette nouvelle génération d’avocats que le marché regarde avec attention. Après trois années remarquées chez BDGS, elle arrive ou plutôt retourne chez Weil Gotshal & Manges, avec ses trois collaborateurs, Laura Bavoux, David Hania et Joséphine Maire. L’occasion d’évoquer avec elle ses trois années passées chez BDGS et ses projets avec Weil Gotshal & Manges.
Mayday : Vous êtes restée trois ans chez BDGS. Pourriez-vous revenir sur votre expérience au sein de ce cabinet et vos dossiers marquants ?
Anne-Sophie Noury : Oui bien sûr ! Dans CGG nous conseillions les actionnaires, BPI et AMS Energie. Ce dernier est notamment l’un des actionnaires de Direct Energie, Poiray ou encore Tara Jarmon. Ce dossier m’a marqué car il a été le théâtre d’une véritable inflexion dans le traitement des actionnaires. On a assisté à un changement de mentalité, sans doute en raison de la directive européenne qui était à l’étude et sous l’influence d’acteurs américains habitués a un traitement différent des actionnaires dans leur propre procédure.
On pourrait également citer le dossier Ascoval où j’ai conseillé un candidat-repreneur. Mon client a jeté l’éponge en raison du retrait de Vallourec. C’est la raison pour laquelle il fallait un repreneur capable de partir d’une feuille blanche, ce qu’a fait Bristish Steel. Il faut ajouter qu’Ascoval avait des coûts de production très élevés. C’est un marché où la demande fait les prix. Le fait qu’Ascoval ait réussi à se restructurer, avec un dirigeant et des salariés extrêmement compétents, est remarquable.
Mon client est sorti du jeu, mais je suis admirative de ces personnes qui se sont battues, qui se sont remises en cause et ont remué ciel et terre pour finalement trouver un repreneur dans ces circonstances.
Mayday : En quittant BDGS, vous retrouvez une maison que vous connaissez bien. Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous a fait revenir chez Weil Gotshal & Manges ?
ASN : BDGS est un excellent cabinet qui m’a donné les outils pour devenir associée et me développer. Je leur en suis reconnaissante.
La clientèle historique de BGDS est composée de directions juridiques de large cap ou sociétés du CAC 40.
« Je veux que l’on se concentre sur nous, que l’on prenne du plaisir à travailler ensemble »
Chez Weil Gotshal & Manges, la nature des clients, qui s’élargit grâce à Yannick Piette, Agathe Soilleux et Claude Serra notamment vers du large cap côté, est historiquement composée de fonds de private equity. C’est une typologie très différente de clients. Ces derniers sont naturellement redoutablement exigeants et ne s’appuient pas sur un service juridique en interne, ce qui change leur rapport à l’avocat surtout dans des dossiers restructuring.
Par ailleurs, je suis très attachée à ce cabinet qui est composé de personnes de grande qualité. Tactiquement, stratégiquement et dans l’analyse juridique, rien n’est laissé au hasard !
Le cabinet a développé des pratiques M&A/private equity et financement de premier plan, avec qui nous allons travailler main dans la main, c’est l’esprit Weil. Il y a ici un esprit d’équipe et d’entraide entre associés sans pareil. Il y a également un souci de la transversalité inégalé. Vous savez, les associés de Weil Gotshal avancent en meute.
« j’ai un objectif personnel, être un élément solide dans une équipe ultra-solidaire, et un objectif professionnel, délivrer un travail de qualité et ne pas hésiter à faire l’extra mile pour répondre aux attentes et les devancer »
Mayday : Vous rejoignez Jean-Dominique Daudier de Cassini, une figure emblématique du marché. Quelles sont vos ambitions pour votre équipe ?
ASN : Je retrouve Jean-Dominique, avec qui j’ai déjà travaillé pendant 8 ans. En plus d’être un professionnel unanimement reconnu, c’est une personne qui compte pour moi, dotée d’immenses qualités humaines et c’est un bonheur de le retrouver.
En revanche, je n’ai pas d’ambition en termes de positionnent car je ne résonne pas par rapport aux autres.
Les stoïciens disent que lorsque vous faites du tir à l’arc, l’important n’est pas la cible mais la concentration sur soi-même. Alors vous serez sûr de toucher la cible ! Je veux que l’on se concentre sur nous, que l’on prenne du plaisir à travailler ensemble.
Aussi, j’ai un objectif personnel, être un élément solide dans une équipe ultra-solidaire, et un objectif professionnel, délivrer un travail de qualité et ne pas hésiter à faire l’extra mile pour répondre aux attentes et les devancer. Le reste suivra …
Mayday : Avez-vous une clientèle particulière que vous souhaitez développer ?
ASN : Nous souhaitons rester sur notre cœur de métier qui est l’accompagnement des débiteurs, parce que c’est l’ADN de Weil, tout en élargissant nos horizons vers des créanciers actifs qui peuvent ou vont prendre le contrôle d’une société, tels que des investisseurs en capital ou des fonds de dettes qui souhaitent participer à une solution pour l’entreprise.
Weil est très actif dans ces deux segments, et après seulement deux semaines au cabinet j’ai l’occasion de constater ce qui fait la force du cabinet.
« La crise survient quand on ne l’attend pas. Alors pour nous, professionnels de la crise, autant éviter de l’annoncer ! »
A l’inverse, l’accompagnement des banques et pool de créanciers n’est pas une spécificité du cabinet. D’autres cabinets de la place peuvent revendiquer une expérience que nous n’avons pas.
Également, personnellement, j’ai trop le prisme débiteur pour aller conseiller des fonds activistes qui cherchent uniquement à faire un coup financier, sans apporter une solution pour l’entreprise. Il faut qu’il y ait une autre dimension pour moi, sinon je n’arrive pas à trouver du sens à ce que je fais.
Mayday : Concernant l’année qui vient. On entend beaucoup de choses contradictoires. Après l’attente du cataclysme, finalement, on assiste à une période pour l’instant normale ?
ASN : On voit bien que le marché du M&A et du private equity connaît une forte pression des acheteurs qui disposent de liquidités abondantes. Les multiples d’acquisiton et de levier senior sont à leurs plus hauts niveaux historiques. Surtout, ce qui a changé, ce sont les conditions des crédits, plus accomodants que jamais.
Résultat : il n’y a quasiment plus d’amortissement de la dette et plus de covenant ou ils sont tellement lâches, que la plupart des warnings d’anticipation des difficultés ont disparu. Il y a un vrai risque à ce que le débiteur repousse le traitement des difficultés. Aujourd’hui, le seul indicateur qu’il nous reste est l’absence de paiement des intérêts, mais lorsque vous en êtes là, c’est que les difficultés sont avérées. Ce n’est plus un problème de dettes, c’est un problème de P&L …
Donc oui, par nature, la structure de financement des opérations récentes est plus fragile. Ceci étant dit, comme les indicateurs ne sont pas en amont mais en aval, il y a de fortes chances pour que les mesures nécessaires à la sauvegarde de l’entreprise soient prises très tardivement. On s’approchera plus vite du judiciaire et je pense que les effets d’une crise éventuelles ne seront pas immédiats.
Après, vous dire ce qu’il va se passer en 2020 sur le marché du restructuring … la crise survient quand on ne l’attend pas. Alors pour nous, professionnels de la crise, autant éviter de l’annoncer !
Propos recueillis par Cyprien de Girval