L’affaire Conforama c/ Challenges remet sur la table des discussions l’épineuse question liée à la confidentialité des procédures amiables. Gage de succès des procédures préventives pour certains, cette confidentialité est vivement contestée par d’autres. Si les débats juridiques que cette décision soulève sont ouverts, l’arrêt d’appel soulève également des enjeux de communication. Tribune de Véronique Pernin, agence VP Strat.
Le 6 juin 2019, la Cour d’appel de Paris a donné raison au magazine « Challenges », condamné en 2018 pour avoir révélé que Conforama était en mandat ad hoc, procédure pourtant confidentielle par détermination de la loi. Si cette décision ne donne pas aux médias un blanc-seing pour violer la confidentialité légale des procédures, elle oblige les entreprises à anticiper la communication plus en amont pour se tenir prêt à réagir en cas de fuite.
La confidentialité sur l’autel du droit à l’information
En sollicitant l’ouverture d’un mandat ad hoc, Conforama pouvait légitimement penser que ses problèmes passagers demeureraient un secret bien gardé. Cette procédure de prévention, organisée par le Code de commerce, permet à une entreprise qui connait des difficultés avec des partenaires stratégiques (banques, clients, fournisseurs) pouvant remettre en cause sa pérennité, de requérir du Tribunal de commerce la nomination d’un administrateur judiciaire ayant pour mission de trouver amiablement et confidentiellement une solution par voie de médiation.
C’est à l’article L611-15 du Code de Commerce que se trouve une précision majeure : une confidentialité stricte de la procédure est imposée à tous les acteurs impliqués, avec pour objectif d’éviter que la révélation de difficultés entraîne une panique (perte du crédit fournisseur, des clients, dénonciation des crédits courts termes, inquiétudes du personnel, etc.). Or, ce dispositif de prévention a fait preuve de son efficacité : 70 % de ces procédures assurent la préservation de l’entreprise et des emplois.
« A l’heure des réseaux sociaux, des chaînes d’info en continue, et de leurs effets démultiplicateurs, la réactivité se doit d’être immédiate »
En révélant cette information, Challenges a-t-il franchi une ligne jaune ? Dans son arrêt du 6 juin 2019, la Cour d’appel de Paris a donné raison au magazine, en estimant que la révélation des difficultés de Conforama rentrait dans la mission d’information du public dévolue à la presse et qu’il n’était pas établi que cette révélation ait pu compromettre les chances de succès du mandat ad hoc.
Droit à l’information contre obligation de confidentialité : le débat est posé. La cour de Cassation ayant pourtant retenu le caractère absolu de cette discrétion par un arrêt du 15 décembre 2015, les aménagements juridiques autour de la question risquent de se poursuivre au-delà du cas Conforama. Mais cette incertitude conduit déjà à une nécessité : puisqu’en l’état de ce nouvel arrêt le secret n’a la garantie absolue d’être protégé, la communication autour des difficultés se doit d’être intégrée, en amont, et ce dès la décision d’entrer en procédure de prévention.
Secret éventé, communication au chevet
A l’heure des réseaux sociaux, des chaînes d’info en continue, et de leurs effets démultiplicateurs, la réactivité se doit d’être immédiate.
Il faut donc être prêt à déployer instantanément une stratégie de communication prédéfinie et validée avec l’ensemble des acteurs (administrateurs judiciaires, avocats, financiers, établissements financiers…), permettant de conserver la « maitrise » des éléments de langages et d’atténuer les effets anxiogènes de la révélation auprès des parties prenantes internes et externes de l’entreprise. Ou plus simplement, éviter la panique que la confidentialité du mandat ad hoc devait garantir.
« Une communication préparée en amont permet d’accompagner la stratégie de redressement à travers des éléments de langage qui repositionnent l’entreprise dans une vision positive de son avenir »
Ce travail de modélisation nécessite que les spécialistes de la communication de crise soient intégrés dans la cellule confidentielle de l’entreprise en amont et travaillent en étroite coopération avec chacune des fonctions impliquées, afin de bien mesurer et anticiper tous les impacts des messages clefs. Outil stratégique pour créer et maintenir la confiance, la communication s’appuie sur un ensemble principes, techniques et méthodes destinés à maîtriser les messages, l’image, la réputation de l’entreprise. Elle est donc primordiale pour anticiper et maîtriser les conséquences de la fuite qui est d’autant plus anxiogène que la situation était confidentielle, et donc perçue par les parties prenantes comme délibérément cachée.
En pratique, il faudra donc identifier très en amont : les différents publics clefs susceptibles de réagir à cette révélation ; les réactions qu’ils peuvent avoir ; les éléments de réponse généraux (statement) et spécifiques (Q&A), et les circuits de communication internes, externes et médiatiques. Une veille multicanale sur les médias, réseaux sociaux, blogs et forums sera mise en place dès le départ pour détecter les signaux faibles annonciateurs d’une fuite et réagir – si nécessaire.
De plus, une communication préparée en amont permet d’accompagner la stratégie de redressement à travers des éléments de langage qui repositionnent l’entreprise dans une vision positive de son avenir.
Par Véronique Pernin
CEO & founder agence VP Strat